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BENEDETTA de Paul Verhoeven : la critique du film [Cannes 2021]

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Carte d’identité :

Nom : Benedetta
Père : Paul Verhoeven
Date de naissance : 2020
Majorité : 09 juillet 2021
Type : sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 2h06 / Poids : NC
Genre : Drame

Livret de Famille : Charlotte Rampling, Virginie Efira, Daphne Patakia, Hervé Pierre, Lambert Wilson…

Signes particuliers : Œuvre grandiose et dense ou piteux ratage risible, Benedetta est un mystère.

 

 

DU SAINT ET DU SEIN

NOTRE AVIS SUR BENEDETTA

Synopsis : Au 17ème siècle, alors que la peste se propage en Italie, la très jeune Benedetta Carlini rejoint le couvent de Pescia en Toscane. Dès son plus jeune âge, Benedetta est capable de faire des miracles et sa présence au sein de sa nouvelle communauté va changer bien des choses dans la vie des soeurs.

Depuis qu’il s’est relancé en Europe avec Elle, Paul Verhoeven semble être de nouveau un cinéaste « qui a la côte ». Au point d’avoir intégré la prestigieuse compétition cannoise avec Benedetta, son nouveau long-métrage très attendu depuis longtemps. Le hollandais violent comme on le surnomme souvent, y retrace l’histoire vraie (très librement racontée et surtout très largement remaniée) de Benedetta Carlini, une religieuse italienne du XVIIème siècle prétendument « Sainte » accusée de lesbianisme avant l’heure. Après leur collaboration mutuellement appréciée sur Elle, Verhoeven offre le rôle sur un plateau d’argent à une Virginie Efira de plus en plus en vue dans le paysage cinématographique hexagonal.

A Cannes, Benedetta a soufflé un vent de discorde. Et pour cause, Benedetta est un mystère opaque. Difficile de trancher sur sa nature, bon film ou piteux ratage, oignon cinématographique constitué d’un amoncellement de couches superposées ou simple navet à l’impertinence bouillie et fade en goût, ce nouveau Verhoeven intrigue avant, pendant et après sa découverte, drainant dans son sillage des sentiments très contrastés. A vrai dire, il y a un peu de tout dans ce Benedetta, et surtout des contradictions. Plus précisément, des impressions contradictoires, à tous les niveaux.

1/ Les comédiens. On serait tenté de saluer la performance convaincue et convaincante d’une Virginie Efira qui donne généreusement de sa personne. Ou de vanter celle, plus hermétique et tout en retenue de Charlotte Rampling. Ou encore celle de la troublante et incandescente Daphné Patakia (Meltem). Sans parler de Lambert Wilson, formidable comme à on habitude. Mais dans le même temps, on sent un démon qui rôde, celui de l’artificialité de ces prestations parfois cabotines, comme si chacun jouait sa partition sans trop savoir comment l’incarner vraiment en flirtant parfois avec une exagération au diapason du film lui-même.

2/ Le ton. Sulfureux, c’est comme cela que beaucoup ont vendu Benedetta en brandissant ses très nombreuses scènes de sexe, ses quelques images « gores » ou son histoire blasphématoire. Oui, on trouve tout cela dans le film. Oui, c’est du Verhoeven. Mais dans le temps, cette impertinence semble terriblement artificielle elle-aussi, comme le jeu des acteurs. Une impertinence qui sonne creuse comme un objet en toc, une impertinence qui paraît poussive, forcée, calculée, sans que son côté provocant ne s’incarne dans une ambiance vraiment dérangeante. A se demander si Verhoeven ne chercherait pas à être absolument fidèle à sa réputation au point de tout faire pour la respecter à défaut de nourrir intelligemment son film.

3/ La mise en scène. Oui, il y a des fulgurances évidentes, des plans, des cadrages, une photographie magnifique. Mais ils semblent peu, éparpillés façon puzzle dans un tout qui est autant capable de ravir que de sombrer dans un aspect gentiment téléfilmesque dénué d’un génie éclatant.

 

4/ Les Décors. Elle était un simple thriller dramatique ne requérant que peu de moyens si ce n’est pour payer sa distribution. Avec Benedetta, on sent que Verhoeven revient à quelque chose de plus ambitieux tout en évitant le grandiloquent (comme un mélange de La Chair et le Sang et du 13eme Guerrier au fond). Il y a une forme de souffle épique dans Benedetta, pas forcément au sens « batailles gigantesques » et « déluge de spectacle », mais un épique parfois dans le tragique, dans les émotions, dans les destinées. Sauf que celui-ci peine à pleinement s’exprimer et les décors, la direction artistique en général, le « production design » comme on dit, est une des raisons. Benedetta peut paraître tour à tour très ambitieux et dans la seconde qui suit, d’une abdominale cheaperie. Sans parler de ses anachronismes où la Renaissance semble se confondre avec le Moyen-Age ou une étrange modernité.

5/ L’histoire et le fond. Que cherche finalement à raconter Paul Verhoeven ? De prime abord avant même les thématiques qu’il convoque (ou voudrait convoquer), le récit est intéressant sur certains aspects de son écriture. Comme ce trouble qu’il entretient quant à la nature ambiguë de son héroïne entre Sainte en connexion directe avec les cieux, « imposteuse » usurpant son statut ou folle à lier ayant basculé dans son délire d’épouse du Christ. Comme ce cocktail voulu acide mélangeant Saint et Sein, religieux et sexualité, pureté et perversion. Comme ce coté « jeu de massacre » où le film, avec drame, tendresse et humour noir, dézingue tous ceux qui le traversent, des petites nonnes pas forcément équilibrées à la hiérarchie cléricale d’une hypocrisie sans borne. Au-delà, Verhoeven voulait signer un portrait de femme troublante comme il les aime (manipulatrice, attachante, possédée, envoûtante) et une réflexion sur l’obscurantisme religieux nourris d’interdits empêchant l’exploration, la découverte, la connaissance. Avec au centre, le thème de l’emprise. Celle de l’Eglise sur ses sujets, celle d’une Benedetta dont on ne sait jamais le degré de conscience de ses actes crédules ou manipulateurs. Si l’on fait la somme de tout cela, la proposition de Verhoeven en a dans le coffre, narrativement comme thématiquement. Reste que l’on se surprend parfois à penser que ce maelström enfonce des portes ouvertes et que la profondeur ressentie n’est peut-être qu’apparente et seulement le fruit d’une illusion, la même qui voudrait que son auteur est encore un génie brillant là où il est en réalité qu’un radoteur à bout de souffle faisant dans le chic et choc de bas étage (Elle par exemple).

Benedetta est constamment balancé entre le pouvoir de fascination qu’il essaie de déployer et le grotesque qui jaillit de ses nombreux excès. D’un côté, il paraît dense et plein de mystères, de l’autre il s’approche du soap opera en costumes kitsch, stérile et puéril. Et si l’explication tenait en cela que Verhoeven lui-même navigue entre de nombreuses eaux selon une trajectoire difficile à appréhender ? De la tragédie cruelle, du drame romanesque, de la farce satirique, et du film bisseux à l’italienne, il y a un peu de tous ces courants dans Benedetta ; et conjugués ensemble, ils rendent le film étrange, hors normes, déconcertant parfois. Le plus grand suspens dans Benedetta, c’est de savoir de quel côté va t-il flancher, vers l’œuvre démesurément folle ou vers la purge honteusement ridicule. Pendant le voyage, il s’offre des embardées des deux côtés. Et une chose est sûre, à l’arrivée, partisans ou détracteurs, Benedetta ne laissera personne indifférent.

BANDE-ANNONCE :

Par Nicolas Rieux

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