Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Une Histoire de Fou
Père : Robert Guédiguian
Date de naissance : 2014
Majorité : 11 novembre 2015
Type : Sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 2h14 / Poids : 5,5 M€
Genre : Drame
Livret de famille : Syrus Shahidi (Aram), Simon Abkarian (Hovannes), Ariane Ascaride (Anouch), Grégoire Leprince-Ringuet (Gilles), Serge Avédikian (Armenak), Razane Jammal (Anahit)…
Signes particuliers : Le metteur en scène Robert Guédigiuan délaisse la légèreté de son délicieux « cinéma marseillais » pour s’attaquer à un sujet plus grave sur fond de commémoration et de devoir de mémoire. Une Histoire de Fou, présenté à Cannes, revisite le génocide arménien, et surtout ses conséquences passées et actuelles.
LE DEVOIR DE MÉMOIRE DE ROBERT GUÉDIGUIAN
LA CRITIQUE
Résumé : Berlin 1921, Talaat Pacha, principal responsable du génocide Arménien est exécuté dans la rue par Soghomon Thelirian dont la famille a été entièrement exterminée. Lors de son procès, il témoigne du premier génocide du 20ème siècle tant et si bien que le jury populaire l’acquitte. Soixante ans plus tard, Aram, jeune marseillais d’origine arménienne, fait sauter à Paris la voiture de l’ambassadeur de Turquie. Un jeune cycliste qui passait là par hasard, Gilles Tessier, est gravement blessé. Aram, en fuite, rejoint l’armée de libération de l’Arménie à Beyrouth, foyer de la révolution internationale dans les années 80. Avec ses camarades, jeunes arméniens du monde entier, il pense qu’il faut recourir à la lutte armée pour que le génocide soit reconnu et que la terre de leurs grands-parents leur soit rendue. Gilles, qui a perdu l’usage de ses jambes dans l’attentat, voit sa vie brisée. Il ne savait même pas que l’Arménie existait lorsqu’Anouch, la mère d’Aram, fait irruption dans sa chambre d’hôpital : elle vient demander pardon au nom du peuple arménien et lui avoue que c’est son propre fils qui a posé la bombe. Pendant que Gilles cherche à comprendre à Paris, Anouch devient folle de douleur à Marseille et Aram entre en dissidence à Beyrouth… jusqu’au jour où il accepte de rencontrer sa victime pour en faire son porte parole.L’INTRO :
En cette année 2015, le peuple arménien commémore le centenaire des tragiques atrocités commises au carrefour du premier quart du XXème siècle, alors que l’Europe était déchirée par la grande guerre et que le déclinant Empire ottoman sombrait. Un massacre « génocidaire » sur lequel le cinéaste Robert Guédiguian a voulu consacrer un film ne s’imposant comme la énième illustration des atrocités commises, préférant prendre du recul pour discuter de cent d’histoire. Un projet très ambitieux, présenté en Séance Spéciale au festival de Cannes, et pour lequel le réalisateur marseillais a pu compter sur le concours de quelques-uns de ses complices habituels, sa femme Ariane Ascaride, l’excellent Simon Abkarian ou encore Serge Avédikian.L’AVIS :
Une Histoire de Fou, dix-neuvième long-métrage de Robert Guédiguian, est l’œuvre testamentaire d’un cinéaste de plus en plus motivé par un vibrant désir du souvenir identitaire. Le metteur en scène a longtemps laissé de côté certains sujets personnels liés à ses origines arméniennes. Mais depuis quelques années, il semble être animé par un éveil de conscience. En tant que réalisateur, Guédiguian se sent le devoir de participer au travail de mémoire au nom de son peuple défiguré et traumatisé par un massacre, requalifié en génocide, dont l’essor de la médiatisation cherche par tous les moyens à faire pression sur l’Etat turc pour l’obliger à infléchir sa position vis-à-vis de la reconnaissance des faits. L’Arménie et la douleur du peuple arménien se retrouve donc de plus en plus fréquemment au cœur de son cinéma, comme en attestent des œuvres telles que Le Voyage en Arménie (2006) ou L’Armée du Crime (2009) sur le groupe Manouchian. Avec Une Histoire de Fou, Guédiguian tenait avant tout à réfléchir sur tout un tas de thématiques, allant des questionnements politiques au devoir de reconnaissance, de l’acte vengeur et ses conséquences au déracinement, en passant par la transmission du savoir, le pardon ou le travail de justice. Débutant en 1921 à Berlin avec l’assassinat de Talaat Pacha, un des bourreaux du peuple arménien, et le procès de la main qui l’a tué, avant de partir s’installer dans les années 70, entre Marseille, Paris et Beyrouth, sur les traces des descendants arméniens s’organisant pour œuvrer dans la lutte armée vengeresse sur fond de rétablissement d’une vérité pour l’Histoire et la postérité (l’ASALA ou Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie), Une Histoire de Fou est une fausse fresque n’ambitionnant pas le vaste portrait historique définitif mais cherchant plutôt à s’inscrire dans une contemporanéité réflexive, sur fond de souvenance.Courageux, même s’il a conscience que sa position est plus aisée que celle hautement sensible de certains de ses confrères de métier turcs auxquels il dédie le film (à l’image d’un Fatih Akin avec The Cut), Robert Guédiguian se lance avec Une Histoire de Fou, dans une vaste entreprise programmée non pas pour mettre en exergue un point d’histoire tragique qui ne manque pas de médiatisation, mais pour le réfléchir à la lumière d’un recul centenaire, en liant passé, présent et espoirs futurs dans un tout dialogueur et intéressant dans l’exploration de ses nombreuses perspectives, visant à soulever des interrogations dominant le seul récit. Fondé sur une poignante histoire entre fiction et historicité, symbolisant quasiment à elle-seule, cent ans d’histoire du peuple arménien, Une Histoire de Fou est un film à l’ampleur boulimique, peut-être justement trop dense pour qu’en ressorte un message fort et éclairé, le cinéaste ayant voulu aborder beaucoup de choses par la démultiplication des points de vu, au risque de seulement survoler certaines zones de son sujet, à défaut de les creuser en profondeur. Et même s’il s’en sort très honorablement avec un travail appliqué et documenté, soigneusement préparé avec clarté et poigne, son effort ressort comme une réussite en demi-teinte, intelligent mais appuyé, volontaire mais pêchant par excès de trop bien faire, pertinent mais rarement vibrant, questionneur mais laissant trop souvent le spectateur seul face à un discours flou dans ses intentions.Captivant, ludique et instructif grâce à la richesse de son scénario, Une Histoire de Fou est une œuvre à la fois personnelle et générale, souvent courageuse et passionnante, où l’on ne manquera pas de louer la démarche du cinéaste d’éviter de trop abandonner son film au dirigisme émotionnel, lui préférant une narration juste, ni trop ni pas assez pudique. Mais Une Histoire de Fou convainc autant qu’il laisse songeur sur ses fondements qui ne peuvent n’empêcher malgré eux, de verser dans la leçon d’histoire unilatérale. Historiquement parlant, on ne discutera pas de l’authenticité des bases de l’histoire (et de l’Histoire), même si certains points pourront tout de même prêter matière à débat alors que le film, légèrement hagiographique et focalisé sur sa démarche engagée, occulte ou truque par omission volontaire, certains arguments contradictoires recevables (le film insiste horriblement sur la responsabilité turque, oubliant trop souvent de mentionner l’Empire ottoman en lieu et place d’une Nation encore informée). Une vision partielle qui ôte au film une partie de sa lucidité et de sa pertinence alors qu’il semblait pourtant vouloir s’appliquer à être honnête, allant jusqu’à critiquer les oppositions intestines qui ont miné le combat de ces descendants arméniens désireux de rétablir la justice. De même, on émettra quelques réserves sur le discours final, le traitement accordé au terrorisme politique n’étant pas suffisamment discuté dans toute sa dimension du Bien vs Mal, se limitant à un sentiment de « mal nécessaire pour être entendu » qui plonge en plein désarroi interrogateur. On aurait aimé voir Guédiguian s’aventurer par exemple sur le point politisé, à peine esquissé, de l’écho international d’une tragédie qui a plus fait parler en quelques années d’actions radicales que sur plusieurs décennies de prise de parole sans éclat retentissant.Mais au-delà des points d’achoppement politico-historiques qui naîtront à coup sûr même si le film ne laisse pas place au débat, Une Histoire de Fou demeure un beau portrait des moments clés de l’histoire douloureuse d’un peuple traumatisé par une « horreur » qui quémande encore justice. Partiellement inspiré d’un fait réel (l’histoire du journaliste José Gurriaran, blessé dans un attentat avant de devenir l’un des meilleurs ambassadeurs du génocide arménien en Espagne), ce dernier Guédiguian essaie surtout de viser une certaine universalité. Pas sûr qu’il y parvienne avec son manque de nuance mais l’effort témoigne d’ambitions intéressantes, celle de raconter sans verser ni dans l’horreur insoutenable, ni dans le sur-mélo pathos, ni dans la rancœur acerbe. En cela, voir Guédiguian à la tête d’un tel film fait du bien au milieu de ce drame prenant des accents de tragédie grecque.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux