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L’ATTACHEMENT de Carine Tardieu : la critique du film

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Nom : L’attachement
Mère : Carine Tardieu
Date de naissance : 19 février 2025
Type : sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 1h45 / Poids : NC
Genre : Drame

Livret de famille : Valeria Bruni TedeschiPio MarmaïVimala Pons, Raphaël Quenard, Marie-Christine Barrault, Catherine Mouchet…

Signes particuliers : Bouleversant !

Synopsis : Sandra, quinquagénaire farouchement indépendante, partage soudainement et malgré elle l’intimité de son voisin de palier et de ses deux enfants. Contre toute attente, elle s’attache peu à peu à cette famille d’adoption.

 

ON S’ATTACHE FORT

NOTRE AVIS SUR L’ATTACHEMENT

L’amour peut prendre mille et une formes et peut surgir à n’importe quel instant, de n’importe où, même de là où on ne l’attend pas. Non, il ne s’agit pas du dernier Emmanuel Mouret mais du nouveau film de Carine Tardieu après Du Vent dans les Mollets, Otez-moi d’un doute ou Les Jeunes Amants. Sur son sujet de prédilection, la cinéaste adapte librement le roman L’intimité d’Alice Ferney paru il y a cinq ans.

Alex et Cécile partent en catastrophe à l’hôpital quand Cécile perd les eaux. Dans la précipitation, ils laissent leur fils Elliott à Sandra, leur voisine de palier, une cinquantaine farouchement célibataire et ne vivant que pour ses livres et sa librairie féministe. Mais quand Alex revient, il est seul. Dans ses larmes, Sandra comprend que Cécile est décédée en donnant naissance à leur bébé, Lucille. Réticente aux enfants, la voisine va progressivement prendre de plus en plus de place dans la vie du petit Elliott, qui voit en elle la seule figure féminine qu’il lui reste. S’inviteront dans ce nouvel équilibre précaire, le père biologique d’Elliott, la belle-famille ou encore une pédiatre avec qui Alex va entamer une relation…

C’est avec une grâce remarquable de subtilité et de nuances que Carine Tardieu approche la complexité des rapports humains et des liens d’affection que l’on tisse au cours d’une vie. L’attachement est une petite merveille profondément émouvante qui, dans le sillage de personnages eux-mêmes fort attachants, étudie des sentiments vacillants, l’amour, l’amitié, le deuil, la solitude… Ces sentiments, Carine Tardieu les scrute par le prisme de l’attachement. Tout est dans le titre. L’attachement d’un enfant à une figure maternelle de substitution, l’attachement d’un homme effondré à une béquille émotionnelle, l’attachement d’une femme esseulée à des âmes brisés qu’elle prend en empathie, l’attachement d’une femme submergée par son boulot pour un homme qui la regarde enfin…

Tout était réuni pour faire de L’attachement un film plombant, un mélo ployant sous le larmoyant de son sujet tragique. Si Carine a regardé droit dans les yeux la tristesse infinie au détour d’une scène exceptionnelle incarnée de manière tout aussi exceptionnelle par un Pio Marmaï en larmes (on comprend le décès de la mère sans la moindre ligne de dialogue), elle a ensuite pris la tangente. L’attachement n’est ni l’un de ces films misérabilistes enrubannés dans les violons, ni l’un de ces drames intimistes sèchement monotones. Le film de Carine Tardieu est autre chose, une échappée hybride qui s’infiltre dans les interstices abandonnés par ces styles pour en tirer un bijou capable d’être déchirant, d’être tendre, d’être drôle, d’être intelligent aussi (et surtout). D’un bout à l’autre, c’est la justesse du regard de la cinéaste qui bouleverse. La justesse de l’observation d’un deuil chez un mari anéanti et dépassé, chez un enfant qui transfère son insécurité et son besoin d’affection. La justesse du portrait d’une femme farouchement indépendante qui est peut-être seule par choix mais qui ne rejette pas l’affection si elle toque à sa porte, à plus forte raison si elle vient remplir un vide inconscient.

Avec un humanisme à la fois sincère et émouvant, Carine Tardieu signe un film épris de vie, de ce qu’elle peut avoir de plus triste à ce qu’elle peut avoir de plus beau. Alors qu’il est question de construction ou de reconstruction pour toute une galerie de personnages qui doivent soudainement apprendre à vivre autrement, L’attachement évolue sur un filin très fragile, sans jamais vaciller ni tomber. Par moments, on regarde une chronique tragique, à d’autres un drame familial, et parfois on croit suivre un feel good movie choral qui réchauffe le cœur. Car ainsi va la vie comme aimait à le montrer Claude Sautet (l’une des références de Tardieu), elle est comme un flot tantôt calme tantôt agité, parfois terrifiant et parfois merveilleux. L’attachement regorge de scènes qu’il sera difficile d’oublier. Comment annoncer à un enfant la mort de sa mère ? Comment traverser les moments de tristesse et de nostalgie qui le troubleront parfois, en regardant des photos par exemple ? Comment lui faire accepter quelqu’un d’autre le moment venu ? Comment gérer ses pertes affectives futures ? Comment tenir debout en tant que père quand l’on est à terre en tant que mari ?

La plus grande force du film est de suivre une narration de cinéma tout en prenant à son compte des sujets, des histoires ou des sentiments très réalistes. Proche de la vie réelle sans basculer dans l’austérité d’une œuvre naturaliste, L’attachement convoque un peu d’enchantement dans une tragédie de vie terriblement commune et imagine comment des personnages authentiques apprennent à sécher leurs larmes au nom de la vie. Avec le concours de comédiens à contre-emploi, tous en prise totale avec leur personnage (fabuleuse Valérie Bruni-Tedeschi, Pio Marmaï dans l’un de ses meilleurs rôles, subtils Vimala Pons ou Raphaël Quenard), Carine Tardieu signe de loin son meilleur film. L’attachement est une œuvre fragile comme ses protagonistes, un drame lumineux et délicat sur la naissance de liens affectifs imprévisibles et leur évolution, symbolisés par la naissance et les deux premières années de la vie d’un bébé chapitrés en mois. Autour de ce sujet moteur, la réalisatrice esquisse quelques commentaires sur des thématiques dans l’air du temps, paternité, co-parentalité, féminisme, liens du sang vs liens du cœur… Mais avec une cohérence qui force le respect et une fluidité magistrale, sans que jamais rien ne paraisse forcé ou opportuniste. Sorte de faux film choral en cela qu’il donne à avoir plusieurs trajectoires de vie qui se réunissent, L’attachement est un bijou d’émotions frissonnantes où l’on assiste à la touchante composition de fragments de sensibilité.

 

Par Nicolas Rieux

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