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BLONDE d’Andrew Dominik : la critique du film [Netflix]

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Spectateurs


Nom : Blonde
Père : Andrew Dominik
Date de naissance : 2022
Majorité : 28 septembre 2022
Type : Disponible sur Netflix
Nationalité : USA
Taille : 2h46 / Poids : NC
Genre : Anti-biopic

Livret de Famille : Ana de ArmasJulianne NicholsonBobby Cannavale

Signes particuliers : Fatiguant. 

Synopsis : Adapté du best-seller de Joyce Carol Oates, BLONDE est une relecture audacieuse de la trajectoire de Marilyn Monroe, l’une des icônes hollywoodiennes les plus atemporelles. De son enfance tumultueuse à son ascension fulgurante et à ses histoires d’amour complexes – de Norma Jeane à Marilyn –, BLONDE brouille la frontière entre réalité et fiction pour explorer l’écart de plus en plus important entre sa personnalité publique et la personne qu’elle était dans l’intimité.

MARILYN LA DÉSAXÉE

NOTRE AVIS SUR BLONDE

Qu’est-ce qu’on l’aura attendu ce fameux « biopic » sur Marilyn qui promettait d’être si sulfureux ! Depuis de longs mois, la promesse d’un film hors norme se faisait alléchante, renforcée par un doux parfum de scandale comme on les aime avec une histoire de censure netflixienne car le film allait soi-disant très loin dans la crudité des scènes proposées. Blonde serait ainsi un film radical, un anti-biopic, un long-métrage sans concessions démystifiant l’icône de beauté et proposant des scènes si graphiques et explicites, que la plateforme familiale se retrouvait dans un profond embarras. Ana de Armas en Marilyn et Andrew Dominik (Cogan, L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford) aux commandes, il n’en fallait guère plus pour faire de Blonde, l’une des plus grosses attentes de l’année.
D’emblée et avant toute chose, il semble important de remettre les choses dans leur contexte. Pendant longtemps, beaucoup ont parlé du fameux « biopic sur Marilyn » avant de se raviser pour le qualifier désormais « d’anti-biopic ». Un peu à la manière du Spencer de Pablo Larrain sur Lady Diana, Blonde est une fiction, certes construite avec des éléments réels, mais une fiction quand même, adaptée d’un roman biographique lui-même fictionnel signé Joyce Carol Oates. Mais là où Spencer brillait par l’intelligence de son élaboration, Blonde ne peut se targuer de la même réussite. Le film d’Andrew Dominik est un ratage et sa proposition (excessivement pompeuse) tourne vite à la débâcle.

 

2h48, c’est long. Surtout quand on sent bien chaque minute passer, et que certaines comptent double voire triple comme au Scrabble. 2h48, c’est encore plus long quand elles servent un récit difficile et exigeant, filmé par un cinéaste manifestement plus soucieux de mettre en avant son travail esthétique que son sujet malmené. Blonde vire au fourre-tout confus et insupportable exploitant les multiples facettes de Marilyn sans le moindre sentiment de nuance, bien au contraire. Sans doute involontairement plus que par maladresse, Andrew Dominik n’a de cesse de réduire Marilyn à des clichés de sa vie. La femme libérée, la femme dominée, la femme sex symbol, la femme broyée, la femme faussement ingénue, la femme intelligente, la femme auto-destructrice, la femme star, la femme esseulée… Et au sommet de tout ça, Norma Jean, la réalité derrière l’invention Marilyn, jeune femme fragile sans cesse soumise aux tourments de sa vie, qu’ils soient personnels et psychologiques ou professionnels et conséquences de diktats. L’idée générale était de montrer comment l’édification d’un mythe a fini par faire exploser une femme déjà fissurée à la base. Norma Jean a voulu échapper à un enfer, elle s’est jetée à corps perdu dans un autre, différent et pourtant similaire.
Toutes ces facettes, toutes ces analyses, auraient pu nourrir un portrait imagé de l’une des figures les plus incomprises de l’Histoire du cinéma, une femme bien plus complexe que les simples étiquettes auxquelles on l’a trop souvent rattachée. Mais non. Andrew Dominik signe un film qui se perd dans son sujet faussement simple. Car Marilyn n’était pas juste une icône de beauté morte trop jeune. C’était tellement plus. La Marilyn broyée par le patriarcat hollywoodien, la Norma Jean victime de son enfance douloureuse, la Marilyn isolée et balayée par son statut d’icône mondiale, la Norma Jean souffrant de son alter ego Marilyn, la Marilyn prise dans une insondable descente aux enfers, la Norma Jean accrochée à une éternelle quête du père… De quoi parle vraiment Blonde au fond ? De plein de choses à la fois au point de sombrer dans une effrayante cacophonie d’écriture… doublée d’une cacophonie formelle. Car non content d’être un bordel sans nom dans sa conduite narrative (bordel organisé autour d’ellipses ingérables), le film d’Andrew Dominik l’est tout autant dans son formalisme écrasant à l’anarchisme lourd, alternant couleur et noir & blanc, montage rapide et longues scènes étirées, esthétique punk et plans ultra-léchés, séquences charnelles et élucubrations existentialistes, soin extrême et effets visuels douteux (les incrustations d’Ana de Armas dans les films de Marilyn ne fonctionnent pas toujours)… Et puis il y a ce pathos, cette surcharge de pathos accablant qui, par moments, ferait presque passer Dancer in the Dark pour une production familiale estampillée Disney. Tout ça pour bien souligner la longue agonie de la fragile Norma Jean devenue une Marilyn exploitée, désespérée.
Briser les stéréotypes tant véhiculés et détruire le mythe glamour pour rendre compte de ses sombres dessous aussi cyniques que tragiques, l’idée était intéressante. Elle pouvait révéler la face cachée d’une icône aux fissures irrémédiables, mettre en exergue l’envers du décor d’un Hollywood écœurant, souligner les ravages de l’instrumentalisation et épouser la tendance #MeToo à travers l’emblème même de la femme fantasmée tant caricaturée. Problème, Blonde est un film brillant dans la théorie, imbittable dans la pratique. Dominik voulait bousculer la légende et malmener le mythe sacré. Pourquoi pas, mais encore fallait-il le faire correctement. Car entre bousculer un mythe et saloper ce mythe, il y a une marge que le cinéaste titille souvent. Point de fausse pudeur outragée, il n’est pas question de dire qu’il ne fallait pas toucher à l’image sanctifiée de Marilyn en passant sous silence son indéniable caractère autodestructeur. On a bien compris que l’essence de Blonde n’a rien à voir avec celle d’un Bohemian Rhapsody et que l’on n’est pas face à un biopic joliment flatteur et hagiographique. Mais Dominik s’y prend comme un manche, réduisant sans cesse sa Marilyn à des schémas psychologiques défiant toute finesse, plongeant tête basse dans les orties du balourd au point finalement de l’enfermer dans d’autres cases que celles dont il semblait vouloir la sortir au départ. Et puis à surcharger constamment la mule, le metteur en scène en vient à trop démystifier le mythe, réduisant en cendres le glamour pour ne laisser place qu’au « sale ».

Alors oui, il y a une vision. Oui la radicalité du projet est appréciable et l’on applaudit le doigt d’honneur adressé au consensuel. Oui Ana de Armas est absolument dingue en Marilyn, rendant avec subtilité son ambivalence de femme faussement forte mais réellement fragile, faussement libérée mais réellement prise au piège des contours de sa vie. Et belle, si belle. Mais ce spectacle presque horrifique d’une longue agonie ne parvient pas à convaincre. Déjà parce qu’il est plus long que long, ensuite parce qu’il propose une expérience entre le sadique malsain et le voyeurisme dérangeant (ce qui pousse à s’interroger sur sa pertinence et sa sincérité) et enfin parce que l’on ne saisit jamais où Andrew Dominik voulait vraiment en venir avec cette destruction d’une icône elle-même auto-destructrice, dans un film lui-même très auto-destructeur. Le cinéaste semble loin du personnage qu’il filme, pour le pire et pour le meilleur. Le meilleur étant le fait d’avoir un recul plus mesuré évitant la sanctification tapageuse. Le pire étant de n’avoir finalement que trop peu d’amour envers son sujet au point de la traiter selon un regard trop unidimensionnel. En même est-ce étonnant venant d’un Andrew Dominik qui n’a jamais été un grand admirateur de Marilyn ?

 

Par Nicolas Rieux

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