Au menu du ciné-club ce samedi, Adieu Poulet en Blu-ray, le fascinant Le Voyeur à redécouvrir au cinéma, et La Vie Privée de Sherlock Holmes de Billy Wilder dans une superbe édition collector !
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LE VOYEUR
De Michael Powell – (1960)
Genre : Drame, Thriller – Angleterre
Avec : Karlheinz Böhm, Moira Shearer, Anna Massey…
Ressortie au cinéma le 23 mai 2018
Synopsis : Mark Lewis est un jeune homme énigmatique et solitaire, passionné d’image jusqu’à l’obsession. Opérateur-caméra dans un studio de cinéma, il fait aussi des extras comme photographe de charme dans la boutique d’un marchand de journaux. Son appartement est un immense laboratoire rempli de matériels, d’appareils, de chimie. Là, il développe et visionne seul ses propres films à longueur de temps. La caméra toujours à portée de main, Mark Lewis dit tourner un documentaire mais il s’emploie en réalité à une démarche bien plus morbide: il traque la peur de la mort dans le visage de jeunes femmes…
Pour beaucoup, Karlheinz Böhm, c’est l’empereur romantique qui faisait fondre la jeune Romy Schneider dans Sissi. Pour les cinéphiles, c’est plutôt le célèbre Voyeur de Michael Powell, ce tueur névrotique obsédé par le visage de la mort à ce bref moment où la peur le fige dans le regard. Et pour répondre à son obsession incontrôlable, Mark Lewis (K. Böhm) tue des femmes et filme ses meurtres en essayant de capter la peur panique à cet instant où elles comprennent que la vie leur échappe. En un sens, Martyrs n’a finalement rien inventé. En 1960, alors qu’Alfred Hitchcock sortait son Psychose, Michael Powell allait signer une œuvre fascinante, qui malheureusement s’apprêtait à sombrer dans l’ombre du classique avec Anthony Perkins. Thriller psychologique dont la violence perverse était métaphoriquement très sexualisée (le trépied de la caméra servant d’arme était clairement un phallus transperçant les victimes en provoquant la jouissance de l’assassin), Le Voyeur sera un semi-échec car jugé trop malsain, trop violent, trop radical. En réalité, il était peut-être trop en avance sur son temps. Pour la première fois, Michael Powell se retrouvait en solo, sans son acolyte Emeric Pressburger, avec qui il avait signé de nombreux chefs-d’oeuvre tels que Le Conte Hoffman ou Les Chaussons Rouges. Et si pendant longtemps certains ont vu dans Le Voyeur, le début du déclin de Powell, le film fut largement réhabilité par la suite, et à juste titre. Quel film ! Quel choc ! Quel moment de cinéma inoubliable ! Ce n’est pas pour rien que Le Voyeur influencera de nombreux cinéastes comme Dario Argento, Brian De Palma ou Martin Scorsese. Dès sa séquence d’ouverture en caméra subjective, Le Voyeur frappe le spectateur, va le chercher, l’agrippe et l’implique dans le cauchemar sordide qu’il va mettre en scène. Ce cauchemar, c’est celui des victimes de ce psychopathe dont les exactions préfigureront ce que l’on appellera plus tard, les snuff movie. Mais ce cauchemar, c’est aussi celui d’un homme tourmenté, torturé, fou, dont les crimes filmés ne sont que l’expression de ses nombreuses frustrations. D’un point de vue psychologique, Le Voyeur est une cathédrale fascinante, un film d’une immense intelligence et d’une grande finesse derrière son côté « choc », un film qui aura quasiment inventé le slasher dramatique, ou plutôt le drame à tendance slasheresque. D’un point de vue artistique, dire que Powell était sur le déclin était une aberration. Au contraire, le cinéaste britannique s’y révèle prodigieux, inspiré, et pas seulement dans sa manière de mettre en scène sa plongée infernale dans l’esprit de ce sociopathe. Car au-delà de son histoire première sur les méfaits d’un tueur en série, Le Voyeur offre beaucoup de choses, dont une subtile réflexion sur le travail de metteur en scène, ou en somme, comment un réalisateur est lui-même une sorte de meurtrier qui « tue » la personnalité de ses comédiens pour les soumettre à ses désirs en absorbant leur âme grâce à son arme-caméra. Brillant. Si vous ne l’avez jamais vu, foncez découvrir Le Voyeur en version restaurée au cinéma. Si vous l’avez déjà vu, c’est l’occasion de le redécouvrir sur grand écran !
ADIEU POULET
De Pierre Granier-Deferre – (1975)
Genre : Drame – France
Avec : Lino Ventura, Patrick Dewaere, Victor Lanoux…
Sortie en Blu-ray le 29 mai 2018
Synopsis : Un candidat républicain, Lardette, défend l’ordre et la morale. Ses hommes de main attaquent des colleurs d’affiches de gauche. L’un deux meurt. Le commissaire Verjeat et l’inspecteur Lefèvre mènent l’enquête, avec des méthodes qui déplaisent fortement à Lardette.
Lino Ventura, Patrick Deweare, Victor Lanoux. Si ça c’est pas du casting ! Et c’est sans parler des seconds rôles où l’on retrouve Claude Rich, Pierre Tornade ou encore une Valérie Mairesse populaire à l’époque. Inspiré d’un fait divers réel survenu à Puteaux en 1971, retravaillé pour l’occasion par Francis Veber côté scénario, Adieu Poulet est l’un des films les plus célèbres de Pierre Granier-Deferre (Le Chat, La Veuve Couderc). Mêlant drame et polar politique, Adieu Poulet brille par la rigueur de sa mise en scène typique d’un certain cinéma français des années 70, par la finesse de ses dialogues ciselés au cordeau, par son efficacité, son ton sombre et les performances fascinantes de ses comédiens, dont un Dewaere qui s’était montré hésitant à incarner un flic (type de rôle qu’il pensait trop de lui) mais qui s’en tire avec le génie qu’on lui connaissait. Du bon cinéma français, solide, haletant, qui s’offre en fond, un propos sur les rapports entre justice et pouvoir. Un film à redécouvrir en version restaurée grâce à l’édition Blu-ray concoctée par TF1 Studio dans sa collection « Prestige », où paraissent également deux autres classiques du cinéma français signés Alexandre Arcady : Le Coup du Sirocco avec Roger Hanin et Dernier Été à Tanger avec le même Roger Hanin, entouré de Thierry Lhermitte, Jacques Villeret et Valeria Golino.
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LA VIE PRIVÉE DE SHERLOCK HOLMES
De Billy Wilder – 1970 – 2h05
Genre : Policier, Comédie – Angleterre
Avec : Robert Stephens, Colin Blakely…
Ressortie en Blu-ray le 03 mai 2018
Synopsis : Dans leur appartement de Baker Street, Holmes et Watson voient arriver une jeune veuve sauvée des eaux de la Tamise. Se nommant Gabrielle Valladon, cette dernière semble amnésique mais va vite retrouver la mémoire. Le fin limier et son équipier vont être entrainés dans une enquête hors du commun, où ils croiseront Mycroft Holmes, le frère de Sherlock, la reine Victoria et le monstre du Loch Ness.
L’immense Billy Wilder a toujours été passionné par la thématique du « couple » (ou du duo), qu’il soit amoureux ou amical. Cela n’a donc pas été une surprise que de le voir se pencher sur un duo de fiction mythique : Sherlock Holmes et son Dr Watson. Autre chose qui n’a pas été une surprise, voir le cinéaste se réapproprier le matériau de Sir Arthur Conan Doyle pour le traiter à sa manière, pour y injecter sa patte aimant à décrire les êtres humains en profondeur. Et sa manière sera juste jubilatoire. Avec La Vie Privée de Sherlock Holmes (le titre annonce déjà la couleur), Billy Wilder signe probablement l’une des meilleures adaptations de Sherlock Holmes au cinéma. Le cinéaste capte tous les éléments qui faisaient du célèbre détective, un personnage très atypique déjà dans l’univers de Sir Conan Doyle, et les intègre à son film dressant le portrait d’un Sherlock Holmes plus profond que jamais, à la fois réaliste, passionnant, fort d’une psychologie bien plus élaborée, et dépassant son seul statut de détective surdoué. Wilder en a fait tout simplement un personnage riche et complexe, n’écartant rien de sa vraie personnalité littéraire (élégant, extrêmement intelligent, doté d’une mémoire phénoménale), mais le présentant aussi comme un misogyne ayant une aversion particulière pour la gente féminine, comme un homme qui ne supporte pas l’ennui et le désœuvrement au point d’aller le chasser dans la cocaïne quand il est à court de mystères à élucider. Chez Wilder, Holmes est un vieux garçon célibataire dont le passé amoureux semble chaotique, un homme qui ne vit que pour ses enquêtes, qui en est accroc à un point qui tutoie la névrose. A tel point qu’il ne souhaite pas anéantir le crime car le crime est son moteur, sa raison de vivre, il a besoin de la criminalité pour exister, mais si possible, la criminalité la plus complexe qui soit car de son aveu, « les affaires simplistes ne l’intéressent pas« . Seuls les cas « extraordinaires » l’intriguent, ceux pouvant pleinement occuper son esprit foisonnant, refusant la facilité et la simplicité. Une approche plus mélancolique, à l’image d’un film très marqué par cette tonalité de « comédie amère », loin que ce qu’en fera plus tard Guy Ritchie avec sa saga pop-cool. La Vie Privée de Sherlock Holmes offre à voir une sorte de héros aux traits d’anti-héros, un génie torturé, névrosé, dévoré par ses obsessions.
Outre pour ses costumes et ses magnifiques décors de l’Angleterre victorienne signés du grand Alexandre Trauner, La vie privée de Sherlock Holmes brille de mille feux avant tout par la beauté et la finesse d’écriture de son scénario. Un script qui a tout de la pure enquête policière à tiroirs, passant de piste en piste (d’étranges nains disparus, les coulisses du gouvernement anglais, le Loch Ness…), de pays en pays (de l’Angleterre à l’Écosse), d’histoire en histoire, chaque nouvel élan débouchant sur un nouveau pan de l’enquête de nos deux compères. Mais fidèle à son style, Wilder va surtout apporter une grande touche humoristique à son œuvre, mais sans jamais lui laisser le loisir de prendre le pas sur l’histoire policière. La subtilité du mélange permet un équilibre gracieux, et Wilder use de tout son talent pour jouer sur les relations et les interactions au cœur de son tandem. A l’image de Joe et Jerry dans Certains l’aiment Chaud (Tony Curtis et Jack Lemmon), Wilder s’amuse avec la complicité d’un duo fonctionnant merveilleusement ensemble, l’un ne pouvant être amputé de l’autre. Les relations entre Holmes et Watson passent alors sous la plume jubilatoire et acidulée de Wilder et son fidèle comparse I.A.L. Diamond, qui vont les faire interagir comme ils apparaissent dans l’œuvre de Conan Doyle : comme un couple de vieux célibataires presque au sens marital du terme. Un couple dans lequel Holmes prend le dessus sur un Watson presque réduit à un rôle « féminin », ce que ne se prive pas de rendre Wilder de manière jubilatoire. Pour preuve, la délicieuse scène du ballet russe où Holmes se voit dans l’obligation de se faire passer pour gay, en couple avec Watson. Ce jeu de raquettes où les compères se renvoient constamment la balle dans des dialogues juteux, est évidemment le grand apport de Wilder à cette adaptation. Jouant sur cette complicité délicieuse, Wilder donne une profondeur aussi hilarante et jouissive que touchante à ce duo décalé et fusionnel, qui lance parfois le film sur les pistes de la comédie de boulevard, subtilement glissée dans un vrai bon film policier. En somme, deux heures de pur régal. Originellement, le script prévoyait une durée de 3h20 mais le film fut considérablement réduit au montage (2h05). Dommage car comme souvent chez Wilder, on voudrait que ça dure plus longtemps. Et cette heure en plus… que pouvait-elle bien comporter ? À l’origine, La Vie privée de Sherlock Holmes devait être une œuvre à épisodes, une saga séparée chacun par un titre. On ne la verra sans doute jamais mais rien ne nous empêche de rêver de ce director’s cut qui malheureusement n’existe pas… Cela dit, à défaut de director’s cut, la nouvelle édition Blu-ray concoctée par L’Atelier d’image a quand même de très belles choses à proposer. Outre le film en Haute Définition, c’est plus de 3 heures de bonus qui l’accompagne ! Au menu, des scènes coupées, un making of inédit, des entretiens, Christopher Lee, Billy Wilder, une fin alternative et même la présentation du film par Eddy Mitchell dans La Dernière Séance ! Du rêve.
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A samedi prochain !
Par Nicolas Rieux