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BABYLON de Damien Chazelle : la critique du film

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Nom : Babylon
Père : Damien Chazelle
Majorité : 18 janvier 2023
Type : sortie en salle
Nationalité : USA
Taille : 3h15 / Poids : NC
Genre : Drame, Comédie dramatique

Livret de Famille : Avec Brad PittMargot RobbieTobey Maguire, Diego Calva, Jovan Adepo, Jean Smart…

Signes particuliers : Un film qui parle du CINEMA en faisant du grand CINEMA !

Synopsis : Los Angeles des années 1920. Récit d’une ambition démesurée et d’excès les plus fous, BABYLON retrace l’ascension et la chute de différents personnages lors de la création d’Hollywood, une ère de décadence et de dépravation sans limites.

 

UNE IMMENSE ORGIE DE CINEMA !

NOTRE AVIS SUR BABYLON

Imaginez un peu le bordel. Babylon, c’est comme si Le Loup de Wall Street rencontrait Moulin Rouge et Boogie Nights, avec des éléphants, des partouzes et de la coke. Dis comme ça, on pourrait croire au pitch d’un trip cinématographique sous LSD mais non, on parle bien du dernier film du timide Damien Chazelle. L’immense passionné de cinéma qu’il est, a toujours lardé ses films de références au pan du septième art qu’il affectionne. On l’avait noté dès Whiplash, ça avait sauté aux yeux sur La La Land (qui en appelait autant aux Busby Berkeley qu’aux Jacques Demy) et ça déborde de l’écran sur Babylon. Sans être une comédie musicale pour autant (bien qu’il soit très musical – on ne refera pas Damien Chazelle et sa patte) c’est bel et bien du côté de La La Land que lorgne le plus Babylon, monument aux 3 heures massives plongeant dans les grandes heures du cinéma muet avec la frénésie de son « éphémérité ». Comme il avait pu le faire sur La La Land, Damien Chazelle rend à nouveau un vibrant hommage au cinéma, muet d’abord, puis en général ensuite. Avec ce propos -qu’il est si important de rappeler en ces temps difficiles alors qu’il est menacé par un ensemble de facteurs divers et complexes- que le cinéma a ce pouvoir si spécifique de procurer des sensations uniques et incomparables. Que le cinéma est réellement un art, que ses possibilités d’évolution sont incroyables, qu’il nous surprendra toujours, que son histoire est à jamais habitée par les fantômes de ceux qui l’ont faite et qui sont ainsi devenus immortels. Et enfin, que rien ne remplacera jamais la puissance d’une séance en salle, où l’on en prend plein la figure sur un grand écran dans une incroyable expérience collective. On peut être cow-boy un jour, truand le lendemain, cosmonaute après, héros du quotidien ou super-héros du monde. On peut être au cœur d’un drame à midi, vivre un moment d’hilarité à 15h, combattre sur le front ou déjouer un complot mondial en soirée. C’est ça le cinéma, c’est ça qu’aime tant Damien Chazelle. Et ça tombe bien, nous aussi.
Babylon… Direction le Los Angeles des années 20 à l’heure où le panneau « Hollywoodland » venait tout juste d’être fraîchement accroché à flanc de montagne. Le cinéma vivait encore sa première jeunesse, et quelle jeunesse ! L’industrie naissante tournait à plein régime dans une excitation irréelle, il n’était pas si difficile d’y entrer et les vedettes de l’époque vivaient dans une bulle digne de la grande Babylone. La comparaison du titre entre la mythique citée antique et le Hollywood des années 20 est pertinente. Il y régnait en effet un esprit de grandiloquence et de débauche sans limites. A l’image d’un nouveau monde où tout était possible, où tout était encore à faire, où tout pouvait se produire. Le cynisme d’aujourd’hui était alors remplacé par une sorte de folie épicurienne totale, à tel point que c’est en partie cette impression d’absence de morale couplée à des scandales défiant les bonnes mœurs à répétition, qui a contribué à l’introduction du Code Hays régulant très drastiquement l’image envoyée par le cinéma. Oui, le Hollywood des années 20 était comparable à la Grande Babylone biblique, un microcosme de débauche et de décadence où le plaisir se mesurait à la frénésie passionnelle ambiante. Et au milieu de toute cette folie délirante, des films, des tournages improvisés, un joyeux bordel aussi lunaire que rocambolesque, le sentiment de voir de vrais saltimbanques en roue libre. Hollywood n’était pas encore une industrie établie et organisée, c’était encore l’époque d’une symphonie cacophonique à la vitalité géniale. Derrière, grandeur et décadence n’ont duré qu’un temps, jusqu’à ce qu’un nouveau chapitre de l’histoire (l’arrivée du parlant) balaya l’ancien temps et ses têtes d’affiches. Babylon aurait presque pu s’appeler Gone with the Wind si le titre n’était pas déjà pris par un autre classique. Les livres d’histoire se sont chargés d’en parler de long en large et en travers, les stars du muet ont pour beaucoup disparu avec l’arrivée du parlant (entre voix de crécelle et comédiens ne sachant pas vraiment jouer). Damien Chazelle donne à voir cette déchéance dans une odyssée fleuve qui glisse progressivement de la surexcitation grisante à la mélancolie amère.
Ce maelström de fêtes, de films, de créations, de jouissance, de stars adulées, de liberté, d’horizons sans limites, d’art et d’usine à divertissement, Chazelle le croque dans une œuvre aussi grandiloquente, dingue et baroque que le monde qu’elle donne à contempler. Babylon est une énième déclaration d’amour de Damien Chazelle envers le cinéma. Mais une déclaration qui ne sonne pas creuse (on voit venir d’ici le préjugé à l’encontre du cinéaste). En parlant de l’ancien temps du muet, Chazelle fait une puissante démonstration d’actualité. Le cinéma. Six lettres pour un monde, un art, un rêve, un infini des possibles. Babylon n’a de cesse, tout au long de ce voyage tonitruant, de rappeler à quel point le cinéma est magique. À quel point il a ce pouvoir unique d’émerveiller, de transporter, de faire rêver, de faire vibrer, de faire vivre des émotions folles. Mais aussi à quel point il peut être dur. A quel point il peut être une usine à entertainement, une fabrique à rêves, un art qui cherche en permanence, un monde cruel et impitoyable envers ses héros.
Babylon est dense. Certains diront plutôt hystérique. C’est vrai. Le nouveau Damien Chazelle est dense ET hystérique. Dès les premières minutes et un immense moment d’hilarité scatologique à base d’éléphant constipé, Babylon s’abandonne à un ton délirant et un rythme surexcité qu’il ne lâchera que très rarement, voire jamais. Parce qu’il peint un monde à cette image. Et surtout parce qu’il fait le portrait d’un monde qui aura vécu ainsi, très vite et très fort. Le cinéma muet aura connu ses grandes heures sur quelques années d’intense folie avant de disparaître avec perte et fracas. Babylon repose ainsi sur un schéma archétypal, l’éternel récit d’ascension et de chute. Et tout au long de ces trois heures dingues aux allures d’odyssée extravagante, le cinéaste éclabousse l’écran. Il l’éclabousse d’un esprit d’exagération constant (fidèle à celui qui régnait à l’époque), il l’éclabousse de rires, de tendresse, d’envie, d’émotions. Il l’éclabousse de tout un tas de scènes basées sur d’authentiques anecdotes, il l’éclabousse d’un portrait fidèle et amoureux et il l’éclabousse de mille et une références que les cinéphiles choperont au vol. Devant Babylon, on pense à Jean Harlow ou Jane Russell, on pense à Rudolph Valentino, Douglas Fairbanks ou Roscoe Arbuckle, on songe à De Mille, Griffith, Lois Weber, Hedda Hopper, on croise Le Chanteur de Jazz, les premiers nababs, Greta Garbo, Sidney Palmer, Anna May Wong et tant d’autres.
Babylon est un film immense que beaucoup adoreront détester. Mais que beaucoup accueilleront aussi avec la générosité qui l’anime. Damien Chazelle signe une œuvre dantesque, passablement folle, peut-être un peu trop parfois, mais tellement délicieuse au fond. Durant un peu plus de trois heures, on est au cœur d’un monde révolu, balancé sans ménagement dans un torrent d’excès, d’images et de musique, boosté par une mise en scène énergique et énergivore et par des performances monumentales de comédien(ne)s habité(e)s. Un Brad Pitt des grands soirs, une Margot Robbie aussi tarée que géniale, un Diego Calva excellent en jeune mexicain rêveur, dépassé et émouvant. Le monstrueux y côtoie constamment le sublime, l’hommage touchant roule toujours aux côtés de la bousculade frénétique, l’ambiance fiévreuse se frictionne avec une profonde mélancolie crépusculaire et les chocs font des étincelles dans un film à la boulimie justement étincelante, fascinante, lessivante aussi. 3h15, c’est long, surtout avec une telle intensité. Mais quel voyage, quelle déclaration overdosée au septième art ! Le plaisir est tel que l’on pardonnera les rares fautes de Chazelle, comme quelques longueurs (la partie avec Tobey Maguire par exemple) ou comme ce clip final terriblement lourd (même si l’on comprend l’idée) et qui peine à conclure avec finesse un film au panache débordant alors que Chazelle se prend soudainement pour Godard. Durant 3h15, on traverse des scènes instantanément cultes, on explose souvent de rire, on danse de joie, on tremble, on s’abandonne dans le bizarre, on s’émeut de destinées tragiques. Bref, tout l’éventail du cinéma en somme.

 

Par Nicolas Rieux

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