A l’occasion de la sortie de son nouveau film KNOCK KNOCK, au cinéma le 23 septembre prochain, nous avons pu rencontrer le cinéaste Eli Roth (Hostel, Cabin Fever, Green Inferno), de passage au festival de Deauville pour y présenter en avant-première, ce thriller psychologique emmené par Keanu Reeves, Lorenza Izzo (son épouse à la ville) et Ana de Armas. Notre critique du film.
L’histoire : Un soir d’orage, Evan, un architecte, marié et bon père de famille resté seul pour le weekend, ouvre sa porte à 2 superbes jeunes femmes mal intentionnées…
A propos de Knock Knock, retrouvez également notre interview de l’actrice Lorenza Izzo.
Vos films sont souvent bâtis sur le même modèle narratif : d’abord, les personnages versent dans la débauche, puis ils sont punis pour ce qu’ils ont fait. Pensez-vous que l’on doit être puni lorsque l’on commet un pêché ?
Eli Roth : En fait, je plonge des personnages dans une expérience de thriller. Les questions de Bien ou de Mal, ce n’est pas mon job de juger mes personnages. Je ne juge pas leurs actions, je veux juste qu’ils soient vrais. Concernant la situation du personnage de Keanu Reeves, je pense qu’il est malheureux dans son mariage mais il essaie de ne pas le montrer. On a l’impression qu’il a une vie parfaite avec une belle femme, des enfants, plein de photos sur les murs… Mais quand on regarde de plus près, on voit qu’il ne fait presque plus l’amour avec son épouse, dès qu’il le fait remarquer, elle s’énerve et il s’excuse, ses enfants se moquent de lui pour sa coupe de cheveux… Tout le monde le traite comme s’il était un employé dans la maison. C’est la fête des pères et le catalogue de l’expo de sa femme arrive, ses œuvres artistiques sont partout dans la maison, on sent qu’elle domine le foyer. C’est censé être la fête des pères mais il doit travailler, et toute la famille part en weekend sauf lui. Juste ils partent et le laissent. Tous ces petits détails construisent ce qui va arriver. Ces deux magnifiques filles apparaissent à sa porte, et une opportunité se présente. Elles lui disent qu’il est cool, qu’il est beau et sexy, qu’elles l’aiment bien et ils font l’amour. Elles le chauffent et il ne se dit pas qu’il est malheureux avec sa femme. Il essaie de les repousser, de les faire partir. Mais ça arrive. Regardez l’affaire du piratage du site Ashley Madison. Il y a 37 millions de personne qui donnent de l’argent pour tromper leur conjoint. C’était censé être un secret, mais maintenant, tout le monde les connaît. C’est le monde dans lequel nous vivons. Un américain sur dix paye pour avoir une liaison. Visiblement, beaucoup de gens sont malheureux dans leur vie et ils essaient de le déguiser et de faire secrètement quelque-chose. Le côté « Liaison Fatale » avec la peur que votre femme le découvre, que vos voisins l’apprennent etc… Maintenant, ce sont des informations presque publiques ! Vous pouvez aller voir qui sont ces 37 millions de personnes, leurs noms, où ils vivent, leur numéro de carte bleue, leurs préférences sexuelles… C’est fou.
Ensuite, il y a ces deux femmes. Elles abusent des hommes et pour elles, ils sont tous pareils. Elles abusent du personnage de Keanu Reeves. Pour elles, toutes ses photos de femme et enfants, c’est des conneries. On pourrait même supposer que ces deux filles n’ont jamais existé, qu’elles ne sont que dans la tête de Keanu Reeves pour personnifier sa frustration et son désir de détruire cette vie. Dans Green Inferno, les jeunes qu’on voit, partent en croisade dans la forêt amazonienne, mais en réalité, ils s’en foutent. Tout ce qui leur importe, c’est d’être retweeté. Pour eux, cet endroit va être détruit de toute manière, mais quand il cesse leur protestation, CNN les suit et les retweete donc c’est une victoire, c’est leur degré de validation. Au fond, ils en ont rien à foutre de ces gens et de cet endroit qu’on détruit. Ils font ça pour de mauvaises raisons. Et on peut voir ça facilement aujourd’hui. Justin Bieber ou Rihanna tweete une vidéo en s’indignant sur le sort des enfants en Ouganda et en disant « Vous n’en avez rien à cirer de ça ? » Et deux semaines plus tard, tout le monde a fait suivre le truc, c’est la folie, les hashtag fleurissent partout « Sauvez-ci ou sauvez-ça« , #VousVousEnFoutezDe… #IlFautFaireQuelqueChosePour… On reçoit des relances, des pages Facebook à liker etc… En fait, les gens se servent des réseaux sociaux pour se donner bonne conscience et pour montrer aux autres qu’ils valent mieux qu’eux. Mais en fait, c’est parce qu’ils se sentent coupables de poster sur Instagram des photos de leur dernier resto, de leur nouveau bikini ou de leurs dernières vacances. Ils se sentent mal alors ils retweetent deux ou trois causes histoire de montrer qu’ils font quelque-chose de bien. Je pense que beaucoup de ça, c’est des conneries. Il y a vraiment des gens qui se préoccupent de ces causes et qui le font avec sagesse, mais la plupart font ça car c’est tellement facile d’appuyer juste sur un bouton pour faire croire qu’on se sent concerné par les autres. Tout ça pour dire, que je ne juge pas, ni dans Knock Knock, ni dans Green Inferno, je fais juste un commentaire sur ce que je vois arriver.Dans vos précédentes réalisations, le gore, le sang ou la torture physique, étaient des éléments qui faisaient partie de votre signature. Avec Knock Knock, vous avez un peu changé de registre. Le film est plus, un thriller psychologique. Quelle violence est la plus difficile à filmer, la violence physique ou la violence psychologique ?
Eli Roth : Nous avons eu quelques soucis pour filmer la violence sur Green Inferno car on a tourné au Pérou et les têtes coupées et les corps démembrés, ça ne faisait pas partie de leur culture et de leurs coutumes, ils n’avaient jamais vu ça, donc on a pas mal dû improviser pour créer tout ça sans avoir les accessoires et le matériel nécessaire. Mais tout est difficile. Sur Green Inferno, il y avait tellement de sang et tellement de gore. Avec Knock Knock, j’ai voulu laisser ça un peu de côté. Pour moi, c’est toujours difficile de tourner une scène quand on veut la faire bien. Knock Knock est un genre d’histoire très différent. Chaque histoire est comme une pizza. Si vous mettez trop de fromage ou trop de tomate, ça ne sera pas bon. Vous devez trouver la bonne balance des ingrédients. Chaque histoire requiert du fromage, de la sauce tomate etc… Mais il faut trouver le bon dosage. Knock Knock est comme une partie d’échecs ou de chaises musicales. Keanu fait un pas, les filles en font un aussi. Tout est question de manipulation. Et il y a une idée que je trouvais intéressante, c’est le fait que l’art n’existe pas. Qu’est-ce que l’art ? Est-ce l’art dépend de la valeur de l’objet ? Est-ce qu’on qualifie quelque-chose d’art car quelqu’un l’a appelé « art » ? Par exemple, prenez Hostel. Aux Etats-Unis, les gens ont taxé de film de pornographie trash. En France, Jean-François Rauger ou Le Monde disaient que c’était le meilleur film américain de l’année. Pour Les Cahiers du Cinéma, c’était presque le film de la décennie ! C’est pour ça que j’aime la France, vive la France ! C’est génial pour moi. En tout cas, c’est amusant de voir que pour certains, mes films sont de l’art alors que pour d’autres, c’est de la pornographie trash. Sur le fond, je m’en fous, je voulais raconter une histoire mais… Prenez ma mère, elle était peintre. Et j’ai toujours trouvé ça fascinant de voir que certaines de ses toiles étaient exposées dans des galeries et valaient des centaines de milliers de dollars, alors que d’autres finissaient à la poubelle car personne n’en voulait. Je trouve que c’est une idée assez terrifiante, en fait. Tout ce que vous avez chez vous, vos photos, vos objets de décoration, sont des objets précieux pour vous, dans votre appartement. Mais pour quelqu’un d’autre, ce sont juste des trucs à jeter à la poubelle. C’était une autre idée que je voulais exposer avec Knock Knock. La femme d’Evan (Keanu Reeves) est une artiste, mais qu’est-ce que l’art ? L’art est-il réel ou est-ce juste des conneries ?
Comment avez-vous choisi vos comédiens pour The Green Inferno ?
Eli Roth : J’avais rencontré Ana de Armas sur Aftershock. Beaucoup de personnes de l’équipe de Aftershock sont impliqués dans Knock Knock. J’avais casté Lorenza Izzo, qui jouait à mes côtés dans Aftershock, pour une série qui s’appelait Hemlock Grove. Et j’ai été impressionné par son jeu sur Green Inferno, d’autant que l’anglais n’est pas sa première langue. C’est l’espagnol. J’aime mettre en lumière de nouvelles stars. Lorenza est très talentueuse et Keanu se réinvente un peu. Il n’avait joué les pères de famille au cinéma avant Knock Knock. Les gens le voient comme une star d’action mais il est très bon dans les rôles plus dramatiques. Il est drôle, émotionnel, dramatique, vulnérable. Il pourrait être nominé à l’Oscar pour ce rôle ! Et l’alchimie entre Lorenza Izzo et Ana de Armas fonctionne à merveille. On les voit apparaître à l’écran et on se dit tout de suite « Oh putain… » Lorenza, je pense qu’elle peut devenir une star internationale. Elle peut tout faire et c’est une vraie aventurière, elle est comme moi, on se motive mutuellement.
Le fait d’avoir Keanu Reeves comme star du film, a t-il modifié votre façon de voir et de réaliser le film, de sorte à toucher un plus large public ?
Eli Roth : Pas du tout. Je pense qu’il était juste le meilleur acteur possible. Je n’avais pas besoin d’avoir une star, mais j’aime énormément Keanu Reeves. Et il correspondait bien au personnage du script. Dans le film, Evan a eu sa période dans les années 90, avec sa coupe de cheveux à la mode, son job de DJ… Et Keanu était une grosse star à cette époque lui-aussi, avec les Matrix ou Speed. Ça collait bien au personnage. Je suis content de tout ce qui arrive à Keanu aujourd’hui, avec son retour, John Wick et tout. Figurez-vous qu’il n’a jamais été père de famille au cinéma ! C’était sa première fois et il est très bien avec les enfants, je trouve. Il est comme Clint Eastwood ou Paul Newman, il a une carrière incroyable. Et vous savez, ce que j’aime chez Keanu Reeves, c’est qu’il a ce côté tellement vulnérable, tellement bon, il vous donne énormément. Mais généralement, travailler avec de très grandes stars, c’est quelque-chose de facile. Comme je suis aussi acteur en plus d’être réalisateur, j’ai eu l’occasion de bosser avec des mecs comme Brad Pitt par exemple, sur Inglorious Basterds. Et ce sont vraiment des personnes avec qui il est facile de travailler. Et Keanu est quelqu’un de très intelligent, il comprend vite les choses, le script et le reste. L’important quand vous écrivez un script, c’est de bien comprendre votre personnage sous tous les angles. J’ai beaucoup appris avec Quentin Tarantino pour cela. Et quand vous bossez avec quelqu’un comme Keanu Reeves, vous pouvez le pousser dans ses limites. C’est un acteur incroyable. C’était génial, c’était facile de bosser avec lui, et en plus, ça permet d’ouvrir pas mal de portes. Quand vous avez Keanu Reeves, les regards changent. Cela dit, quand il est arrivé, le film était déjà financé donc ça allait.
Il y a un grand nombre de films d’horreur ou de thrillers très basiques, et il y a vos films à vous. Vous placez toujours quelque-chose dedans, pour que le public réfléchisse, une idée, un message, une réflexion. Que vouliez-vous dire, dans le fond, avec Knock Knock ? Quelque-chose peut-être à propos des gens face à leur propre moralité, quelque-chose à propos du mariage ?
Eli Roth : Je pense que ce n’est pas mon boulot d’imposer ma propre moralité. Je présente une situation et des personnages, que je ne juge pas, et j’essaie juste d’être honnête dans la façon de raconter ce qu’ils font. J’aime le cinéma. Je pense que quand vous regardez une comédie ou un drame, vous pouvez les voir et les revoir à volonté. Certains vont rire ou pleurer à chaque fois. Les films d’horreur, c’est différent. Ils perdent beaucoup de leur force au fur et à mesure des visions, parce qu’un effet ne sera généralement pas aussi effrayant la deuxième fois. Et même si Knock Knock est plus un thriller, vous ne choquez pas les gens de la même manière à la deuxième ou à la troisième vision. Il vous faut donc donner au public quelque-chose de plus, pour qu’ils puissent le revoir. Tous les détails, dans la maison, dans les choses qui sont vandalisés, dans les œuvres d’art qui sont détruites, la subtilité des performances des acteurs, tout ça peuvent être des choses sur lesquelles les gens pourront s’attarder à la deuxième ou à la troisième vision. Pour moi, le fond du film est l’idée de la peur qu’une erreur puisse détruire tout ce que vous avez bâti. Ça parle aussi de la façon dont les gens construisent le malheur de leur vie. Si vous ne vous confrontez pas à un problème, il finira toujours par ressortir tôt au tard, d’une manière ou d’une autre, que vous le vouliez ou non. Dans une relation, vous pouvez agir comme si tout allait bien, et un jour, vous faites quelque-chose et vous vous dites « Mais pourquoi j’ai fait ça ? » Et vous réalisez que c’est parce que vous étiez intérieurement en colère, mais vous ne vous l’avouiez pas. Je ne cherche pas à dire que c’est bien ou mal, c’est juste quelque-chose que j’observe.
En France, Green Inferno va sortir directement en VOD (en e-cinema, plus précisément). Quel est votre point de vue sur cela ? Pensez-vous que c’est le futur de la distribution cinématographique ?
Eli Roth : J’ai entendu qu’en France, le film avait des problèmes de distribution car il est trop violent. Et du coup, il sort en e-cinema. Et je pense que c’est navrant. Je n’ai aucun problème avec le e-cinema, mais je trouve ça triste pour les fans de cinéma de genre, car ils sont privés de pouvoir voir Green Inferno sur un grand écran. Et tout ça à cause d’une personne ? Si j’étais en France, j’organiserai des manifestations et je ferai des pétitions en disant « Nous réclamons de pouvoir voir des films d’horreur dans les cinémas« , tout ça en boycottant les autres films ! Je ne maîtrise pas bien la culture française à propos de ça mais je pense qu’il n’y a que les fans qui puissent agir. Après, il y a sûrement des raisons pour qu’on en soit là. Je ne peux pas débarquer en disant ce que je veux. J’ai entendu dire que les gens vandalisaient les cinémas où l’on passait des films très violents. En tant qu’américain, c’est quelque-chose que je n’ai pas l’habitude de voir. Je pense que le e-cinema est quelque-chose de bien pour permettre à certains films d’exister. Mais à l’opposé, je trouve ça terrible qu’une personne décide pour tout le monde. Aux Etats-Unis, Knock Knock va sortir dans très peu de salles et plus en VOD car, pour beaucoup de distributeurs, la part de sexe est excessive. Keanu Reeves qui fait l’amour avec deux filles en même temps, et qui ont la moitié de son âge en plus, c’est trop dérangeant. Le vrai problème, c’est que le film devrait faire tant de rentrées d’argent et c’est compliqué. C’est comme si vous étiez dans une capsule où l’oxygène est limité. Vous avez un film comme Ant-Man, qui pompe tout l’oxygène, dans les cinémas, à la télé, dans les émissions, dans la presse. Et il ne reste pas assez d’oxygène pour les autres. Et il y a généralement 3 ou 4 grosses sorties chaque weekend. Et là, vous avez un film avec un sujet bien barré et très noir, avec un Keanu Reeves qui n’est pas dans un film d’action avec des super-héros sauvant le monde, mais qui par contre, baise deux nanas tarées… Les gens sont tout de suite nerveux. On pense tout de suite que c’est un film risqué et on le dirige vers la VOD pour amortir le coût.
Vous avez toujours dit être un immense fan de La Nuit des Morts-Vivants de Romero, que vous aviez découvert Alien étant jeune et que ça vous a marqué… Dans votre cinéma, les méchants sont toujours de simples êtres humains, exception faite de Cabin Fever. Vous n’avez jamais eu envie de créer votre propre monstre ?
Eli Roth : Oui, si seulement j’avais une histoire pour ça. J’ai toujours été intéressé par les histoires « réalistes ». Dans Cabin Fever, il était question d’une maladie, dans Hostel, c’était des gens qui torturaient d’autres personnes, dans Green Inferno, ce sont des gens qui s’engagent dans une cause dont ils ne connaissent fondamentalement rien, et enfin Knock Knock, c’est comment ruiner sa vie en une nuit à cause d’une mauvaise conduite. J’avais produit Clown de Jon Watts, Le Dernier Exorcisme était encore un tout autre genre. Mais j’aimerai bien faire un film avec un monstre, pourquoi pas.
Merci à Eli Roth, à Bossa Nova et Michel Burstein, à Okarina et Claire Chevalier, à l’organisation du festival de Deauville, et aux autres intervenants de cette table ronde.