A l’occasion de la sortie du nouveau film de Jean-Paul Rouve Les Souvenirs, nous avons pu rencontrer le comédien-réalisateur qui nous a parlé de son troisième long-métrage, en salles à partir du 14 janvier prochain. Les Souvenirs s’attache à Romain, 23 ans. Il aimerait être écrivain mais, pour l’instant, il est veilleur de nuit dans un hôtel. Son père a 62 ans. Il part à la retraite et fait semblant de s’en foutre. Son colocataire a 24 ans. Il ne pense qu’à une chose : séduire une fille, n’importe laquelle et par tous les moyens. Sa grand-mère a 85 ans. Elle se retrouve en maison de retraite et se demande ce qu’elle fait avec tous ces vieux. Un jour son père débarque en catastrophe. Sa grand-mère a disparu. Elle s’est évadée en quelque sorte. Romain part à sa recherche, quelque part dans ses souvenirs…
Comment avez-vous travaillé avec David Foenkinos sur l’écriture du scénario, adapté de son livre ?
On a adapté à deux. David avait déjà commencé à travailler dessus et on s’est dit rapidement qu’on voulait augmenter le degré de comédie. Il n’y a que les trois quarts du livre. Il continue après. C’est presque une autre histoire car on voulait se concentrer sur le personnage de la grand-mère. Et puis on a créé des personnages qui n’existaient pas dans le livre, comme le colocataire. On a développé le rôle du père, on a adapté comme on dit.
Pourquoi ce livre ? Qu’est-ce qui vous a touché ?
C’est David Foenkinos qui m’a contacté. On se connaissait par l’intermédiaire d’Emilie Simon qui avait fait la musique de son film La Délicatesse et de mon précédent. Il avait vu mon film, qu’il avait aimé, et il s’est dit qu’on pouvait bien s’entendre. Et en effet, on avait beaucoup de points communs sur la façon de voir la vie, les choses. Et je me suis retrouvé dans le livre sur les choses dont j’avais envie de parler, les relations intergénérationnelles, les rapports père/fils, le temps qui passe…
Comment s’est déroulé le choix des comédiens ?
Annie est arrivée tout de suite, dès l’écriture. J’ai pensé tout de suite à elle. Tout le monde était étonné car ce n’était pas une évidence mais je l’avais vu dans plein de films et j’étais sûr qu’elle serait parfaite. Puis Michel Blanc est arrivé aussi. Chantal Lauby ensuite. Je voulais construire ma famille. Pour le jeune Mathieu Spinosi, j’ai casté une trentaine de jeunes entre 20 et 25 ans. Je voulais que la famille soit crédible et Mathieu m’a semblé le mieux.
David Foenkinos n’est pas intervenu ?
Non, il n’était que sur le scénario. Ensuite, il s’est dit que c’était mon film donc… Après, je l’ai tenu au courant de plein de choses car c’est mon pote. Ca me faisait plaisir de lui en parler mais il n’est plus intervenu après le script.
Comment s’est passée la réécriture pour passer du livre au scénario ?
Ca a pris un an environ. On se voyait avec David, on écrivait. Après, parfois, je tournais donc il avançait. Lui, il partait dès fois en tournée donc on s’envoyait des mails pour des scènes. On se renvoyait ce qu’on faisait. On a pas eu de méthode précise.
Est-ce qu’il y a un côté autobiographique , Vous vous retrouvez dans quelqu’un ?
Non, déjà, c’est le livre de David… Même concernant David, ce n’est pas autobiographique. Ce n’est pas sa vie. Il y a des choses personnelles, pour lui comme pour moi, mais rien d’autobiographique. C’est inventé.
David dit que vous avez eu beaucoup de talent pour rajouter des situations comiques. Lesquelles ?
Tout le colocataire, qui n’existe pas dans le livre, déjà. La scène de l’office du tourisme aussi. C’est symbolique du travail d’adaptation. Dans le livre, Romain (le héros – Mathieu Spinosi) lit un dépliant. Mais ce n’est pas cinématographique. Donc, j’ai écrit cette scène avec Blanche Gardin. Le pompiste y est aussi, mais la deuxième partie est différente. J’ai développé des personnages secondaires come le mec qui doit rapatrier un corps et qui est comme un vendeur de chez Darty. Il parle d’un corps comme il parlerait d’un frigo. La directrice de la maison de retraite est différente aussi, dans le livre. On a rajouté des vannes, même sur le tournage.
Concernant le personnage du gérant de l’hôtel que vous jouez, qu’est-ce qui vous a fait dire « c’est pour moi » ?
Non, ça s’est fait comme ça. Dans le livre, il a l’âge du personnage de Michel Blanc. Je ne voulais pas qu’il soit en concurrence avec lui dans l’esprit de Romain. Je ne voulais pas que ça soit comme un père de substitution. Que Romain soit un fils de substitution pour lui, ok, mais pas le contraire. On l’a donc rajeuni. On l’a rendu plus comique et comme c’était des vannes que j’aurai pu dire, je me suis dit « je vais le faire, c’est marrant ». Ca m’a pris que deux jours de tournage donc, ça allait. Quand on fait un casting, on pense à des acteurs et tout et c’est venu naturellement. Ca n’allait pas plus loin que ça. J’en ai parlé aux producteurs et ça fait des économies.
Pas de côté, j’ai envie de passer devant la caméra et de pas seulement rester derrière ?
Non, pas du tout. Des films, j’en fais plein, je n’avais pas besoin de ça. Mes autres films, j’avais joué dedans et c’est très fatigant de jouer et de tourner en même temps. Là, je voulais me consacrer vraiment à la réalisation. Je ne devais pas jouer dedans à la base mais voilà, c’était deux jours donc c’était cool.
Comment vous avez travaillé sur les décors car c’est à la fois réaliste et intemporel ?
C’est important pour moi les décors. Je bosse d’abord avec un repéreur qui les trouve puis mon chef déco qui les aménage. Ce que j’aime, c’est que ce soit fidèle à la vie. Par exemple, dans l’appart de Romain avec son coloc, mon chef déco allait le décorer mais ça ne me plaisait pas. On n’aurait pas été dans la vie. Ils ont passé des petites-annonces pour trouver un vrai appart de coloc. On a rien changé dedans. C’était ça, c’était la vie. Pareil pour les costumes. Quand on me demandait ce que je voulais, je disais de regarder les personnages, ce qu’ils font comme métier, combien ils gagnent par mois. Et en fonction, on fait ce qui est vrai. Idem pour la maison où les parents habitent. Je veux construire des univers qui soient réalistes. Ca me gêne dans les films quand j’y crois pas. Des étudiants qui vivent dans 200 mètres carrés à Saint-Germain des Près, c’est pas la vie. Dans le cinéma que j’aime, faut être dans la vie.
D’ailleurs, dans le film, il y a des marques. Il y a eu du placement de produits ?
Non. La pub, les marques, c’est la vie. Ca fait parti de notre vie. Pareil, je ne supporte pas dans un film, quand on voit une bouteille tournée pour pas qu’on voit la marque. Je supporte pas quand dans une salle de bain, y’a 15 produits de la même marque. C’est pas la vie non plus. Il y a des choses qu’on a placées, on les met mais après, au montage, je coupe souvent. Je ne fais pas attention à ça au montage. S’il y a une bouteille ou quoi, je fais pas attention. C’est une marque, ça pourrait en être une autre.
Quelle était votre positionnement vis-à-vis de la direction d’acteur pour des comédiens comme Michel Blanc, qui est très expérimenté ?
Vous savez, les acteurs, plus ils sont importants, et plus ils sont humbles et simples. Michel, sur un plateau, c’est un acteur comme un autre. Il est au service. C’est ça être acteur. Quand on est acteur et qu’on choisit un film, on décide de rentrer dans l’univers de quelqu’un. Si on décide de rentrer dans l’univers de quelqu’un avec son propre univers, ça n’a aucun intérêt. Autant faire son propre film. Comme il fait des films lui-même, Michel le comprend d’autant plus.
Le film est très structuré. C’est un choix de réalisation ou c’était déjà comme ça dans le livre ?
Non, ce n’est pas comme ça dans le bouquin. C’est un choix pour illustrer le cycle de la vie.
Pour revenir à la direction d’acteurs, vous disiez que ce n’est pas autobiographique et pourtant, c’est très juste. Comment on fait pour diriger des acteurs dans des situations si justes quand ce n’est pas autobiographique ?
Ca n’a pas de rapport. On peut parler de choses sans les avoir vécu. Quand Kubrick fait 2001, L’Odyssée de l’espace, je ne pense qu’il y soit allé. Et c’est fabuleux. La vérité, on la retrouve partout, c’est la justesse de la vie. On le ressent. La justesse, on la sent tout de suite. Pas besoin de les avoir vécu. Ca peut même être un frein parfois d’avoir vécu les choses, car ça vous emmène dans un chemin balisé puisque c’est votre vie.
En tant que réalisateur, quelles sont vos références ?
Beaucoup. Quand je prépare un film, je ne regarde rien, je ne veux pas. Mais sinon, des gens comme Sautet, comme Pialat ou Claude Berry dans sa première partie (Sex Shop, Je Vous Aime, Le Maître d’école). Le cinéma-vérité que j’aime. Après, il y a des cinéastes que j’aime et je regarde comment ils travaillent. Paul Thomas Anderson, par exemple. Je suis nourri de plein de choses, y compris celles qu’on n’aime pas. Mon but est que ce soit le plus naturel possible.
Pour revenir encore au jeu d’acteur et votre volonté de faire dans le réalisme, la maison de retraite, c’est une vraie maison de retraite ?
Oui, c’était une vraie et on tournait avec de vrais gens. On tournait et on leur disait de vivre comme d’habitude, de faire des choses, et j’allais chercher des plans. A un moment, une femme passe en disant qu’ils sont très gentils etc… On croit qu’elle parle de la maison de retraite mais elle parle de l’équipe en fait. J’essayais de capter cette vérité. La scène de repas, on était au milieu de la vraie cafétéria. Les gens dans les maisons de retraite, ils mangent à 11h30 et c’est 11h30, pas midi. Sinon, y’a une émeute. Donc, ils mangeaient et on tournait au milieu. On changeait rien à leur vie, on s’immisçait. Avec leur accord, bien sûr. Pareil pour l’hôpital, on a tourné aux urgences d’un vrai hôpital, chose compliquée. On se mettait loin et voilà. C’est la vie. La scène où Chantal Lauby est à un arrêt de bus, pareil. On a tourné à Pigalle, sans autorisation, rien, dans la rue. Elle avait une oreillette et voilà. L’école aussi. C’était de vrais écoliers, ils ne savaient pas qui était Annie Cordy, ils avaient préparé de vraies questions, qu’Annie ne connaissait pas. Elle a répondu. Pour essayer de prendre la vie au maximum.
Pourriez-vous nous parler du choix des musiques ? Il y en a peu mais elles sont fortes.
C’est Alexis Rault qui compose la musique. J’aime bien bosser très en amont sur la musique. Dès le scénario. Alexis Rault a commencé à travailler dès le script. Il l’a lu et m’a proposé des thèmes. Je disais oui ou non. Je n’aime pas quand il y a beaucoup de thèmes dans un film. Pareil, je n’aime pas monter avec d’autres chansons et changer après. La musique ne doit pas habiller une scène mais être nécessaire. Souvent, au tournage, je sais où je mettrais de la musique. Ensuite, il y a eu la chanson de Julien Doré. C’est un peu un hommage à Truffaut. Que reste t-il de nos amours ? est dans Baisers Volés. C’était Charles Trenet donc ça représentait la grand-mère et je me suis dit que Julien Doré représentait bien la jeune génération et la bonne variété française d’aujourd’hui. Ce sont deux univers bien réunis et Julien est fort pour ça, respecter une œuvre tout en se l’appropriant. Il a lu le scénario, vu la scène et a travaillé.
Question idiote, qui est l’auteur des tableaux du peintre (joué par Jacques Boudet) ?
C’est mon chef déco. Qui a un talent monstrueux. Si ça vous intéresse… Non, il n’en reste qu’un et on l’a offert à Annie. Je sais pas comment elle doit le prendre. Mais ils étaient durs à faire car ils devaient être laids mais crédibles. Fallait que ça soit « possible ».
Vous avez rajouté de la comédie, pourquoi ce besoin de revenir à la comédie ?
Parce qu’il y a plein de scènes dures donc je me suis dit que la comédie permet de faire la vie. C’est ça la vie, on passe du rire aux larmes tout le temps. La comédie permettait de mettre de la pudeur et pas tomber dans le pathos. Je voulais que le film soit sur le fil de la comédie et du drame tout le temps.
Finalement, pour rester sur la question de la comédie, tous les acteurs sont des acteurs que l’on connaît davantage pour des rôles comiques…
Oui, c’est vrai. De Annie Cordy à Chantal Lauby avec Les Nuls, Michel Blanc avec Le Splendid, Audrey Lamy, même William Lebghil de SODA, moi avec Les Robins. Mais je m’en suis pas aperçu tout de suite. J’ai choisi mes acteurs car je considérais que c’étaient les mieux. C’est après que je me suis rendu compte qu’on fait tous partie de la même famille. Mais ça doit être logique en fait, inconsciemment, on va vers les gens qui nous ressemblent. Il y a sûrement de ça. J’ai dû aller inconsciemment vers ces acteurs car on a la même construction dans le métier.
BANDE-ANNONCE DE « LES SOUVENIRS » :
Merci à Jean-Paul Rouve, UGC, Léa et l’agence Cartel.