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THE CUT de Fatih Akin
Critique – Sortie Ciné

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note 6 -10
Carte d’identité :
Nom : The Cut
Pères : Fatih Akin
Date de naissance : 2014
Majorité : 14 janvier 2015
Type : Sortie en salles
Nationalité : Allemagne, France
Taille : 2h18 / Poids : NC
Genre : Drame, Historique

Livret de famille : Tahar Rahim (Nazaret), Simon Abkarian (Krikor), Makram Khoury (Omar), Hindi Zahra (Rakel), Kevork Malikyan (Hagob), Bartu Küçükçağlayan (Mehmet), Trine Dyrholm (directrice de l’orphelinat), Moritz Bleibtreu (Peter)…

Signes particuliers : Le surdoué germano-turc Fatih Akin s’empare de la question épineuse du génocide arménien pour un film historiquement important.

UNE FRESQUE SUR LA QUESTION DU GÉNOCIDE ARMÉNIEN

LA CRITIQUE

Résumé : Anatolie, 1915. Dans le tumulte de la Première Guerre mondiale, alors que l’armée turque s’attaque aux Arméniens, le jeune forgeron Nazaret Manoogian est séparé de sa femme et ses deux filles. Des années plus tard, rescapé du génocide, Nazaret apprend que ses filles sont toujours en vie. Porté par l’espoir de les retrouver, il se lance dans une quête éperdue, ponctuée de rencontres avec des anges et des démons, du désert de la Mésopotamie aux prairies sauvages du Dakota…THE CUT 1 L’INTRO :

Il est certainement l’un des cinéastes allemands parmi les plus passionnants qui soit à l’heure actuelle et chacune de ses œuvres fait l’objet d’une attente viscérale de la part des cercles cinéphiles amateurs du meilleur du cinéma d’auteur européen. De la part des festivals les plus huppés aussi, où le germano-turc tient régulièrement une place qu’il n’aura d’ailleurs jamais usurpée. Découvert en 1998 avec le thriller dramatique L’Engrenage (prix à Locarno), Fatih Akin nous aura dévasté avec Head-On en 2004 (Ours d’or à Berlin), puis une nouvelle fois avec De l’Autre Coté en 2007 (Prix du Scénario à Cannes) avant de séduire gentiment par son segment de New York, I Love You en 2008, parenthèse mineure avant de mieux revenir avec le drolatique Soul Kitchen en 2009 (Grand Prix à Venise)… Pluridisciplinaire, également à l’aise dans l’exercice du documentaire (Crossing the Bridge ou Polluting Paradise), Akin a depuis belle lurette gagné ses galons d’artiste respecté au talent monstre. Mais son retour au cinéma cinq ans après Soul Kitchen, se sera fait dans la douleur et n’a pas fini de faire jaser. Le cinéaste prend des risques, s’aventurant sur le terrain glissant du génocide arménien à travers une fresque fleuve dont l’histoire s’étale sur dix ans et trois continents, s’attachant au destin de Nazaret (le français Tahar Rahim), forgeron arménien entraîné dans la spirale infernale de la violente histoire ottomane à l’Empire déclinant, sur fond de Première Guerre Mondiale. A la base, Fatih Akin avait en tête un projet de film sur le journaliste arménien Hrant Dink, assassiné par un nationaliste stambouliote en 2007. N’ayant pu trouver d’acteur turc souhaitant incarner le personnage par peur des représailles, il s’est tourné vers cette autre histoire qu’il aura développé pendant près de sept ans. Présenté en compétition à la Mostra de Venise, The Cut se sera attiré des foudres croisées, venant de Turquie où le sujet très sensible, n’aura pas été du goût de l’extrême droite. Mais de la presse internationale également, pas tendre avec la dernière œuvre du metteur en scène jugée décevante malgré son « importance ».

the cut 2L’AVIS :

Fatih Akin a vu grand avec The Cut, fresque aussi ambitieuse que périlleuse, abandonnée à un sujet hautement complexe et fortement politisé sur fond de tensions encore vives autour de la question épineuse du génocide/massacre (selon les points de vue) arménien. Mais très intelligemment, le cinéaste ne souhaitait pas sombrer dans la pure polémique dénigrante. A l’opposé d’une quelconque démarche fondée sur des considérations haineuses (façon le Ararat de Egoyan), le metteur en scène a voulu livrer un immense drame historique à la fois épique et intimiste, dont le but était avant tout fédérateur, réconciliateur, et questionneur de notre rapport à l’Histoire. Soulevant le voile sur un tabou qu’il considère à raison comme « interdit et dangereux », Fatih Akin a opté pour une voie identificatrice, nourrie à l’émotion et à la complexité, permettant aux turcs comme aux arméniens, de s’identifier aux personnages, à l’idéologie et à la représentation faite, espérant ouvertement que son œuvre participerait non seulement au devoir de dialogue et de reconnaissance, mais aussi à la mise en lumière d’un traumatisme pour lequel il pense la Turquie (à laquelle il appartient rappelle t-il) suffisamment mûre pour recevoir cette œuvre nécessaire, sans prétention aucune. S’il se révèle dur visuellement et dramatiquement, The Cut n’accable pas, The Cut essaie d’œuvrer pour le dialogue, dessinant les responsabilités de tout le monde, de l’Empire Ottoman à la jeune nation turque en passant par l’Allemagne qui « a laissé faire ».the cut 5

Œuvre riche à la croisée de bien des références diverses, allant de Youssef Chahine à Elia Kazan (on pense inévitablement au puissant America, America) en passant par David Lean, Scorsese (le coscénariste du film Mardik Martin ayant travaillé sur Raging Bull ou Mean Streets) voire Preminger (certains citant Exodus), The Cut – La Blessure est un récit puissant, profondément déchirant, passionné, s’attachant à une trajectoire personnelle capable de s’ouvrir de l’individuel au collectif avec acuité et lucidité. On aurait aimé alors voir ce nouvel effort d’Akin se hisser au rang de chef d’œuvre absolu et définitif. Mais The Cut ne tutoie pas les sommets atteints par Head-On ou De L’Autre Coté. Car malgré la splendeur et la force de son récit de courage, d’abnégation et de survie, malgré ses nombreuses idées et quantité de séquences dévastatrices, c’est sur la forme trop à l’ancienne et parfois archaïque qu’il pourra être critiqué. Peut-être un peu dépassé par l’ampleur de son projet ou parfois trop aveuglé par la portée de son message au point d’en oublier les considérations esthétiques, lui qui jusqu’ici a toujours eu l’habitude d’un cinéma plus intimiste, Fatih Akin ne se révèle pas toujours adroit dans la mise en image de son histoire, possiblement gêné aussi par un certain manque de moyens, malgré le fait qu’il s’agisse là d’une production confortable à 16 millions d’euros, ayant fédéré une dizaine de pays. Des décors parfois très artificiels, quelques raccourcis scénaristiques cédant aux clichés, quelques excès mélodramatiques trop appuyés et une poignée de scènes balbutiantes, tiraillées entre la volonté de lyrisme confectionné dans le classicisme et le maladroit par manque de maîtrise de cet exercice qui ne correspond pas à la zone de confort habituelle d’Akin. De là à condamner l’œuvre toute entière ? Certainement pas. the cut 4

The Cut est un film sincère, un film important, dont la portée, la teneur et l’existence, passent au-delà de son formalisme. Incarné par un Tahar Rahim impressionnant en personnage silencieux marqué par « la blessure » souligné par le sous-titre français, ce nouveau Fatih Akin a du mérite. Et ses défauts finissent par se noyer dans l’ampleur d’une œuvre également capable d’être magistrale d’être ses erreurs formelles.

 

BANDE-ANNONCE :

Par Nicolas Rieux

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