Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : La Crème de la Crème
Père : Kim Chapiron
Livret de famille : Thomas Blumenthal (Dan), Alice Isaaz (Kelly), Jean-Baptiste Lafarge (Louis), Karim Ait M’Hand (Jaffar), Marine Sainsily (Eulalie), Marianne Denicourt (mère de Louis), Bruno Abraham-Kremer (père de Dan), Pierre-Ange Le Pogam (directeur), Moulou Achour (DJ)…
Date de naissance : 2014
Majorité : 02 avril 2014 (en salles)
Nationalité : France
Taille : 1h31 / Poids : Budget de 3,9 M€
Signes particuliers (+) : Sans juger et avec un profond attachement envers ses personnages magnifiques, cette plongée comico-dramatique dans les arcanes des grandes écoles n’est qu’un prétexte pour une brillante étude de mœurs analysant les maux et les misères d’une jeunesse contemporaine en perdition sentimentale et sexuelle, abandonnée au cynisme créé de la société actuelle. Un film d’une grande acuité, porté par de jeunes comédiens bluffants et un Kim Chapiron qui l’air de rien, poursuit avec logique le travail thématique entrepris avec Dog Pound.
Signes particuliers (-) : Malgré sa courte durée, La Crème de la Crème voit son brio s’essouffler un peu et ne réussit pas toujours à maintenir la barre aussi haute qu’elle n’est capable de le faire durant ses deux premiers tiers.
QUAND LA CRÈME TOURNE
LA CRITIQUE
Résumé : Dan, Kelliah et Louis sont trois étudiants d’une des meilleures écoles de commerce de France. Ils sont formés pour devenir l’élite de demain et sont bien décidés à passer rapidement de la théorie à la pratique. Alors que les lois du marché semblent s’appliquer jusqu’aux relations entre garçons et filles, ils vont transformer leur campus en lieu d’étude et d’expérimentation. La crème de la crème de la jeunesse française s’amuse et profite pleinement de ses privilèges : tout se vend car tout s’achète… mais dans quelle limite ?
L’INTRO :
La passe de trois pour le cinéaste Kim Chapiron qui, avec un solide groupe de jeunes acteurs pour la plupart inconnus, réalise son troisième long-métrage en l’espace de 9 ans. Un film sulfureux et « choc » pénétrant dans l’univers des grandes écoles de commerces, né d’une légende urbaine circulant sur un soupçonné réseau de prostitution œuvrant au sein d’HEC. A l’écran, l’illustration du mal-être notamment amoureux et sexuel, de la génération Y, définie comme englobant une partie des années 80, les années 90 et le tout début des années 2000.
L’AVIS :
Kim Chapiron est un cinéaste doué. Et ça on le savait. Quand il s’adonne au cinéma de genre avec Sheitan, il signe un film certes imparfait, mais qui a quelque chose en lui de suffisant pour laisser deviner un grand potentiel. Quand il aborde l’univers carcéral avec Dog Pound, c’est la confirmation. Avec plus de maturité, le réalisateur qui vient du collectif Kourtrajmé qu’il a cofondé, assène à une claque qui n’a d’égale que sa capacité à prendre à bras le corps son univers pour le faire littéralement exploser à l’écran par la justesse de son réalisme trouvant le parfait équilibre entre la puissance viscérale et la pudeur du refus d’un sensationnalisme simplement gratuit. Lieu iconique, jeunesse errante, délinquance juvénile, univers marqué par une présence forte physique ou morale, du sexe et de la violence, le cinéaste marque une véritable continuité logique dans sa carrière en poursuivant l’exploration de certaines de ses thématiques en changeant seulement de cadre. Du monde crasseux de la prison, le réalisateur tourne sa caméra à son extrême opposé, « l’élite de la nation » comme ils disent. En somme, la jeunesse des classes de prépa et des business school d’om sortent les plus grands dirigeants du monde économique. Tout ça pour montrer à quel point certaines choses ne changent pas, certaines récurrences se retrouvent… La Crème de la Crème est de ce genre de films que l’on pourrait qualifier de frontal. Percutant, décapant, à la fois drôle et dur, ce nouvel effort de Kim Chapiron est une petite claque qui manque de peu d’être magistrale par sa difficulté à être régulière sur la durée. Toujours est-il que le cinéaste témoigne une fois de plus de sa capacité à transcender la peinture du milieu auquel il s’attache par une acuité et un sens de l’observation pour en saisir les enjeux, qui forcent le respect. Si à bien des égards le film relève de la comédie drolatique, elle n’en reste pas moins un portrait sombrement dramatique, en parfaite corrélation avec son temps et son sujet. En gardant une distance adéquate pour ne pas y envelopper son travail, Chapiron pointe du doigt le cynisme des relations amoureuses et sexuelles qui sous-tendent les rapports de la jeunesse actuelle, et plus particulièrement ici de la petite ou grande bourgeoisie. Et au final de se rendre compte que cette jeunesse est tout aussi perdue, tout aussi déviante, tout aussi violente que les autres.
Sexe, pouvoir, calcul, la jeunesse dépeinte et représentée par les quelques protagonistes mis en exergue et bien sous tout rapport en apparences, est emblématique d’une époque malaxée par le consumérisme, le capitalisme, l’économie étouffante qui, petit à petit, a eu raison du naturel, de la sincérité, de la pureté, de l’innocence, des fondements de la vie. La Crème de la Crème est un film férocement acerbe, limite terrifiant dans ce qu’il montre en terme de transgressions et d’amoralité insouciante, ou trop au contraire trop consciente pour qu’elle puisse avoir l’emprise qu’elle devrait avoir sur ces jeunes anti-héros. Pourtant, Chapiron garde un profond attachement tendre envers ses splendides jeunes, tous incarnés par des comédiens impressionnants. Thomas Dan Blumentahl, le vrai intelligent à potentiel, la magnifique Alice Isaaz, pur self made woman portant une innocence de façade troublante, Jonathan Cohen, le gosse de riche énervant ou Karim Ait M’Hand, le « rebeu » rigolo en misère sexuelle, autant d’incarnation de différentes facettes de la jeunesse hype moderne que Chaprion ne dézingue pas, ne juge pas, mais sublime constamment pour qu’ils ne deviennent que l’incarnation vivante d’un propos fort.
Si La crème de la crème tombe parfois dans quelques travers et maladresses dessinant quelques automatismes faciles, si le discours peine à garder sa puissance au fur et à mesure de la progression du film qui recherche son second souffle passé deux premiers tiers de haute volée, reste que le tour a de la force, refusant la provocation gratuite ou le racolage voyeuriste pour se concentrer sur l’essentiel : une néo-jeunesse « trash » résumée à son état de misère, sentimentale, sexuelle, nouveaux fondements de la valeur humaine aux yeux d’autrui. C’est triste mais le constat est pertinent et intelligemment mis en scène à grand renfort de métaphores économico-sexuelles hilarantes mais redoutables de bon sens. Le sordide s’enlace brillamment au pathétique et à l’humour dans un vrai teen movie effrayant et judicieux.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux