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THE WE AND THE I (critique)

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Carte d’identité :
Nom : The We and The I
Parents : Michel Gondry
Livret de famille : Michael Brodie (Michael), Teresa Lynn (Teresa), Lady Chen Carrasco (Lady Chen), Raymond Delgado (Raymond), Jonathan Ortiz (Jonathan), Jonathan Scott Worrell (Big T), Alex Barrios (Alex), Meghan Murphy (Niomi), Chenkon Carrasco, Jacob Carrasco…
Date de naissance : 2012 / Nationalité : États-Unis, Angleterre
Taille/Poids : 1h43 – Petit budget

Signes particuliers (+) : Ambitieux dans la forme et le fond, un film concept sociologique à la métaphore évidente mais intéressante.

Signes particuliers (-) : Un peu rébarbatif et bruyant. Des maladresses (le dernier acte, des personnages vite évacués) et une réal parfois horripilante par ses effets.

 

ÉCOLE BUS-SONNIÈRE

Résumé : Le trajet retour en bus, après la dernière journée de cours de l’année annonçant les vacances estivales, des élèves d’un lycée du Bronx. Au fur et à mesure que le voyage se passe, que le bus se vide, les personnalités se dessinent entre les bourreaux moqueurs et les victimes de moqueries…

Changement radical de style pour Michel Gondry qui n’en finit plus d’étonner et de surprendre ces temps-ci. Après s’être affirmé dans un univers singulier et identifiable qui lui était propre, le cinéaste français s’était senti l’envie de s’essayer à d’autres choses, d’explorer d’autres horizons. Il avait ainsi surpris tout son monde l’an passé, en se retrouvant à la tête d’une adaptation spectaculaire des aventures comiques du justicier Le Frelon Vert. Pari partiellement réussi d’ailleurs puisque son The Green Hornet s’était révélé être un blockbuster très agréable et un brin dingo où Gondry parvenait à intégrer son goût pour le doucement décalé dans un genre généralement ultra-formaté et codifié. Contrepied total à nouveau, Gondry change encore une fois de cap dès l’année suivante, non pas pour revenir à ses premiers amours, mais en prenant la tangente dans une diamétrale encore opposée, sautant cette fois du très gros au très petit budget avec The We and The I, film intimiste construit sur une unité de lieu et de temps soit un trajet d’environ 1h40, dans un bus de ville new-yorkais ramenant des élèves chez eux à l’aube des vacances scolaires. Pour certains le trajet est court, pour d’autres plus long. Durant ce moment passé ensemble, les personnalités de chacun se dessinent. Certains sont les bourreaux des autres qui sont les victimes de la méchanceté inconséquentes des premiers. C’est l’adolescence dans toute sa splendeur et son idiotie que nous propose Gondry, mais aussi dans toute sa fragilité. Chacun essaie de s’affirmer, chacun donne des munitions aux moqueries des autres, les caractères différents et la différence en général sont à la peine, le conformisme est de rigueur. C’est le lycée, c’est l’âge bête.

Dire que Gondry surprend, c’est le mot. Pas de ressorts loufoques, pas de récit féérique et décalé, pas de rêveries embrumées, The We and The I est un film ancré dans le réalisme, filmé caméra à l’épaule comme un documentaire pris sur le vif. On pense d’ailleurs régulièrement, dans ces allers et venues dans l’étroit carcan de ce bus où s’entremêlent diverses conversations entre petits groupes, au film français primé à Cannes, au Entre les Murs de Laurent Cantet. Sauf qu’ici, on n’est pas à l’intérieur de l’école mais à l’extérieur, dans un bus synonyme de retour chez soi, dans un bus où les protagonistes doivent conjuguer personnalité propre et image donnée de soi, individualité et groupe. Entre ce que sont réellement chacun au plus profond d’eux et l’image qu’ils renvoient (ou se doivent de renvoyer) lorsqu’ils sont en réunion, Gondry montre discrètement le décalage qui s’opère la plupart du temps. Ou comment ne pas être la même personne dans le personnel et l’intime et en société, en bande, avec les camarades, quand un jeu d’acting et du paraître se met en branle. Ou encore, comment l’individu lutte pour sa survie ou bien se fond dans la masse, dans la généralité.

Après trois ans de recherche, Gondry a réuni un casting entièrement composé de comédiens non-professionnels, tous de véritables lycéens interprétant presque avec naturel leur propre rôle. De même que la conductrice du bus d’ailleurs dont c’est le métier. Ce point tend vers ce qui définirait véritablement le projet si l’on devait le résumer en un terme : l’authenticité. Le cinéaste cherche une grande authenticité dans ce récit mi-drôle mi-affligeant, puisant aussi bien dans ses propres souvenirs d’adolescents que dans le vécu de ses jeunes comédiens en herbe. Investissant le jeune milieu étudiant moderne, Gondry essaie de livrer un miroir de la jeunesse du Bronx actuelle, la plus fidèle possible. Il raconte que l’idée lui était venue il y a une vingtaine d’années lors d’un trajet en bus similaire à celui narré dans The We and The I. Au départ, des bandes, des caractères. Puis au gré des stations qui défilent, des gens qui descendent, les personnalités changent selon que l’on soit en groupe ou seul. Et finalement, le film de montrer le fossé qui sépare l’humain selon le contexte dans lequel il se situe et l’impact de l’effet de groupe sur l’individu et l’individualité.

Dans sa démarche, The We and The I est aussi intelligent que passionnant. Dans son résultat, malgré l’effet huis-clos en mouvement s’avère plutôt vivant, jamais ni longuet ni ennuyeux. On pourrait presque même dire que ce trajet défile assez vite tant il y a de la vie dans ces 1h40 bruyantes, riches, foisonnantes où la caméra saute sans cesse de personnage en personnage, opérant des allers et venues sur les uns et les autres, passant de conversation en conversation alors que tout se croise et s’entrecroise régulièrement. Le trajet contemplé devient au final, un double-trajet puisque outre le voyage physique du bus, le film a surtout pour vocation de s’attarder sur le trajet humain de personnages qui changent au cours de ces 1h40. Non pas qui changent dans un récit initiatique où ils vont apprendre sur eux-mêmes, pas du tout, ce serait une erreur de classer le film dans ce registre. Car concrètement, aucun personnage ne change et ce n’était d’ailleurs pas ni le sujet, ni le but. C’est juste leur personnalité malléable qui évolue selon le contexte. Gondry montre toute la complexité de l’adolescence, un âge où s’affirmer n’est pas chose aisée et où l’influence d’autrui a une place prépondérante. Et The We and The I de gagner en profondeur au fur et à mesure de son déroulement pour trouver dans son dernier acte, la conclusion qu’il recherchait, qu’il essayait d’esquisser et qui viendra une fois le bus vide, tombant comme une sentence.

Pour son huitième film, Michel Gondry offre une expérience dont la portée pourrait être universelle au-delà de la jeunesse du Bronx, au-delà de la jeunesse tout court d’ailleurs. The We and The I est peut-être son film le plus profond à ce jour, dont le caractère brut et empreint de véracité lui confère un ton très sociologique. C’est aussi son plus difficile d’accès. Difficile par exemple de se familiariser à certains de ces jeunes dont la méchanceté vile aura de quoi exaspérer sur la durée, aura de quoi énerver au point de toucher un point de non-retour annihilant la compassion et l’attachement. Difficile également de se faire à ce brouhaha permanent et fatiguant, reflet de la jeunesse actuelle réglée en mode sur-vitalité gonflante. D’autant que The We and The I n’est pas exempt de défaut. Outre les dispensables effets « tendance » d’un Gondry qui veut embrasser une esthétique calquée sur la jeunesse hip hop d’aujourd’hui, la conclusion du film perd en puissance à se focaliser, à l’arrivée et rétrospectivement, sur trop peu de personnages pour que le discours prenne toute son ampleur. Sur la multitude de protagonistes peuplant ce bus, beaucoup trop sont évacués en cours de route au gré des descentes et des stations, sans que leur présence, en dehors d’accroître l’effet de nombre, n’ait amenée quelque chose de constructif dans ce désordre filmé. Il faut donc attendre la toute fin et que ce bus de ville soit vide pour qu’enfin, le film dégage clairement son idée directrice en s’appuyant sur trois voire deux personnages. Et c’est bien dommage car, à y repenser, on aurait aimé que le concept s’applique à d’autres, tout aussi intéressant mais qui finalement sont exclus de cette conclusion solennelle. Ambitieux dans son postulat, The We and The I est un petit film qui voyait grand. Gondry avait une idée en or mais très difficile à concrétiser et à coucher sur pellicule sans que le concept ne devienne lassant et surtout sans que l’idée directrice ne s’évapore dans la multitude. A la fois réussi et bancal, The We and The I se révèle maladroit dans son dernier acte mais, en même temps, était-il possible de faire autrement sans trop se disperser ?

Bande-annonce :

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