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THE WITCH de Robert Eggers : la critique du film

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the_witchMondo-mètre
note 2.5 -5
Carte d’identité :
Nom : The Witch
Père : Robert Eggers
Date de naissance : 2015
Majorité : 15 juin 2016
Type : Sortie en salles
Nationalité : USA, Canada
Taille : 1h30 / Poids : 1 M$
Genre : Drame, Epouvante

Livret de famille : Anya Taylor Joy, Ralph Ineson, Kate Dickie, Harvey Scrimshaw, Lucas Dawson, Ellie Grainger…

Signes particuliers : Attendu comme le messie par les fans de cinéma de genre, The Witch est aussi brillant que décevant.

LE SURNATUREL RAMENÉ À SA PLUS PURE EXPRESSION

LA CRITIQUE

Résumé : 1630, en Nouvelle-Angleterre. William et Katherine, un couple dévot, s’établit à la limite de la civilisation,menant une vie pieuse avec leurs cinq enfants et cultivant leur lopin de terre au milieu d’une étendue encore sauvage. La mystérieuse disparition de leur nouveau-né et la perte soudaine de leurs récoltes vont rapidement les amener à se dresser les uns contre les autres…the_witch_2L’INTRO :

Précédé d’un engouement monstrueux acquis après ses passages aux festivals de Sundance (prix de la mise en scène), Toronto et Gérardmer, The Witch s’apprête à sortir en salles cet été avec la flatteuse réputation de « meilleur film d’épouvante de l’année« , de « choc viscéral terrifiant » voire de « chef-d’œuvre absolu« . De quoi immédiatement exciter les vrais amateurs de cinéma de genre, dont l’amour de l’épouvante est malheureusement trop peu récompensé chaque année avec une production « visible » de plus en plus destinée au jeune public en mal de sensations fortes. Première réalisation du jeune cinéaste Robert Eggers, The Witch nous entraîne dans la Nouvelle-Angleterre du XVIIème siècle, sur les traces d’une famille essayant de survivre avec leur petite ferme à flanc de forêt. Inspiré de l’histoire de la toute première chasse aux sorcières connue sur le sol américain colonisé (bien avant Salem), The Witch se veut réaliste et basé sur de nombreux documents d’époque, soit aux antipodes du cinéma de genre traditionnellement sensationnaliste. Un peu de nouveauté sous le ciel de l’horreur, voilà qui était alléchant.the_witch_4L’AVIS :

Ce serait presque un doux euphémisme d’affirmer que The Witch prend le contrepied total des films de genre auxquels nous sommes habitués par un cinéma moderne visant davantage l’efficacité que l’extrême subtilité psychologique. D’une nature plus littéraire, profondément viscérale et primale, le film de Robert Eggers n’œuvre clairement pas dans une épouvante facile et mise en scène avec des intentions spectaculaires, mais plutôt dans l’élaboration d’un drame intimiste ramenant son sujet surnaturel vers un réalisme plus « terre-à-terre », vers quelque-chose de plus primal et viscéral, ramenant le registre de la sorcellerie sur les sentiers d’une « réalité réaliste » au léger accent d’onirisme inquiétant, tournant le dos à des années de cinéma d’épouvante extravagant et imaginaire. Le choc est assez fascinant de prime abord. Indéniablement beau et soigné, The Witch se veut d’une pureté cristalline pour ainsi faire naître une angoisse sourde sur les bases d’un récit crédible jouant avec l’essence même de la peur de l’inconnu associée aux superstitions d’époque et à l’intégrisme religieux. Et en fond de son travail, Robert Eggers de  vouloir surtout dessiner un film paranoïaque mettant aux prises l’humanité et un mal originel. L’obscurantisme fanatique, la frustration qui naît de ce dernier, l’attrait de l’interdit, la peur et le pouvoir envoûtant de l’inconnu, sont alors autant de thématiques qui viennent porter ce drame fantastique érigé sur la foi d’une atmosphère lourde et mortifère, sur la foi d’un déroulé lent et déstabilisant lorgnant vers le conte folklorique, sur la foi d’un symbolisme fort en appelant à l’éveil de la sexualité ou aux désirs refoulés, ou encore sur la foi d’une rhétorique abordant le genre sous un visage nouveau, plus ancré dans un tangible déchargé de tous motifs fantasmagoriques habituels pour mieux adopter une vision organique et sensorielle, où la menace est tapie dans les ombres d’un récit cherchant l’épure d’une immersion jusqu’au-boutiste.the_witch_6Souvent subjuguant grâce au pouvoir de son ambiance anxiogène et de la tension paranoïaque qui finit par étreindre son histoire et tous les membres de cette famille confrontée à la terreur sourde d’une entreprise de destruction de leur foi personnelle et de leur foi envers les uns et les autres, The Witch brille par son intelligence de fond mais s’écrase malheureusement sur l’indigence de sa « forme ». On entend par là non pas son esthétique au sublime classicisme élégant, mais sa construction autistique, son absence totale de rythme, sa redondance d’écriture, ou la pauvreté de sa conduite narrative misant essentiellement sur sa conceptualisation de la radicalité psychologique et son propos, pour faire tout le travail en lieu et place des codes du genre volontairement écartés, et non sans un léger cynisme et un soupçon de maniérisme prétentieux pas loin de mépriser le registre qu’il entend réinventer. Tournant autour de ses intentions ambitieuses et d’enjeux dont il cache bien la minceur, The Witch déploie alors un faux génie voulant s’éloigner vers quelque-chose de très différent mais qui se trahit au détour de quelques grigris typiques d’un cinéma d’épouvante en réalité on ne peut plus classique (plans « efficaces » sur les yeux des moutons ou sur la forêt avec une musique pesante et alarmante), cinéma qu’il semble rejeter avec une certaine condescendance sauf quand il a besoin de faire appel à lui pour alimenter son récit d’une platitude terrible.the_witch_5La démarche d’Eggers, lorgnant du côté du cinéma des Dreyer et autre Murnau pour leur capacité à faire naître l’épouvante dans des interstices ouverts dans le drame ou lorgnant vers Lars Von Trier ou le Ben Wheatley de Kill List pour un côté charnel omniprésent, souffre de manques terribles qui en amenuisent considérablement l’impact et le metteur en scène semble s’appliquer à masquer l’ennui de son exercice pompeux respirant gentiment l’arnaque au faux « coup brillant », en mettant en avant l’intelligence de son effort comme parade anti-critiques. Parce qu’il est chargé de qualités indéniables, impossible d’affirmer que The Witch a usurpé sa réputation flatteuse, mais en revanche, il est tout à fait autorisé de dire qu’il apparaît comme un « coup » très surcoté, alors que son effet « buzz » finit par le desservir en raison d’une attente devenue presque trop forte pour ses épaules. Car The Witch a beau se réclamer d’une certaine supériorité dans sa manière de convoquer les mythes du satanisme en les ramenant vers un concret croyable, il n’en est pas moins que son ultra-simplicité scénaristique assujettie à son ultra-complexité idéologique, le conduisent à basculer dans le profondément ennuyeux, rameutant plein d’idées esquissées dans les marges pour tenter de remplir l’axe de son récit bien creux, et ainsi faire passer son extrême vide pour de l’épure intelligemment sophistiquée, ou sa gênante absence de progression en intensité avant ses dix dernières minutes pour de la dramatisation minimaliste. La réalité, c’est qu’outre une formidable crédibilité théologico-mystique (pensez du malin et vous lui ouvrez une porte pour s’inviter chez vous), The Witch a pour lui, un sujet et des thématiques denses, mais il ne sait pas vraiment comment les cristalliser et les mettre en scène dans un film qui serait aussi passionnant qu’eux, alors que son rythme très lancinant finit par annihiler sa montée vers un effrayant en souffrance.

BANDE-ANNONCE :

Par Nicolas Rieux

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