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FRUITVALE STATION de Ryan Coogler
en salles – critique (drame)

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21046385_20131003113216288.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxMondo-mètre :
note 7
Carte d’identité :
Nom : Fruitvale Station
Père : Ryan Coogler
Livret de famille : Michael B. Jordan (Oscar), Melonie Diaz (Sophina), Octavia Spencer (Wanda), Kevin Durand (Officier Caruso), Chad Michael Murray (Officier Ingram), Ahna O’Reilly (Katie), Ariana Neal (Tatiana)…
Date de naissance : 2013
Majorité au : 1er janvier 2014 (en salles)
Nationalité : USA
Taille : 1h25
Poids : 900 000 $

Signes particuliers (+) : Difficile de résister à cette attachante reconstitution d’un fait divers tragique, façonnée sur le ton de la chronique humanisée surplombée de l’épée de Damoclès de son final redouté et précédé de 25 minutes de pure intensité suffocante. Michael B. Jordan est le joyaux qui brille au milieu de ce drame bouleversant.

Signes particuliers (-) : Une instrumentalisation de la mise en scène parfois excessive, perdant de vue la sobriété qui l’anime.

 

UN POIGNANT TÉMOIGNAGE DONT ON SE SOUVIENDRA…

Résumé : Le 1er janvier 2009 au matin, Oscar Grant, 22 ans, croise des agents de police dans la station de métro Fruitvale, San Francisco. Le film raconte les vingt quatre heures qui ont précédé cette rencontre.

FRUITVALE STATION
L’INTRO :

Après une belle année 2013 pour le cinéma, on se demandait si 2014 allait lui emboîter le pas où si malheureusement nous allions retomber dans la « normalité ». Les premiers signes tendent plutôt vers l’optimisme. Témoin, cet inaugural Fruitvale Station qui lance cette nouvelle année sur les chapeaux de roue dès son premier jour. Applaudi à Cannes, acclamé à Sundance, dont il repartira avec les principaux prix, Fruitvale Station marque les premiers pas dans le long-métrage du jeune réalisateur Ryan Coogler, 27 ans, qui s’empare avec courage d’un authentique fait divers survenu à Oakland en 2009. Le soir du réveillon, le jeune Oscar Grant et ses amis croisent la route d’un gang vindicatif dans le métro. La situation dégénère, les policiers interviennent. Une bavure plus tard, la vidéo filmée par des passagers tourne à plein régime sur les réseaux sociaux et la ville est en émoi autant qu’en colère. L’affaire n’est pas sans rappeler celle de Rodney King à Los Angeles mais c’est la médiatisation et la récupération politique de l’évènement qui ont interpelé Ryan Coogler, désireux de remettre la dimension humaine au centre de ce tragique épisode.

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L’AVIS :

Avec la découverte de Fruitvale Station, petite baffe accompagnée d’une indélébile trace rouge sur la joue, c’est l’expression « putain, ça calme » qui prend soudainement tout son sens. Récit terrible, au passage intelligemment écrit et raconté, ce premier long est une véritable décharge émotionnelle sourde et oppressante, illustrée par une mise en scène sachant se révéler incisive et dont la sobriété frôlerait presque le respect les deux genoux à terre si quelques fausses notes ne venait pas la perturber. Pas trop d’excès, pas trop d’emphase inutile, au contraire généralement juste, simple et réaliste, concentré sur son sujet et son approche délicate et rugueuse quand nécessaire, Fruitvale Station ne cherche pas à outrance à nous soutirer des émotions sous la contrainte. C’eut été stupide puisque de toute manière, elles affleurent d’elles-mêmes avec cette courte histoire puissante et bouleversante revenant sur les 24 heures qui ont précédé le drame sur le ton de la chronique ponctuées par 25 dernières minutes en apnée, saisissantes d’intensité.

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Ryan Coogler emploie une construction rusée, nourrissant l’attachement à son authentique personnage pour mieux faire plier nos barrières alors que l’on progresse vers un instant « T » attendu, connu, mais pourtant de plus en plus redouté au fur et à mesure que s’égrainent de longues minutes nous rapprochant inexorablement d’une issue tétanisante de splendeur tragique. On voit d’ici les cyniques hurler à l’instrumentalisation de la chose, d’autant que le cinéaste prend parti pour son personnage tout en essayant de garder de la distance. Une démarche casse-gueule mais qui trouve un juste équilibre par l’humanisme mis en avant par le film. Fruitvale Station fantasme peut-être un peu sa figure du malheureux martyr des clichés stupides ancrés dans certaines mentalités étroites d’esprit caractérisant une société encore trop inégalitaire, mais tout cela, Coogler le fait bien, s’attachant davantage à l’homme derrière le symbole et s’efforçant de peindre, au-delà de la complaisance de la mécanique de son exercice, un Oscar Grant tout en subtilité et en nuance, tantôt papa poule attendrissant, tantôt jeune en galère au pied du mur, petit dealer à la semaine ou personnage à vif capable de réactions violentes. Le résultat est frissonnant, peut-être un peu facile certes dans la façon qu’il a de tisser sa toile, mais au diable le politiquement correct, Coogler ne trahit rien de son matériau pour esquiver les critiques évidentes qu’il allait s’attirer par sa démarche, et met les pieds dans le plat, n’en déplaise aux réfractaires.

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Pour porter toute cette tension et ce personnage à fleur de peau, il fallait certes un petit génie derrière la caméra, mais il en fallait surtout un grand devant. Et il s’appelle Michael B. Jordan. Le jeune prodige, porte-étendard d’une nouvelle génération d’acteurs monstrueux de magnétisme, n’a décidément pas fini de nous mettre à terre par son talent sans cesse démontré. De la série Friday Night Lights qui l’a révélé à aujourd’hui, Jordan a progressé, mûri, et cette graine de talent entraperçue est en train de devenir immense. Il faut bien avouer qu’il est aussi bien entouré, avec une exceptionnelle Octavia Spencer et une magnifique Melonie Diaz.

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Fruitvale Station aurait pu être un brûlot enragé aveuglé par sa cause. Mais son auteur a eu l’intelligence de s’écarter du sentier colérique aux braises encore fumantes, pour embrasser avec douceur et délicatesse le portrait d’un jeune homme tombé injustement. Si par moments, le néo-réalisateur manque un peu de lucidité dans sa façon d’appuyer là où ça fait mal au risque d’évoluer dans la surenchère aux ficelles criardes (le plan final était dispensable, de même que certains raccourcis vers le manichéisme), cette production indépendante soutenue par le comédien Forrest Whitaker est une reconstitution témoin d’une belle efficacité, réussissant par ailleurs son pari de nous rappeler que derrière le fait divers, derrière le blabla politico-social engendré, il était un jeune homme, avec ses défauts et ses qualités, sa joie, ses malheurs et sa vie. Soumis à la condition d’accepter de se laisser un brin manipuler, difficile de rester insensible devant cette petite oeuvre humble mais soufflante.

Bande-annonce :

Par Nicolas Rieux

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