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A GHOST STORY de David Lowery : la critique du film

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Carte d’identité :
Nom : A Ghost Story
Père : David Lowery
Date de naissance : 2017
Majorité : 20 décembre 2017
Type : Sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 1h33 / Poids : NC
Genre
: Drame, Fantastique

Livret de famille : Casey Affleck, Rooney Mara, Will Oldham…

Signes particuliers : Un parfum de chef d’oeuvre habite A Ghost Story.

JUSQU’À CE QUE LA MORT NOUS SÉPARE

LA CRITIQUE DE A GHOST STORY

Résumé : Apparaissant sous un drap blanc, le fantôme d’un homme rend visite à sa femme en deuil dans la maison de banlieue qu’ils partageaient encore récemment, pour y découvrir que dans ce nouvel état spectral, le temps n’a plus d’emprise sur lui. Condamné à ne plus être que simple spectateur de la vie qui fut la sienne, avec la femme qu’il aime, et qui toutes deux lui échappent inéluctablement, le fantôme se laisse entraîner dans un voyage à travers le temps et la mémoire, en proie aux ineffables questionnements de l’existence et à son incommensurabilité. 

Avec l’argent gagné en filmant l’adaptation live-action de Peter et Elliot le Dragon pour le compte de Disney, le réalisateur David Lowery a pu vite revenir au cinéma indépendant qu’il affectionne tant, et produire son troisième long-métrage, A Ghost Story. Dans ce drame fantastique acclamé au dernier festival de Deauville (Prix du Jury et de la Critique), le jeune cinéaste réunit à nouveau Rooney Mara et Casey Affleck, ce même duo de comédiens qu’il avait précédemment dirigé sur son premier film, Les Amants du Texas. Singulier et fascinant. Il n’aura suffi à David Lowery que de deux personnages, une petite maison et un drap, pour confectionner ce qui s’impose comme l’un des plus beaux films de l’année. Une réflexion existentielle magistrale et bouleversante, qui revient aux fondamentaux du cinéma pour exprimer toute la puissance de son sujet. A Ghost Story est lancinant, minimaliste, imagé, et s’appuie avant tout sur la pureté de son langage cinématographique fait de longs plans fixes taiseux mais si intelligemment composés, pour faire vivre sa juste et subtile métaphore teintée d’une mélancolie qui renverse tout sur son passage.

Une bicoque en bois dans la campagne texane, un jeune couple heureux dans ce nid douillet, puis un drame qui va faire voler en éclat cette paisible quiétude. Lorsque C est emporté par un accident de voiture, M se rend compte à quel point le bonheur et la vie sont des bienfaits précaires. A la morgue, le corps de C est recouvert d’un drap blanc. Un drap qui va soudainement se relever. Détaché de l’emprise du temps, le fantôme de M va revenir chez lui, et s’engager dans une vaste déambulation qui le conduira dans l’ombre de sa triste dulcinée, puis dans le champ du temps et de la mémoire, piégé dans une sorte de loupe existentielle. Si Ghost est le parangon du film de fantôme romantique à la sauce cinéma commercial, alors A Ghost Story est sa Némésis côté cinéma d’auteur. Profonde revisite du genre, voire même profonde refonte du genre, le film de David Lowery n’a de cesse de prendre le contre-pied de tout. Le contre-pied des codes du genre, le contre-pied de l’approche du genre, le contre-pied de la manière de narrer une histoire dans le genre ou de la représenter visuellement. En cela, A Ghost Story est un film unique, un petit miracle de cinéma, un film qui ne ressemble à aucun autre, et ça fait du bien. A travers son joyau que l’on pourrait qualifier d’abstrait, David Lowery narre l’odyssée d’un fantôme à travers les années, spectateur de sa vie passée qui s’enfuit, spectateur du deuil de ses proches, des changements, du temps qui passe sans lui, jusqu’à l’oubli, jusqu’à ce que tout soit balayé et redevenu poussière, comme dans une sorte de boucle infinie où passé présent et futur se confondent. Alors que sa femme est sonnée par sa soudaine solitude, ce fantôme au drap blanc reste là, hantant les lieux par sa présence hautement symbolique. Et alors qu’elle essaie d’échapper à ses souvenirs douloureux en fuyant, il reste là, car elle fuit sa peine, et qu’il est la représentation de celle-ci.

Dans A Ghost Story, il n’est pas question d’effets de peur ou d’épouvante, il n’est pas question de montrer un fantôme cherchant à communiquer en terrifiant les gens ou en essayant d’attirer leur attention. Non, chez Lowery, le fantôme n’est pas vraiment un « fantôme » au sens surnaturel du terme, il est plutôt une représentation, une métaphore, la matérialisation d’une idée et surtout d’un ou plusieurs sentiments. Et quelle plus belle manière pour incarner un propos que de le représenter dans une étourdissante simplicité, dans une vision imagée si simple qu’elle en deviendrait presque drôle. Drôle car déroutante, drôle car inattendue, drôle car on se demande pourquoi personne n’y a jamais pensé avant ! Pour David Lowery, son fantôme n’est là que pour véhiculer des idées. Il hante les lieux au sens littéral, pas au sens horrifique de la chose. Par conséquent, pas besoin de plus, un simple drap sur un homme suffira à faire passer l’idée. Simple et brillant, on peut pas faire moins prétentieux que A Ghost Story. La métaphore du deuil, de la représentation de l’absence, et surtout de la sensation de manque omniprésent, est matérialisée avec une simplicité déconcertante, et c’est probablement parce que le film n’a pas besoin d’artifices pour s’exprimer, que l’on en vient à se focaliser sur l’essentiel, son cœur et ce qu’il transmet. Avec son fantôme invisible, David Lowery matérialise le deuil comme le souvenir de quelqu’un qui est là sans qu’on le voit. C’est bien cela le deuil. C’est l’idée que quelqu’un s’en est allé et pourtant, qu’il est plus que jamais là par le souvenir, tellement là que sa présence fait mal tant il emplit les quatre coins de la pièce. Dans A Ghost Story, le cinéaste aurait pu scruter une Rooney Mara soudainement seule, abandonnée à sa tristesse. Mais ce n’est pas ça le deuil. Le deuil, c’est exactement ce que vit ce personnage si bouleversant. C n’est plus là physiquement mais sa présence hante tellement ces lieux dans lesquels ils ont partagé tant de choses, qu’il est là sans l’être. Compliqué à expliquer et pourtant si simple à comprendre et à ressentir. Et sobrement, avec beaucoup de poésie et d’humanité, Lowery de montrer tout cela. Un fantôme qui est là car le souvenir de l’homme qu’il a été est encore partout entre les murs de cette ancienne maison du bonheur. Il est là et il contemple impuissant, la détresse de ses proches, de sa femme désemparée, qui peut rester de longues minutes assise à manger une tarte en regardant dans le vide alors que le drap occupe le fond du cadre…

Avec A Ghost Story et son fantôme au simple drap blanc, présence invisible humanisée avec un anti-lyrisme vibrant qui utilise le fantastique à des fins métaphysiques, David Lowery signe un film habité par un doux parfum de chef d’œuvre vertigineux, sorte de petit miracle et de conte tragique que l’on pourrait retourner dans tous les sens en y voyant à chaque fois, de nouvelles choses. Car si certains y verront cette métaphore du deuil, de l’absence et de l’acceptation, d’autres pourront y déceler des choses bien différentes. Comme une œuvre insondable sur l’âme par exemple, sur ce qu’il reste après la mort du corps, ce que l’on devient, ce que loin fait. Ou encore comme une œuvre métaphysique sur la vie, la mort, l’espace, le temps et l’au-delà. Ou encore comme une simple histoire de fantôme bloqué dans une boucle temporelle à la recherche d’une sortie à sa déambulation éternelle.

Quoiqu’il en soit, A Ghost Story est un tour de force envoûtant, à tous les égards. Un tour de force formel d’abord, alors que David Lowery réinvente un genre en prenant ses codes à l’envers, non pas par prétention ou pseudo-génie calculé, mais seulement par humilité et envie de transmettre des sentiments avec une immense pureté du langage. Surtout, le metteur en scène part d’une idée pour aller vers le genre et non l’inverse. Résultat, A Ghost Story a des choses à dire au-delà de son ancrage au fantastique, qui devient d’ailleurs presque dérisoire tant on délaisse l’aspect surnaturel pour s’attacher plutôt à une balade douce-amère, cristallisant l’émotion et philosophant avec le temps. A ce propos, le film cherche constamment à associer représentation et manière de le représenter. Poussant l’idée de la présence du souvenir jusqu’à son paroxysme et matérialisant ledit souvenir à travers un fantôme vêtu d’un drap, A Ghost Story prend un ton austère et narre son récit avec une lenteur qui a pour but de nous faire partager la torpeur lancinante de ses personnages, ce fantôme qui erre et cette femme qui pleure, deux êtres désormais privés de sens, de but, sonnés, perdus et désemparés. Logiquement, les partis pris esthétiques et narratifs extrêmes choisis par Lowery, risquent de braquer. Car désireux d’aller jusqu’au bout de son processus, A Ghost Story ne fait rien pour se faire aimer avec son absence de rythme, son austérité formelle et ses plans à rallonge (Rooney Mara mangeant une tarte pendant 8 minutes en plan fixe). Et en même temps, dans une période de deuil, on n’a plus de rythme, tout est chaos et le temps est déstructuré. Superbe et si intelligent. Tout fait sens dans A Ghost Story, du fond à la forme, de la narration et à sa représentation, rien n’est en trop, rien n’échappe à une beauté insaisissable. Comme ce choix d’un format 4:3 aux bords arrondis, qui rappelle les vieux films de vacances tourné en Super 8. Le souvenir est sans aucun doute l’idée au cœur de tout dans A Ghost Story, et un tel choix est finalement d’une logique imparable. A Ghost Story, ou cet étonnant et formidable petit chef d’œuvre, qui viendra brillamment conclure l’année 2017.

BANDE-ANNONCE :

Par Nicolas Rieux

 

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