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J. EDGAR (critique)

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Carte d’identité :
Nom : J. Edgar
Parents : Clint Eastwood
Livret de famille : Leonardo DiCaprio, Armie Hammer, Naomi Watts, Josh Hamilton, Geoff Pierson, Cheryl Lawson, Kaitlyn Dever, Judi Dench, Brady Matthews, Gunner Wright…
Date de naissance : 2011
Nationalité : Etats-Unis
Taille/Poids : 2h17 – 35 millions $

Signes particuliers (+) : Un excellent Dicaprio. Une reconstitution soignée.

Signes particuliers (-) : Un étalage affirmatif plutôt que suggestif sur les points discutés. Des clichés aberrant de ridicule. Ennuyeux. De trop nombreuses choses survolées. Une construction intéressante mais illogique.

HOOVER N’ASPIRE PAS

Résumé : La vie du célèbre fondateur et patron du FBI, John Edgar Hoover…

Après moult films salués par la critique et plébiscités par le public, l’ancien acteur Clint Eastwood traverse une petite crise artistique depuis son honorable Gran Torino. Alors que Invictus semblait être une petite sortie de route sans grandes conséquences, Au-Delà venait confirmer qu’elle ne s’était finalement pas faite sans dégâts finalement. J. Edgar, biopic sur le controversé patron/fondateur du FBI, l’un des personnages les plus marquants de l’histoire américaine du XXème siècle, était l’occasion de se remettre en selle, le genre collant idéalement à son traditionnel style très académique. L’occasion était belle de livrer une fresque minutieuse sur un Hoover aussi décrié que mythique … trop peut-être justement pour un Eastwood dont la finesse n’a jamais été la première des qualités. S’adjoignant les services de l’un des meilleurs acteurs de sa génération avec Leonardo DiCaprio pour porter le film sur ses épaules car forcément omniprésent dans le récit, Eastwood fait par ailleurs appel à Dustin Lance Black, scénariste du calamiteux Harvey Milk de Gus Van Sant, pour rédiger un script aussi complexe que le personnage dont il dépeint l’histoire, multipliant les allers et retours temporels entre un Hoover âgé et contant ses mémoires et le récit de l’incroyable destin de cet homme devenu de plus en plus influent au fil des décennies pour devenir un figure majeure de l’histoire de son pays. Eastwood était forcément attendu au tournant avec ce nouveau film et, pour ceux l’ayant vu, on avait toujours en tête la version bis réalisée par Larry Cohen en 1977 (The Private files of J. Edgar Hoover) qui était déjà remarquable au-delà de ses défauts. Et c’était sans compter que se profilait à l’horizon le piège du film facile à Oscar.

Bousculant la narration chronologique classique fréquente à ce type d’exercice, Dustin Lance Black livre un scénario complexifié abandonnant toute linéarité biographique pour chercher à entremêler le mythe et la réalité par le biais diégétique de l’écriture de ses mémoires avec le recul sur une vie par un Hoover qui en vient à brouiller dans sa tête (et du coup pour nous, spectateur puisqu’il est le narrateur direct de son histoire) l’histoire réelle parasitée par une vision fantasmée voire réécrite de sa vie, vision dont il s’est convaincu depuis tellement d’années qu’il l’a finalement mentalement admise comme réelle à tort. Un angle de travail qui permet à Eastwood une sorte de petit twist malin, peut-être ce qu’il y avait de meilleur finalement dans le film tant le cinéaste se plaît à finalement faire mentir son récit par un joli petit coup de mise en scène offrant une relecture inattendue à l’histoire, en cours de route.

Si J. Edgar est académiquement soigné comme d’habitude avec Eastwood, techniquement léché dans la photographie et formidablement conduit dans la direction d’acteur avec un DiCaprio toujours époustouflant et grand candidat à l’Oscar (ou au moins à une nomination) le fond restait surtout la grande interrogation. Et visiblement, l’éclatant retour de l’ancien acteur ne sera pas pour tout de suite, Eastwood signant un nouvel échec cinématographique même s’il est moindre que ses deux derniers épouvantables méfaits honteux.

Tout commence avec le script de D.L. Black qui multiplie les allers et retours dans le temps de façon maladroite, apportant plus de confusion qu’autre chose. En plus de ne pas être toujours réellement utiles, ils soulèvent avant tout un vrai problème de cohérence dans la construction. L’histoire de Hoover est retracée par le truchement de ses confidences à un jeune agent écrivant ses mémoires ce qui par logique, devrait nous offrir un point de vue unique et surtout, un choix quant aux épisodes évoqués, l’homme faisant le tri sur ce qu’il veut garder de sa vie pour la postérité. Or, Eastwood se retrouve vite coincé par cette structure narrative bancale choisie ne lui offrant pas la possibilité d’explorer certains points importants et certaines facettes troubles du personnage. Le cinéaste prend alors des libertés, anéantissant pour le coup toute logique scénaristique puisque les flashbacks censés être racontés par Hoover lui-même, donnent lieu à des digressions sur des évènements qui échappent à son récit et qui n’appartiennent dès lors plus aux « mémoires » narrées par lui, prétendue fil conducteur du film. L’homosexualité supposée du personnage en est l’exemple le plus évident.

Sur ce point, Dustin Black, homosexuel engagé lui-même, avait déjà traité la thématique via le mélodramatiquement niais Harvey Milk, autre biopic signée de sa plume. Si Larry Cohen en 1977 s’ingéniait à sous-entendre la possible rumeur concernant Hoover, il le faisait avec une finesse parfaite, préférant la discrète suggestion à l’étalage dogmatique. Cohen jouait sur un fil, sur la supposition déguisée, l’insinuant subtilement. Cinéaste souvent réputé pour ses débordements réac tout au long de sa carrière, Eastwood évacue toute finesse, préférant mettre les deux pieds dans le plat. Exit toute ambiguïté (l’homosexualité d’Hoover n’ayant jamais été prouvée et faisant débat chez les historiens spécialisés), le cinéaste décide de montrer clairement, sans alternative, sans détour et appose une conviction dérangeante. D’une part, car sa biopic perd forcément en crédibilité et en neutralité, d’autre part car sa façon de retranscrire cette possible facette du personnage relève plus de la caricature que de l’objectivité intelligente. Qu’on se le dise clairement, les scènes en question évoquent plus La Cage aux Folles qu’une fine interprétation d’une facette d’un personnage nuancé (les scènes de caressages de main sur fond de « je t’aime » à l’hôtel, vêtus de peignoirs en soie laissent dépités et sans voix).

Le scénario de J. Edgar est en grande partie responsable de l’échec de la tentative d’Eastwood de brosser un portrait brillant et définitif d’un homme pourtant passionnant. Au-delà de ses erreurs ou fautes de goût, les choix des évènements et l’angle choisi semblent être systématiquement à côté de la plaque amenant à un paradoxe étrange. Long d’une durée totale dépassant les 2h15, J. Edgar multiplie pourtant les oublis essentiels. Alors que sa mère clame à l’enfant Hoover qu’il sera un jour quelqu’un d’influent, l’homme le plus puissant d’Amérique, Eastwood semble oublier cette thématique majeure en cours de route alors qu’elle explique probablement beaucoup de choses sur le devenir de l’homme, si ce n’est en évoquant l’importance de ses fameux « dossiers confidentiels » réunis au cours d’années d’enquête, seul point sous-entendant le poids acquis par Hoover en son temps. J. Edgar passe complètement à côté de cette facette majeure du personnage -la plus intéressante au demeurant- sa position ultra-imposante et controversée qu’il occupait dans la vie politique du pays… Le simple fait qu’il était devenu effectivement l’un des hommes les plus influents et puissants du pays est ainsi occulté au profit d’une sur-accentuation de cette histoire « sentimentale » homosexuelle supposée traitée avec une vision douteuse dans son sens et sa finalité. Il en va de même pour chacune des thématiques abordées. Hoover était obnubilé par le danger communiste mais jamais Eastwood ne cherche à en décrypter les causes. De même, le réalisateur s’attarde sur sa possible homosexualité mais effleure seulement ses tentatives pour la masquer (préférant signer comme un film à charge en lieu et place d’une œuvre historique intelligente) et occulte complètement son absence de guerre contre la mafia due au fait que l’on soupçonnait l’organisation de le faire chanter via justement des preuves compromettantes sur sa sexualité. Enfin, il montre l’obstination d’un homme pour tenir son bureau à bout de bras en évacuant sa fin en seulement quelques minutes, parfait exemple du déséquilibre narratif d’un film lourd, pompeux et ennuyeux.

J. Edgar est incroyablement maladroit, brossant des passages d’une vie, des facettes d’une personnalité, des thèmes, sans jamais creuser ce qu’il évoque. En résulte un film étrangement superficiel alors qu’il tente d’éviter cet écueil. Portrait incomplet, survolé, la nouvelle cuvée eastwoodienne est au final un beau gâchis laissant un goût amer dans la bouche, une biopic étendue et longue mais pour rien. Si DiCaprio est une fois de plus exceptionnel, il ne peut sauver les meubles à lui seul d’un projet que l’on aurait aimé voir dirigé par un cinéaste peut-être plus adapté (certains soufflaient le nom de Scorsese par exemple). Dans tous les cas, Larry Cohen peut dormir sur ses deux oreilles, sa bonne petite série B reste intact sur la question, bien plus intelligemment fait que ce rouleur de mécanique raté.

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