Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Saint-Laurent
Père : Bertrand Bonello
Date de naissance : 2014
Majorité : 24 septembre 2014
Sexe : Sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 2h30
Poids : Budget 12 M€
Type : Biopic, Drame
Livret de famille : Gaspard Ulliel (Yves Saint-Laurent), Jérémie Renier (Pierre Bergé), Léa Seydoux (Loulou de la Falaise), Louis Garrel (Jacques de Bascher), Amira Casar (Anne-Marie Munoz), Aymeline Valade (Betty), Helmut Berger (YSL âgé)…
Signes particuliers : Bertrand Bonello s’efforce de calquer sa mise en scène sur le mythe qu’il aborde et d’être à son image, audacieux, créatif et bougeant les conventions. Mais alors que Gaspard Ulliel est impressionnant dans le rôle de sa vie, Saint-Laurent coule, à mille lieux nautiques de son « rival » Yves Saint-Laurent. Un monument de pénibilité « arty » au montage déstructuré le desservant plus qu’il ne l’aide. Confus, prétentieux, embrouillé dans sa vision comme dans son approche, long, moins souple, moins fluide et moins ludique… Cet acte II ne passionne guère. Il est beau, certes, mais terriblement ennuyeux aussi.
LE CINÉMA FRANÇAIS VOIT (ENCORE) DOUBLE
LA CRITIQUE
Résumé : 1967 – 1976. La rencontre de l’un des plus grands couturiers de tous les temps avec une décennie libre. Aucun des deux n’en sortira intact. L’INTRO :
Yves Saint-Laurent, acte II. Après le biopic de Jalil Lespert sorti en début d’année, Cannes levait le voile sur la version Bertrand Bonello (L’Apollonide), autre vision de la vie du célèbre couturier qui n’a pas eu, contrairement à son concurrent, le soutien de la fondation Pierre Bergé. Un gage de liberté ? C’était tout l’enjeu autour de ce second film sur le même sujet en l’espace de quelques mois. Exit l’impressionnant Pierre Niney et place au travail d’artiste mimétique de Gaspard Ulliel cette fois-ci, qui enfile les lunettes du génie « ayant compris la femme » dans un film essentiellement centré sur la période 1967-1976 et sobrement baptisé Saint-Laurent, sans le « Yves », pour se démarquer de son voisin.L’AVIS :
Moins balisé par Pierre Bergé, Saint-Laurent offre une vision plus sombre du mythe YSL. Plus audacieuse aussi, moins classique que la version Lespert. Un film radicalement différend voire aux antipodes de son prédécesseur, évacuant certains personnages, allégeant la romance avec Bergé, remettant l’élégance et l’esthétisation au centre de tout, et se concentrant sur d’autres thématiques en se montrant moins hagiographique pour mieux creuser une période précise et un fil conducteur tout autre. Car surtout, le film de Bonello est moins glamour, davantage drame dur et torturé là où son concurrent essayait d’exalter la passion qui unissait la star de la Haute-Couture et son fidèle amour Bergé. Comme une autre face du miroir, ce Saint-Laurent pouvait dès lors être un bon complément pour essayer de saisir toute la complexité de l’homme. Mais visiblement, « la chienlit » était la thématique défendue par ce dernier Festival de Cannes 2014. Et Bonello aurait pu directement pointer sa caméra sur son bas-ventre et y écrire Saint-Laurent au marqueur rouge. Le résultat aurait été le même, un film nombriliste porté par le nom du génie de la mode.Bertrand Bonello a voulu tenter, expérimenter, semblable à l’artiste Saint-Laurent, il a voulu faire preuve d’audace et de créativité en bougeant les conventions, non pas de la mode mais du biopic. Sauf qu’il s’est planté, et en beauté. Confus avec sa narration éclatée manquant de maîtrise narrative et formelle (surtout niveau montage), tout est imprécis, embrouillé, vague, sans continuité. Bonello a voulu faire un biopic original et s’éloignant du classicisme, il se met en faillite avec une entreprise agaçante et ennuyeuse, festival d’ellipses et de sauts dans le temps perdant le spectateur dans un dédale incompréhensible manquant de souplesse et de fluidité, mais surtout plus grave, manquant d’un angle d’approche clair de son sujet. Car au final, on ne sait pas trop ce qu’a voulu raconter le metteur en scène. S’appesantir sur la fragilité d’Yves Saint-Laurent ? S’attarder sur son tempérament autodestructeur ? Parler de mode et d’élégance ? De ses amours versatiles ? Aborder la question des angoisses de l’artiste ? La pression écrasante qui l’acculait au pied du mur en permanence ? Ses pérégrinations sexuelles ? Son évident besoin d’amour et de reconnaissance ? Saint-Laurent brasse tout ça et d’autres choses dans un film singulier et sensoriel, hors-codes et conventions, mais résolument pénible, long et lassant, en plus d’être doublé d’une forme de prétention contraignant ses ambitions de fresque existentielle torturée. Et heureusement que l’on a vu le Lespert avant, qui ironiquement devient un matériau utile ici pour aider à saisir les petites choses qui nous échappe dans ce capharnaüm sans vision et à la déstructuration devenant plus un handicap qu’une force motrice. Bonello parle de tout et de n’importe quoi sans ligne de conduite éclairée, s’appesantit avec redondance sur certains points au risque d’en survoler d’autres, sabre tous ses personnages secondaires (la relation troublante avec Bergé est à l’image de ce dernier, faisant presque office de faire-valoir) et si Gaspard Ulliel est clairement exceptionnel, tenant là l’un des rôles de sa vie, reste que les 2h30 passées en sa compagnie se traversent comme un tunnel sans fin et assommant. Une heure en moins eut été appréciable mais Bonello avait visiblement envie de nous torturer plus longtemps et malgré des idées de mise en scène intéressantes mais répétées à plus soif et souvent engluées dans une rhétorique trop voyante -limite vulgaire- pour séduire, son Saint-Laurent rebute. Jalil Lespert avait signé un biopic humble, ludique, simple et instructif (tout en étant beau), intelligemment articulé sur les changements d’époques traversées par l’artiste torturé Yves Saint-Laurent, en essayant de livrer une peinture, si ce n’était définitive, au moins globalement complète vis-à-vis de son sujet. Un film à la facture classique, ce que Bonello rejette d’emblée. Lui veut s’inscrire en marge, il veut créer, s’abandonner et abandonner le spectateur à une œuvre vampirico-labyrinthique. Mais il joue à outrance la carte post-moderne, de la référence, de l’esthétisme tape-à-l’œil… Très long clip clinquant, interminable et pesant ne parvenant jamais à l’ivresse qu’il tente de déployer, son portrait tombe dans le clivage, se coupant du spectateur car trop occupé à s’enfermer dans ses dérives arty fatigantes. Un ouvrage complexe, confectionné avec talent, mais ne sachant pas garder pour lui ses belles coutures dorées qu’il exhibe sans pudeur. Même en étant peu féru de mode, Jalil Lespert arrivait à nous intéresser à un sujet vers lequel on ne serait pas forcément aller de nous-même. Bonello a voulu rétrograder tout cela en fond pour privilégier l’homme au-delà de son œuvre. Belle idée de départ pour un bel échec à l’arrivée. Saint-Laurent ne passionne jamais.
Extrait (en attendant la bande-annonce) :
Par Nicolas Rieux