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LES HUIT SALOPARDS : Rencontre avec Quentin Tarantino, Kurt Russell, Tim Roth et Walton Goggins

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huit-salopardsA l’occasion de la sortie du film Les Huit Salopards, le 06 janvier prochain au cinéma, retour sur la conférence de presse parisienne à laquelle étaient présents, Quentin Tarantino, Kurt Russell, Tim Roth et Walton Goggins. Une conférence placée sous le signe de la détente, avec une équipe très complice et pleine d’humour, emmenée par un Quentin Tarantino affable, qui n’avait pas envie que ça se termine !QUENTIN TARANTINO

(Suite à un souci d’avion, la conférence démarre avec un peu de retard et seulement avec Quentin Tarantino, premier arrivé).

Quentin Tarantino : Désolé, j’arrive à peine de l’aéroport !

Pourriez-vous nous parler un peu de ces fameux huit personnages, comment les avez-vous imaginés ?

Quentin Tarantino : Bonne question. Dans les années 60 à la télévision, il y avait beaucoup de séries télé western comme Le Virginien, Bonanza, Gunsmoke… Ces huit dernières années, j’en ai revu pas mal et j’ai remarqué que la plupart du temps, ce qui m’intéressait le plus, c’était en fait les guest stars qui venaient faire des apparitions. C’était souvent des étrangers qui arrivaient dans la ville, on ne savait pas grand-chose de leur passé mais au fur et à mesure de l’épisode, on en apprenait de plus en plus sur leur part de mystère. Et à la fin de l’épisode, généralement, on savait qui étaient les bons et les méchants. C’était vraiment un processus intéressant. Le truc, c’est que ces séries parlaient avant tout des héros, comme Michael Landon dans Bonanza ou Doug McClure dans Le Virginien. Mais à un moment, ces héros rencontraient ces personnages de passage, vous ne saviez jamais s’ils étaient bons ou mauvais. Par exemple, il y avait un épisode avec Robert Culp. Pendant tout l’épisode, vous croyez qu’il est ami avec Doug McClure et à la fin de l’épisode, McClure le tue car il découvre que c’est un méchant. C’était ça qui était intéressant. Et là, je me suis dit : « Et si je faisais un film tout entier sur ces personnages de guest ? Sans Doug McClure au milieu, sans Michael Landon, sans héros, sans aucun valeur moral au centre. Juste, mettre ces personnages là, dans une pièce, et voir où leur propre histoire les mènerait ».

Le reste de l’équipe arrive…

Quentin Tarantino : Voilà, de tous les salopards, vous avez les trois pires ! Les plus paresseux ! (rires)les huit salopards Tarantino 3

A quel moment avez-vous pris la décision de faire un film comme ça, à l’ancienne, avec une introduction façon opéra et un entracte comme ces films très longs, Ben-Hur ou Autant en Emporte le Vent ?

Quentin Tarantino : Quasiment dès le début. Dès la première ligne du script, je décrivais la scène de la diligence qui avance dans la neige. Et au début du tout premier paragraphe, j’avais marqué « Filmé dans un glorieux 70 mm… » Et je l’ai réécrit dans un autre paragraphe de la page deux, puis dans un autre de la page trois… Et j’ai continué comme ça pendant 40 pages ! Bon, une vingtaine en vrai. Je voulais être sûr que la personne qui allait lire ce script, comprendrait bien que je voulais faire le film en 70 mm. En gros, l’idée était « Si vous ne voulez pas faire le film en 70 mm, ne venez même pas me parler !« 

Dans le film, le personnage de Samuel L. Jackson a toujours avec lui, cette lettre que lui a écrite Abraham Lincoln. Avez-vous les uns les autres, une lettre comme ça, qui vous tient à cœur plus que tout ?

Quentin Tarantino : Super question !

Walton Goggins : Je ne me souviens pas d’avoir reçu une lettre comme ça mais récemment, quelqu’un des archives de chez Walt Disney m’a appelé et m’a fait parvenir une lettre que je lui avais écrite il y a très longtemps. J’avais 13 ans, j’étais sur un show pour Disney et on avait passé une journée à travailler ensemble. Et je lui avais envoyé une lettre de remerciements. C’était intéressant de la relire après toutes ces années.les huit salopards Tarantino 4

Tim Roth : J’ai une lettre de Francis Ford Coppola, qu’il m’a écrite quand ma mère est décédée. Elle est écrite à la main, avec une très belle écriture… Contrairement à celle de Quentin ! (rires) Il me parlait de ce qu’il avait traversé quand sa mère à lui était morte. Elle est très belle. C’est d’autant plus touchant qu’on n’envoie presque plus de lettres aujourd’hui avec les mails etc… Et encore moins des lettres manuscrites.

Kurt Russell : J’ai une lettre de mon grand-père dont j’étais très proche, c’était comme un mentor pour moi, une figure paternelle. Lorsque j’ai envisagé de quitter le lycée pour aller à Los Angeles, il m’avait dit « Par pitié, ne va pas là-bas, ne devient pas acteur. Deviens pharmacien, comme ça, tu pourras travailler dans n’importe quelle ville du monde !« . Il me disait de ne pas choisir cette vie-là, que je n’aurai pas de retraite. Pour lui, qui avait connu la crise dans les années 50, c’était important de se faire une retraite. Et un jour, environ dix ans après être devenu acteur, j’ai reçu ma carte de la Screen Actors Guild, l’Union des Acteurs, qui garantissait une retraite aux comédiens. Je ne savais même pas que c’était possible. Je l’ai appelé et je lui ai laissé un message. Quatre ou cinq jours plus tard, j’ai reçu une lettre me disant « J’avais tort, je suis fier de toi et je t’aime« .

Quentin Tarantino : Tu en as une autre, tu me disais…

Kurt Russell : Ah oui. Kirk Douglas m’a écrit une lettre très gentille après que j’ai fait Tombstone, me complimentant sur mon travail.

Quentin Tarantino : J’en ai une qui me vient à l’esprit. Je suis sûr que tout à l’heure à minuit, j’aurai une idée plus brillante qui me reviendra mais bon… Après Jackie Brown, j’ai joué dans une pièce de théâtre et un soir, ce n’était pas une lettre mais une note qu’on m’avait laissé en loge. C’était un mot de Mike Nichols, qui venait de voir le film. Il me disait qu’il avait adoré, qu’il espérait que le premier weekend au box office s’était bien passé et surtout qu’un jour, ce ne serait qu’un détail dont on aura rien à foutre. Il me félicitait, me souhaitait bonne chance, et exprimait toute son admiration.Tarantino

Pendant tout le générique de début, la caméra fixe la statue d’un Christ sous la neige. Quelles étaient les notions sous-jacentes que vous souhaitiez exprimer avec ce long plan ? Expiation, rédemption, pardon ?

Quentin Tarantino : On peut voir éventuellement une notion de rédemption à travers certains personnages, notamment car on a un personnage noir qui déteste les blancs et un personnage blanc qui déteste les noirs, et ils se retrouvent ensemble dans une même pièce pendant tout le film. Mais je n’ai pas mis une figure christique pour ça, je pense. L’idée était plus de représenter le fait… Si vous regardez bien, cette statue a l’air comme abandonnée, là sous la neige. L’idée était de dire que Dieu et le Christ ne sont plus sur cette terre où va se dérouler l’histoire. Il n’y a plus de notion de Bien dans cette vaste contrée. C’est davantage un clin d’œil à Ivan le Terrible d’Eisenstein, qui utilisait également cette idée.

Cela fait deux fois d’affilée que vous évoquez la Guerre de Sécession dans vos films, cette guerre que Griffith a appelé « La Naissance d’une Nation ». Est-ce que vous êtes venu à l’histoire par le cinéma, est-ce le cinéma qui vous a donné envie d’aller vers l’histoire, ou est-ce que c’est l’histoire qui vous a donné envie de faire du cinéma ?

Quentin Tarantino : Django Unchained se passait deux ans avant le début de La Guerre de Sécession. Les Huit Salopards se déroule dans un temps indéfini, peut-être 6 ans ou 10 ans après la Guerre. Je parle finalement moins de la Guerre de Sécession que des blessures et de schismes qu’elle a engendrés. Ce film est moins sur la guerre elle-même, que sur les relations qu’entretenaient les noirs et les blancs à cette époque-là. Je crois que cette thématique n’a jamais été vraiment abordée par les grands réalisateurs de western, peut-être une fois ou deux, mais leurs sujets n’étaient pas celui-ci. Dans mes westerns, c’est la thématique dont je veux parler et je crois que ce sera ça, ma contribution au genre.les huit salopards Tarantino

Le film a un côté très théâtral, surtout dans sa première partie. En tant que comédiens, est-ce que le cinéma de Quentin Tarantino demande un vrai dépassement de soi tendant vers l’essence même du jeu d’acteur, c’est à dire, vous fondre totalement dans des personnages très iconiques, en interprétant des dialogues millimétrés et brillamment écrits ?

Walton Goggins : Quentin créé des conditions de tournage qui facilitent l’immersion et qui aident à accéder à ce qui fait l’essence du jeu d’un comédien. Avec lui, c’est une vraie célébration du cinéma. Il aime les acteurs. D’ailleurs, ce film s’appelle « The Hateful Eight » mais je crois qu’en fait, c’était « The Hateful Nine« . Car Quentin était vraiment là, parmi nous. Je me rappellerai toujours de mon expérience sur Django Unchained. J’avais cette scène dans la grange, qui était très difficile à tourner…

Quentin Tarantino : Attends, stop, laisse lui le temps de traduire déjà ça ! (rires)

Walton Goggins : C’était une scène avec beaucoup d’émotions et j’étais entouré de plein de grands comédiens. J’avais une grande pression et je n’y arrivais pas. Je me suis tourné vers Quentin et je lui ai demandé de me dire la phrase juste comme lui l’imaginait. A la minute où il l’a prononcée, j’ai compris.

Tim Roth : J’aime beaucoup ce côté très théâtral. D’abord parce que je ne suis pas un adepte de la méthode, je ne suis pas fan de ça. Et quand Quentin vous donne un script, vous savez qu’il l’a écrit pour vous. Et tout est déjà dit. On ne voit pas la difficulté du jeu, c’est jouissif, c’est une célébration. Je n’ai pas besoin d’aller chercher dans les sombres recoins de moi-même pour jouer.

Kurt Russell : Je fais partie de ces comédiens qui, dès le début, apprennent par cœur toutes leurs lignes de dialogues pour comprendre qui est mon personnage. Et je suis tellement abasourdi par ça que j’oublie toujours une chose essentielle, c’est que quand j’arrive sur le tournage d’un film, la chose à faire, c’est d’écouter mes partenaires. C’est tout. L’écriture de Quentin se prête à cela. Parce que le rythme des phrases et des mots, est là pour informer le spectateur du sens des scènes et des personnages. Quand il s’agit d’un film de Quentin, je pense que l’essentiel au final, c’est d’arriver et d’écouter ce que les autres ont à dire. Et quand on a des partenaires pareils, cette écoute nous rend encore meilleur dans notre jeu.les huit salopards Tarantino 5

D’un film à l’autre, ressentez-vous l’angoisse de la remise en question ?

Quentin Tarantino : Non, pas du tout. Si ce que vous voulez dire est que mes films marchent et que j’ai peur de devoir maintenir ce succès et mettre la barre toujours plus haute, non. Ce que je veux, c’est que l’on attende beaucoup de moi. Je veux juste être un artiste dont on attend qu’il donne le meilleur de lui-même et le maximum, à chaque fois. C’est ça qui est important et qui me pousse.

Mais au-delà de ça, vous interrogez-vous sans cesse sur l’art de la narration, qui est une vraie obsession chez vous ?

Quentin Tarantino : Depuis Kill Bill, j’ai pris un tournant plus littéraire, et j’essaie de davantage m’investir dans l’exigence de l’écriture, pour qu’elle représente mieux ma pensée. En un sens, je crois que je suis devenu plus sérieux à ce niveau-là. Tout simplement parce que j’adore ça. Je ne suis pas angoissé par l’écriture, au contraire, ça me calme. Parce que c’est moi et la page blanche. Je suis seul, je ne montre rien à personne tant que je ne suis pas satisfait, et si je ne le suis pas, je mets ça de côté.

Walton Goggins (qui décide de se mêler au bal des questions) : J’ai une question moi aussi pour Quentin… De tout ce que tu as pu écrire, il y a des choses qui dorment dans tes tiroirs ?

Quentin Tarantino : Non, rien d’entier. Des morceaux ici et là, des bouts de scénario. Ce sont comme des morceaux choisis et je me dis qu’un jour, peut-être que je prendrais tout ça et je les utiliserai dans un scénario.

Kurt Russell : Moi aussi, j’ai une question pour Quentin… (rires dans la salles) Est-ce qu’il y a des scènes dans tes précédents films comme ça, qui viennent de bouts de scénario que tu avais pu écrire ?

Quentin Tarantino : Je l’ai beaucoup fait les quinze premières années. Dès que j’écrivais, je me disais que tel bout pouvait aller dans tel scénario. L’exemple le plus parlant est Pulp Fiction. Les scènes entre Travolta et Uma Thurman, c’était des scènes que j’avais écrites des années auparavant et que là, j’ai senti que je pouvais placer.

Voilà, c’est fini, merci à tous.

Quentin Tarantino : Déjà ?! On peut continuer ? Encore quelques questions…Tarantino

Pourriez-vous revenir sur la théâtralité du film ? On dirait que vous êtes revenu un peu à vos premiers amours, en quelque sorte…

Quentin Tarantino : J’ai toujours aimé l’aspect théâtral. Ce film est peut-être le plus proche de mon tout premier, Reservoir Dogs. Qu’est-ce que l’on a dans Les Huit Salopards ? Une brochette de personnages qui n’ont pas l’air très sympathiques. Ils se retrouvent emprisonnés dans un huis-clos, et aucun n’a confiance dans les autres. C’est un pur huis-clos théâtral à la base. Mais ici, il y a en plus une double théâtralité parce que vous avez littéralement des personnages qui jouent des personnages qu’ils ne sont pas vraiment. En quelque sorte, vous avez du théâtral sur du théâtral et enfin, du théâtral. D’ailleurs, quand vous regardez le film la première fois, vous regardez un film, l’histoire. Mais si vous le revoyez une seconde fois, là vous regardez les acteurs et leur jeu, voire leur double-jeu.

Tout le côté 70 mm, l’ouverture et l’entracte, le jeu avec les rideaux et la lumière des salles… Est-ce que tout cela est dû au fait que vous êtes nostalgique d’un certain cinéma d’antan, à l’époque où les sorties étaient pensées de façon évènementielle ? Et selon vous, pensez-vous qu’aujourd’hui, on ne sait plus vraiment apprécier le septième art comme un grand spectacle ?

Quentin Tarantino : Je ne sais pas si l’amour du cinéma n’est plus le même qu’il a pu être et je ne sais pas si on peut parler de nostalgie, mais ce qui est sûr, c’est que la façon dont on projette et regarde les films a changé et n’est plus comme avant. Je me souviens d’une anecdote racontée par Steven Spielberg. Il était allé chez quelqu’un un jour et il avait vu sur le meuble télé, une VHS de Rencontre du Troisième Type. Il avait alors pensé à cet instant, à tout le travail qu’avait été la réalisation de ce film, tout ce qu’il avait mis dedans. Tout ça était aujourd’hui réduit à une K7 sur un meuble télé. Quand il a fait E.T. par contre, le film n’est sorti en VHS que très tard car il résistait à l’idée. Pourquoi ? Parce que si vous vouliez voir E.T., il fallait se taper deux énormes caisses de bobines 35mm, qu’il fallait monter dans les étages vers la cabine de projection, avec ces projecteurs où l’on se coinçait les doigts dedans. Mais ça, ça c’était un vrai testament du dur labeur de son équipe et de lui-même sur ce film. Je crois que je pense un peu pareil.

La conférence de presse en images :

Les Huit Salopards – la bande-annonce :



Propos recueillis par Nicolas Rieux

Un grand merci à Quentin Tarantino, Kurt Russell, Tim Roth et Walton Goggins, à SND, Jean-Pierre Vincent et Elodie

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