Treizième Wall Ciné Pictures, notre rendez-vous « ciné-club » du samedi et ses trois idées de films à voir ou à revoir. Escale n°13, focus sur les débuts de Paul Newman et d’Arthur Penn, sur une bonne adaptation d’un jeu vidéo d’horreur japonais, et sur un nanar collector avec notre Christophe Lambert national !
LE GAUCHER
De Arthur Penn – 1958 – 1h40
Genre : Western – USA
Avec : Paul Newman, Lita Milan, John Dehner…
Synopsis : Un riche fermier adopte un jeune orphelin, William Bonney, surnommé Billy le Kid. Mais peu de temps après, lors d’une attaque, le fermier est assassiné par quatre hommes. Dès lors, Billy jure de venger son père adoptif et abat deux des malfaiteurs. Son ami, Pat Garrett, tente de le dissuader d’assouvir sa soif de vengeance, mais Billy tient à retrouver les deux autres responsables…
Précurseur de la vague qui amènera le cinéma hollywoodien vers la néo-modernité, Arthur Penn n’aura pas réalisé beaucoup de films en presque quarante ans de carrière. En revanche, la plupart seront, au choix, de bons films ou des classiques retenus par l’histoire. Le Gaucher fut son premier, bien avant les Poursuite Impitoyable, Bonnie and Clyde et autre Little Big Man. Pour ses débuts, Penn choisit d’illustrer pour la énième fois, l’histoire de Billy le Kid. James Dean devait incarner le célèbre gangster de l’Ouest mais suite à son décès tragique, le cinéaste se tournera vers un quasi-débutant répondant au nom de Paul Newman. Ce jeune premier de substitution aux yeux bleus (pas de bol, le film est en noir et blanc) va devoir apporter nuance et profondeur à un personnage voulu sympathique et empathique pour le public, tout en étant au fond, un criminel sans état d’âme, radical, ingérable et presque sociopathe. Malgré des libertés prises avec l’histoire réelle, Arthur Penn proposera une version à la fois superbe et contrastée du mythe du célèbre hors la loi. Le Gaucher tente d’humaniser la légende et de la présenter sous un jour éloigné du simple criminel impitoyable. Le réalisateur novice développe le personnage sur le plan psychologique et le replace dans une histoire à la Fureur de Vivre exaltant les émotions et lui conférant une dimension psychanalytique passionnante. Paul Newman interprète un hors la loi complexe, gamin paumé, aussi touchant de naïveté que violent et sans limites. Ici, Billy Le Kid n’est plus seulement un mythe glorifié et déformé, il devient surtout le symbole, pour l’époque, d’une jeunesse désemparée, perdue et sans repères, à la recherche d’un respect et d’un amour qu’elle n’a pas ou pas eu. Si le prologue très rapide et mécanique est maladroit, le reste du film, son refus du manichéisme, sa profondeur psychanalytique ou la superbe performance de Newman en jeune homme démesuré et excessif, parviendra à le hisser parmi les meilleurs efforts consacrés au Kid, aux côtés du Pat Garrett et Billy le Kid de Peckinpah. Détail amusant, l’erreur de montrer Billy Le Kid comme un gaucher ! Une erreur dont la preuve irréfutable ne sera apportée que bien des années plus tard, la légende s’étant établie sur les portraits de l’époque en oubliant que les techniques photographiques des premiers temps, inversait l’image au tirage ! Le Gaucher aurait donc dû s’appeler… Le Droitier !
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RÉSURRECTION
De Russell Mulcahy – 1999 – 1h44
Genre : Policier – USA
Avec : Christopher Lambert, Mike Anscombe, Jeff J.J. Authors, Leland Orser, David Cronenberg…
Synopsis : Quand l’inspecteur John Prudhomme et son coéquipier découvrent le cadavre d’un homme gisant dans un bain de sang, amputé d’un bras et sur lequel on a gravé un message et des chiffres romains, ils pensent immédiatement que la victime est la première d’une longue liste. Dans les jours qui suivent, un tueur en série parsème Chicago de cadavres consciencieusement mutiles. Prudhomme comprend bientôt qu’il ne lui reste que trois semaines pour empêcher ce maniaque de mener a bien son projet : reconstituer le corps du Christ pour la Pâques, le jour de la Résurrection.
Imaginons… Qu’est-ce qu’il se passerait si demain, le cinéma ne se mettait qu’à faire des chefs-d’œuvre ? C’est simple, les très bons films d’aujourd’hui deviendraient alors les films moyens de demain comparés à eux. Et hop, voilà un raisonnement qui justifie à lui-seul, l’importance d’avoir aussi des navets. Parce qu’ils permettent de mesurer à quel point certains de leurs voisins sont des bijoux. Les films nuls, c’est essentiel ! Et notre ami Christophe Lambert, il s’y connaît en bouses qui permettent de relativiser dans le cinéma. C’est même sa spécialité le malheureux. 1999, l’ancien réalisateur culte des 80’s qu’est Russell Mulcahy (Highlander, Razorback) recrute notre cricri national pour pondre une espèce de sous-Seven. Résurrection, c’est au film policier ce que Flunch est à la gastronomie française. Avec son histoire d’enquête menée par un tandem de flics, son tueur en série jouant avec la Bible, ses meurtres sordides et sadiques, son cadre citadin marqué par une pluie incessante et son ambiance sombre, Résurrection ne se fait pas chier pour pomper à tout-va le chef d’œuvre de David Fincher, le talent en moins mais la débilité en plus. Involontairement à hurler de rire, le film de Russell Mulcahy régale par un festival de scènes pour lesquelles le scénariste pourrait être pendu en place publique après s’être fait couper les deux mains à la tronçonneuse. Déjà que le jeu de Cricri Lambert est un handicap notable, lui coller dans les pattes des dialogues aussi bêtes n’était pas très sympa pour lui et pas très malin pour le film. Dans le haut du panier, on retiendra ce magnifique pléonasme de l’inspecteur découvrant sur sa scène de crime, « he’s coming » écrit en lettres de sang : « Ca, ça veut dire qu’il va y avoir d’autres meurtres à venir qui n’ont pas encore eu lieu« . Oui, c’est dans le texte. Passé ce grand moment de déduction digne de Sherlock Holmes, le festival peut démarrer, entre prise de tête au commissariat devant des additions complexes telles que 1+1 = 2 ou 5+1 = 6 (véridique), ou mieux, l’accompagnement d’un mourant à l’hôpital en lui racontant une blague foireuse dans l’ambulance pour essayer de le détendre ! Resurrection ou l’apothéose du navet impayable, un monument du nanar, un coup de génie de la sous-nullité ! Du bonheur. Le pire, c’est que David Cronenberg joue dedans…
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FORBIDDEN SIREN
De Yukihiko Tsutsumi – 2006 – 1h28
Genre : Epouvante – Japon
Avec : Yui Ichikawa, Jun Nishiyama, Leo Morimoto…
Synopsis : Yamijima, une île isolée au sud du Japon, a vu l’ensemble de ses habitants disparaître la nuit du 3 août 1976. L’unique survivant répétait en boucle : « La sirène sonne, n’allez pas dehors. » 26 ans plus tard, Yuki Amamoto s’installe sur l’île avec son père et son petit frère souffrant, dont elle s’occupe comme de son enfant depuis la mort de leur mère. À l’exception du médecin local, l’accueil réservé par la petite communauté insulaire est glacial. Yuki se voit conseiller de ne pas sortir dehors lorsque la sirène retentit et découvre un carnet relatif aux évènements de 1976. Elle vit alors une série de faits troublants…
Rares sont les bonnes adaptations de jeux vidéos. Pour un Silent Hill plutôt abouti, combien de Resident Evil, de Mortal Kombat, de Doom, de Super Mario Bros ou de Tomb Raider ratés… Alors quand on en tient une, autant en profiter. Avant d’être un film, Forbidden Siren était donc un jeu d’action horrifique développé sur Playstation. Sorte de prologue au deuxième opus sur le point de paraître à l’été 2006, le film de Yukihiko Tsutsumi (à vos souhaits) reprend partiellement des éléments de la mythologie originelle tout en s’éloignant ensuite de l’intrigue pour composer son affaire dans son coin. Le pari était audacieux et prenait des risques à l’égard des fans, mais il s’est avéré payant. Forbidden Siren transforme son essai en ayant l’intelligence de s’affranchir du jeu qu’il portait à l’écran plutôt que de s’y aliéner. Tout en gardant ses idées fortes, son pitch de base, son univers et surtout son atmosphère, le film s’auto-construit loin de son modèle en modifiant son scénario de sorte à parvenir à un très bon film d’horreur psychologique angoissant, fonctionnant tant par son histoire, que par son climat menaçant, ses personnages et surtout son cadre, une île pleine de mystères, étrange endroit de désolation où trône un petit village maritime tranquille et paisible. Paisible, sauf quand cette sirène surplombant les lieux, comme elle surplombe le film, se met à résonner. Une sirène qui semble figer la population. Tsutsumi conduit son suspens avec habileté, laissant la part belle au mystère, à l’inquiétant, aux interrogations. Bien écrit et mis en scène, Forbidden Siren aurait pu se montrer plus généreux dans les effets horrifiques (le jeu est interdit aux moins de 16 ans) mais Tsutsumi aura fait le choix de privilégier son ambiance pesante et délétère. C’est au final tout à son honneur, le résultat, indépendamment de toute considération vis-à-vis du jeu, s’avère réussi, avec ce mérite non négligeable, de ne pas se dégonfler comme un ballon de baudruche dans son dernier acte final, oscillant entre le magnifique et le terrifiant.
A samedi prochain !
Par Nicolas Rieux