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FIRST MAN – LE PREMIER HOMME SUR LA LUNE de Damien Chazelle : la critique du film

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Carte d’identité :
Nom : First Man
Père : Damien Chazelle
Date de naissance : 2018
Majorité : 17 octobre 2018
Type : Sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 2h20 / Poids : NC
Genre
: Biopic

Livret de famille : Ryan Gosling, Claire Foy, Jason Clarke, Kyle Chandler, Corey Stoll, Ciaran Hinds

Signes particuliers : Où le talent de Damien Chazelle s’arrêtera t-il ?

LA LA LUNE : UN VOYAGE SPATIAL EN IMMERSION

LA CRITIQUE DE FIRST MAN

Synopsis :L’histoire fascinante de la mission de la NASA d’envoyer un homme sur la lune, centrée sur Neil Armstrong et les années 1961-1969. Inspiré du livre de James R. Hansen, le film explore les sacrifices et coûts – d’Armstrong et de la nation – d’une des plus dangereuses missions de l’Histoire.

Avec First Man, Damien Chazelle se retrouvait de nouveau au carrefour de tous les dangers. Après Whiplash et La La Land, le cinéaste désormais oscarisé était logiquement attendu au tournant. Allait-il réussir la passe de trois et poursuivre son extraordinaire sans-faute alors que tous les projecteurs (et la pression qui va avec) étaient braqués sur lui ? Dans tous les cas, Chazelle prenait un risque à quitter sa zone de confort et l’univers musical qui a jusqu’ici accompagné son début de carrière, pour filer droit vers les étoiles avec un biopic autour de Neil Armstrong, le premier homme à avoir foulé le sol lunaire un certain 20 juillet 1969. Porté par un Ryan Gosling qui retrouve le cinéaste qui l’a fait danser à travers le monde entier aux côtés d’Emma Stone, First Man, Le Premier Homme sur la Lune raconte la genèse de la mission Apollo par le prisme d’une dizaine d’années de la vie d’Armstrong, de la mort brutale de sa petite fille et son arrivée à la NASA en 1962 jusqu’à l’aventure spatiale qui le fera à jamais entrer dans l’histoire de l’humanité.

Mais ou le génie de Damien Chazelle s’arrêtera t-il ? L’histoire des premiers pas de l’homme sur la lune est archi-connue et des films de conquête spatiale, on en a tous vu des tonnes, avec des fortunes diverses et quelques classiques écrasants éparpillés au milieu. Pourtant avec First Man, Damien Chazelle n’a pas eu peur d’un registre souvent réputé difficile. Porté par sa fougue et son formidable talent, le cinéaste parvient à trouver le moyen de raconter quelque chose de nouveau, à trouver un angle neuf pour approcher son sujet de telle sorte que l’attention en est captée d’un bout à l’autre sans jamais être mise à mal par l’extrême notoriété de l’histoire. Mille et uns dangers guettaient l’illustration de cette épopée triomphante et Damien Chazelle les a évités un à un, pour signer un nouveau chef-d’œuvre.

En premier lieu, Chazelle a brillamment évité les clichés du biopic lambda sur un héros de l’Amérique et du monde. Et si First Man se dessine un chemin vers les Oscars, ce ne sera pas parce qu’il aura choisi la facilité académique qui plaît tant d’ordinaire, bien au contraire. Rien n’est académique ou facile dans l’extraordinaire entreprise de Damien Chazelle, tout n’est qu’audace et partis pris extrêmement forts. Comme celui de filmer l’espace à travers des hublots, des cockpits, des télescopes ou des lignes d’horizon fuyantes. Comme celui de privilégier les ressentis physiques et l’immersion totale aux images généralistes spectaculaires. Comme celui de pénétrer dans l’intimité d’un homme écorché vif au lieu de simplement célébrer un héros en se planquant derrière le mythe institutionnalisé. Ou encore comme celui d’esquisser un contexte politique, économique et racial plutôt que de l’occulter pour faire parler seulement l’épopée au détriment des « détails » de l’histoire (ce qui vaudra à Chazelle d’être taxé d’anti-patriotique par certains). Bref, autant de choix qui mènent le film vers une zone grise, un entre-deux en permanence à cheval entre le drame familial intimiste, le thriller spatial sous tension et le documentaire narrativement observateur. Autant de choix qui font de First Man une sorte de film-somme où l’intime se confronte au spectaculaire, où l’astronaute se confronte à l’homme et au père de famille, où le général se confronte au particulier, où le courage affronte la peur, où le silence de la solitude affronte le bruit furieux des missions scrutées.

Résultat d’un savant mélange d’étude disséquant la psyché d’un héros aux allures d’anti-héros et d’immersion brutale dans une épopée haletante et dramatique marquée par de nombreux sacrifices, First Man raconte l’odyssée lunaire à travers le regard d’un homme hanté par la mort, et qui va la défier dans une élan quasi-suicidaire. C’est peut-être d’ailleurs, au-delà même du périple sur la lune, la vraie thématique de fond du drame qu’est First Man, observer le rapport à la mort au nom de l’avancée de l’humanité, le tout dans une œuvre à la complexité fascinante. On évoquait un « film-somme » parce que First Man conjugue le regard humain niché derrière l’exploit façon L’étoffe des héros, avec le réalisme immersif d’un Gravity, le suspens palpable d’un Apollo 13, la mélancolie d’un Moon, sans pour autant délaisser une certaine profondeur psychologique voire métaphysique évoquant lointainement un Interstellar ou dans une moindre mesure, un 2001. Audacieux, Chazelle balaie d’un revers de la main tradition et spectaculaire facile, comme ces plans injectés de SFX vus mille fois ou cette habitude de faire passer les codes du genre avant tout. First Man divisera sans doute pour cette même raison qui est pourtant une qualité, mais fidèle à lui-même et dans la lignée idéologique de son travail sur La La Land, le cinéaste va mettre l’humain devant le genre auquel il s’arnache, pour s’interroger une nouvelle fois sur la dynamique de l’épanouissement personnel et professionnel, surtout quand les deux ne collent pas ensemble. C’était tout le problème de Neil Armstrong, astronaute déterminé et mari/père absent.

Mais attention, ce n’est pas parce que Chazelle est focalisé sur l’intimiste et sur le drame humain qui entoure la mission Apollo et écrase de tout son poids la personnalité de Neil Armstrong, qu’il en oublie de projeter le spectateur au cœur d’une aventure au suspens irrespirable. Ironiquement, tout le monde connaît la finalité de l’histoire. Malgré les difficultés rencontrées, Neil Armstrong partira bien dans l’espace, il se posera bien sur la lune, et prononcera bien son fameux « Un petit pas pour l’homme, un pas de géant pour l’humanité ». Mais il n’empêche que même si l’on sait où l’on va, c’est en apnée que l’on traverse First Man, la boule au ventre, les ongles plantés dans le fauteuil, comme si l’on vivait l’aventure de l’intérieur plutôt que la redécouvrir de manière simplement illustrative. C’est là que le génie de Chazelle s’exclame (encore), dans cette capacité à nous visser aux basques de son Neil Armstrong, à nous faire vivre ce qu’il a vécu plutôt qu’à nous retranscrire à distance ce que l’on sait déjà. Dès sa première scène, First Man donne ainsi le ton. Le spectateur est projeté dans un essai de navette spatiale à la lisière de l’atmosphère terrestre et rien ne sera montré en dehors de la cabine de pilotage où un homme fait face au bruit assourdissant, aux secousses et tremblements, à la pression, au danger, à la peur. Dehors, l’inconnu et l’incertitude, pour ce jeune Armstrong comme pour nous. Cette immersion viscérale au plus proche des ressentis physiques sera la ligne directrice que suivra Damien Chazelle, rester à échelle humaine pour observer une histoire connue de tous en l’approchant sous l’angle de l’infiniment personnel niché derrière le gigantisme de l’exploit universel. Et ça fonctionne. Même si l’on connaît la finalité de l’histoire avec cet alunissage en juillet 1969, First Man ne cessera jamais d’être émotionnellement fort, tour à tour claustrophobique, tendu, poétique, stressant, tragique, sensoriel, beau ou exaltant. Car Chazelle nous offre à voir les choses autrement tant visuellement qu’historiquement, décryptant une à une les étapes de préparation acharnée qui ont mené à écrire l’Histoire en explorant différentes facettes, des sacrifices humains aux coûts financiers décriés par la population, des nombreux échecs aux petits succès poussifs, en passant par la mise en lumière des hommes oubliés derrière le duo entré dans la légende.

En plus de nous apprendre beaucoup de choses méconnues sur la vie et l’odyssée extraordinaire de Neil Armstrong, First Man est un sacré morceau de cinéma, traversé par une audace formelle démente, soutenu par une B.O magnifique, narré selon un montage intelligent et aidé par des performances d’acteurs exceptionnelles (Ryan Gosling pourrait concourir à l’Oscar, Claire Foy et Jason Clarke sont formidables). Au centre de l’effort, Ryan Gosling justement, que ses détracteurs auront vite fait de critiquer parce qu’il joue une nouvelle fois les taiseux contenant ses émotions et s’exprimant comme un antisocial mal à l’aise. Mais c’est peut-être justement parce que l’acteur est dans un registre très familier, qu’il est si excellent dans First Man, affirmant par son interprétation, la complexité de son personnage insaisissable et fascinant. Damien Chazelle ne s’y est pas trompé et le remployant pour camper son Neil Armstrong. Ryan Gosling partage beaucoup en commun avec la célébrité spatiale et son interprétation à fleur de peau est criante d’authenticité, d’émotion sourde et de tension intime. Le fait d’être viscéralement attaché à son regard, à ses ressentis et à ses traumas personnels est bénéfique au film, le rendant plus proche de l’expérience sensorielle que de la simple fiction ludique et instructive. En dehors de quelques envolées mélo un poil trop appuyées, First Man, Le Premier Homme sur la Lune est vraiment un très grand film, un tour de force qui n’était vraiment pas couru d’avance.

BANDE-ANNONCE :

Par Nicolas Rieux

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