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WALL CINÉ PICTURES n°66 : Tootsie, La Roue, Le Goût de la Cerise

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Spectateurs

Au menu du ciné-club cette semaine, Tootsie en coffret ultra-collector, une édition incroyable de La Roue d’Abel Gance et Le Goût de la Cerise d’Abbas Kiarostami.

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LA ROUE
De Abel Gance – 1923
Genre : Drame – France
Avec : Severin Mars, Gabriel de Gravone, Ivy Close…
Disponible en Blu-ray version restaurée

Synopsis : Un train vient de dérailler. Sisif, un chef-mécanicien, découvre pendant l’accident une fillette qui lui tend les bras. Il décide de ramener jeune orpheline chez lui. Les années passent. Sisif a adopté la petite Norma ; Elie, son fils et celle-ci grandissent comme frère et sœur. Mais Sisif s’assombrit, devient brutal, et souffre de voir les prétendants rôder autour de Norma…

C’est un coup d’éclat que réalise Pathé avec son édition de La Roue, le chef-d’oeuvre d’Abel Gance. Il aura fallu quatre longues années de labeur pour donner vie à cette version du film, la plus proche de celle présentée lors de sa sortie en 1923. À l’initiative de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, avec le concours de la Cinémathèque française et de la Cinémathèque Suisse, cette immense et minutieuse restauration offre une nouvelle vie à une œuvre considérée comme essentielle dans l’histoire du cinéma. A juste titre. Abel Gance a toujours été un recherchiste, un essayiste passionné par une envie de travailler le cinéma et son langage, par une vie d’explorer de nouveaux horizons, de tester et expérimenter des choses. Essai cinématographique à l’ampleur démesurée (près de 7 heures), La Roue tourne autour de la relation entre un cheminot et une orpheline qu’il a adoptée et pour laquelle il va développer des sentiments inavouables et difficiles à contenir. A l’époque, le tournage dura plus d’un an, Gance accumula une quantité de rushes astronomique et le montage dura deux ans, pour donner lieu à de très nombreuses versions à la durée variable (dont une ultra-condensée en 1h30). On mesure le privilège de pouvoir redécouvrir aujourd’hui cette œuvre hors norme sous sa forme la plus pure. Car La Roue est un film majeur, un film dans lequel, plus que tous les autres, Abel Gance a voulu expérimenter les possibilités d’un cinéma encore vert. Le cinéaste y explore ses possibilités techniques, les possibilités de mise en scène, les possibilités de montage, afin de révolutionner le pouvoir du spectacle cinématographique et d’en repousser les limites. Le résultat est incroyable, constamment traversé de trouvailles, d’inspirations, d’élans créatifs. La Roue est un monument, un acte que l’on pourrait qualifier de « fondateur » dans l’immense histoire en mouvement du cinéma. Au cœur de ce travail formaliste, une tragédie à la fois inspirée par la Bible et la mythologie grecque. Mais si l’histoire est un peu difficile à suivre car très longue et surtout très (très très) mélodramatique du haut de son lyrisme fleuve appuyé, c’est surtout pour sa forme que La Roue vaut le coup, pour la puissance de son inventivité qui insuffle une dimension éblouissante de gigantisme et de virtuosité.

L’édition concoctée par Pathé s’étale du 4 Blu-ray (ou 4 DVD selon). Il fallait bien ça pour faire tenir la fresque de 6h58 et les nombreux suppléments qui l’accompagnent. Au menu, un livre de 140 pages revenant sur l’immense travail de restauration, suivi d’un documentaire dédié (« La Roue, un chef-d’œuvre restauré« ) et d’un comparatif Avant/Après. On quitte ensuite la restauration pour s’approcher plus près du film. « Autour de La Roue«  est un passionnant documentaire réalisé à l’époque (oui, vous avez bien lu) par Blaise Cendrars, le scénariste du film, dévoilant les coulisses de son tournage. En somme, l’un des premiers making of de l’histoire du cinéma. Une pièce de choix dans ces suppléments, presque aussi précieuse que l’œuvre elle-même. on a bien dit « presque ». Également au menu, des scènes coupées (dès fois que certains aient encore faim après les 7h de film), des images des Actualité Pathé sur l’occupation de la Ruhr par les troupes françaises en 1923 et enfin des interviews d’Abel Gance. Bilan, une édition indispensable à tous les cinéphiles-collectionneurs, d’autant que l’image y est absolument sidérante et que côté son, la quasi intégralité de la partition musicale d’époque a également été reconstituée (117 morceaux).

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LE GOÛT DE LA CERISE
De Abbas Kiarostami – 1997
Genre : Drame – Iran
Avec : Homayoun Ershadi, Ahdolrahman Bagheri, Safar Ali Moradi
Sortie en Blu-ray collector le 7 juillet 2020

Synopsis : Un homme d’une cinquantaine d’années cherche quelqu’un qui aurait besoin d’argent pour effectuer une mission assez spéciale. Au cours de sa quête, il rencontre dans la banlieue de Téhéran un soldat, un étudiant en théologie et un gardien de musée, vivant à la limite de la marginalité. Chacun va réagir à sa proposition de façon différente.

1997, le festival de Cannes décerne sa prestigieuse Palme d’or à l’iranien Abbas Kiarostami (ex æquo avec L’Anguille d’Imamura). Le film eut toutes les peines du monde à voyager jusqu’en France car les autorités iraniennes n’ont que peu goûté à ce chef-d’oeuvre approchant un sujet extrêmement tabou et interdit en Iran : le suicide. Comme à son habitude, Kiarostami emploie un langage très minimaliste pour mettre en images cette histoire d’un homme qui veut se suicider et cherche quelqu’un qui accepterait de l’enterrer après sa mort. Mais comme à son habitude, le cinéaste iranien livre une œuvre inestimable, bavarde certes mais si poétique, contemplative certes mais si puissante à sa manière, et philosophique à coup sûr. Il y discute du sens de la vie, de la mort, de la propriété de notre vie, sa fragilité, sa préciosité aussi. Kiarostami évoque en fait énormément de choses à travers ce « road movie » sociologique dans le désert mais encore selon son habitude, il ne livre pas toutes les clés au spectateur, il réalise ce qu’il appelait des « demi-films ». Il fait une moitié du chemin, le spectateur devra faire l’autre pour que la connexion se fasse entre l’œuvre et celui qui la découvre et que Le Goût de la Cerise déploie son universalité.

Grâce à Potemkine, Le Goût de la Cerise renaît après une très belle restauration 4k. L’image est optimale, le son est en revanche un peu faible, mais globalement c’est une très belle édition qui est aujourd’hui proposée. Côté suppléments, on retrouve une passionnante analyse du film par Jean-Michel Frodon (25 min) et deux films de Bahman Kiarostami (le fils d’Abbas) sur la préparation du film : Sohanak (59 min) et le plus curieux Projet (43 min). Du beau travail.

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TOOTSIE
De Sidney Pollack – 1982
Genre : Comédie romantique – USA
Avec : Dustin Hoffman, Jessica Lange, Teri Garr…
Disponible en édition ultra-collector Blu-ray + DVD + Livre

Synopsis : Michael Dorsey, acteur exigeant sur le déclin, désespère de décrocher à nouveau un rôle. Sans trop y croire, il décide alors de se créer une nouvelle personnalité : il sera Dorothy Michaels, une femme dotée d’une forte personnalité. Or son déguisement va non seulement lui permettre de jouer dans une série télévisée, mais même lui attirer un vrai public de fans. Si ce nouveau statut n’est pas pour lui déplaire, il se trouve bientôt confronté à un dilemme difficile : comment avouer à sa collègue Julie Nichols, qui a fait de lui sa confidente, qu’il est en réalité un travesti amoureux d’elle ?

Pour le 16eme numéro de sa (superbe) série de coffrets ultra-collector, Carlotta Films a décidé de mettre à l’honneur Sidney Pollack et Dustin Hoffman en proposant une édition magistrale de Tootsie, classique des années 80 où le comédien incarnait un… comédien, qui décide de se travestir pour s’inventer une nouvelle personnalité et peut-être, à travers elle, relancer une carrière un peu sur le déclin. Mais il va vite se retrouver pris au piège de son propre plan et sa nouvelle identité va lui causer quelques tracas d’autres professionnel, personnel et surtout sentimental. Avec Tootsie, Sidney Pollack se frottait à la comédie, registre qu’il n’avait jamais vraiment visité auparavant. Et il va faire des merveilles, livrant un film profondément humain (l’un des traits caractéristiques de son cinéma) mais surtout magnifié par une profonde intelligence. Car Pollack ne va pas se contenter de signer une farce un tantinet burlesque, il va modérer son comique pour faire résonner en creux, une réflexion sur la solitude de l’homme moderne, le besoin de reconnaissance, l’identité et les préjugés. En cela, Tootsie est plus proche d’un Certains l’aiment chaud que d’un Madame Doubtfire. A l’écran, Dustin Hoffman régale de générosité et livre une performance à cheval entre le rire et l’émotion, face à une Jessica Lange qui décrochera un Oscar du meilleur second rôle.

Après 15 glorieux numéros, les cinéphiles commencent à bien connaître les éditions ultra-collector de Carlotta Films. On connaît leur valeur et elles sont la preuve, à elles seules, de l’importance de sauver le support physique (en écho à l’appel de 50 éditeurs récemment relayés). Car les coffret ultra-collector de Carlotta ne sont pas de simples éditions, ce sont des pièces de collection. Encore une fois, niché dans un écrin somptueux, Carlotta Films a fait dans le divin. Techniquement, la restauration 4k est magnifique et donne un coup de jeune à un film pourtant vieux de 38 ans. L’image est visuellement incroyable, fort d’un piqué parfait, d’une réelle profondeur chromatique et d’une finesse exemplaire. Côté son, on trouve du DTS-HD Master Audio 5.0 uniquement en VO et il régale avec une précision remarquable. Est également proposé une version encodée en DTS HD Master Audio 1.0 mono d’origine en VO comme en VF et là aussi, le confort d’écoute est impeccable, quoiqu’un peu mieux sur la VO dénuée de ce léger souffle typique des doublages. On en vient au cœur de cette édition, son contenu aux côtés du film. Pharamineux. En plus d’un livre passionnant de 160 pages signé de l’auteure américaine Susan Dworkin sur la création de Tootsie, l’édition est largement fournie en suppléments. Près de deux heures au total. Un homme meilleur est le premier gros morceau du visionnage. Cette sorte de long making of (1h10) réalisé en 2007 revient sur toutes les facettes de la production, le casting et notamment l’amour de Dustin Hoffman pour le projet, le scénario et son évolution au gré des changement de réalisateurs, le travail de maquillage et de transformation bien sûr, le tournage… Le tout agrémenté d’interviews récents de l’équipe (Sydney Pollack, Dustin Hoffman, Jessica Lange, Teri Garr) mêlés à des entretiens d’époques et à quelques images du tournage. Passé ce voyage très complet dans les coulisses du film, on restera dans le registre du making of avec un second de 34 minutes, mais daté de 1982 cette fois. Un deuxième making of qui réussit à ne pas être trop redondant avec le documentaire qui le précède et qui nous plonge vraiment dans l’ambiance de l’époque. Suivent les essais vidéo de Dustin Hoffman (3 min.) et 9 scènes coupées (11 min) qui n’ont pas un véritable intérêt en soi si ce n’est le plaisir de les voir exhumées. Bref, carton plein encore pour Carlotta Films, cette édition est vraiment digne d’une « édition définitive ».

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Par Nicolas Rieux

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