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INSENSIBLES (critique)

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Carte d’identité :
Nom : Insensibles
Père : Juan Carlos Medina
Livret de famille : Alex Brendemühl (David), Tomas Lemarquis (Berkano), Irene Montala (Anais), Sylvia Bel (Judith), Derek de Lint (Holzmann), Bea Segura (l’infirmière Magdalena), Juan Diego (Adàn, le père)…
Date de naissance : 2012 / Nationalité : Espagne, France, Portugal
Taille/Poids : 1h45 – 4 millions €

Signes particuliers (+) : Un tour de force pour un premier film, métaphore subtile et bouleversante de la situation du pays qui n’a pas exorcisé son douloureux passé. Plastiquement magnifique, narrativement maîtrisé.

Signes particuliers (-) : Confusion, froideur et un final baroque pourront déranger ceux qui n’entreront pas dans cette histoire sans cesse sur un fil.

 

SENSIBILITÉ ET INSENSIBILITÉ : PROPOS ET ÉTUDE SUR L’ESPAGNE D’AUJOURD’HUI

Résumé : 1934. Des enfants atteint d’une maladie les rendant insensibles à la douleur, sont arrachés à leurs parents pour être internés dans un institut au motif qu’ils peuvent être un danger pour eux-mêmes et pour les autres. De nos jours, David Martel, un neurochirurgien, essuie un violent accident de voiture avec sa compagne enceinte…

La nouvelle vague du cinéma fantastique espagnol a la fâcheuse tendance à tourner en rond depuis quelque temps, les films se ressemblant tous, ni vraiment bons ni vraiment mauvais, mais tous accompagnés d’une impression de déjà-vu récurrente, comme si les films se recyclaient les uns les autres dans un perpétuel mouvement incessant cyclique. C’est dans ce contexte que tombe le premier long-métrage du cinéaste Juan Carlos Medina, dont la version finale a été coécrite avec le scénariste de RECLuiso Berdejo. Medina, trentenaire auteur de deux courts a ramé pendant plusieurs années avec son script, avant de trouver la solution dans cette collaboration pour s’attaquer, par le biais du film de genre, à l’un des traumatismes pas encore totalement exorcisé de l’Espagne, la guerre civile et le Franquisme, déjà traité de cette manière-là et avec grand talent, par Guillermo Del Toro sur L’Echine du Diable puis le somptueux Labyrinthe de Pan. A mi-chemin entre le drame douloureux et le film fantastique, Insensibles ne laisse pas… insensible justement, tant par la dureté de sa partie dramatique que par le lyrisme de sa partie surnaturelle. Et pour un premier film, Medina de frapper un grand coup sans pour autant, révolutionner le cinéma ibérique, mais en affichant une maturité impressionnante dans la façon dont son film déploie sa maestria.

Insensibles s’articule sur une structure narrative casse-gueule, récit à deux-temps dans tous les sens du terme. Deux-temps puisqu’il s’attache à suivre deux histoires parallèles et deux-temps parce qu’elles se situent chacune à des temporalités différentes, la première, de nos jours, suivant un neurochirurgien victime d’un dramatique accident de voiture avec sa compagne enceinte et la seconde, en 1935, à l’aube d’une guerre civile qui va défigurer le pays, s’attachant au destin tragique d’enfants atteints d’une maladie rare les rendant insensibles à la douleur. On a du mal à voir dans l’immédiat où veut aller Medina avec ces deux récits évoluant conjointement même si l’on peut en avoir une vague idée mais qui semble un peu tirée par les cheveux. Pourtant, c’est dans la durée, dans sa globalité, que Insensibles va révéler toutes ses qualités et sa puissance magistrale.

Avec son récit tortueux remarquablement maîtrisé, resserrant de plus en plus, au fur et à mesure de sa progression, ses deux histoires et ses sauts temporels pour dévoiler sa finalité, avec sa splendeur visuelle (la marque de fabrique indéniable du néo-fantastique espagnol souvent plastiquement admirable) et sa mise en scène millimétrée et d’un raffinement intense, étonnante pour un premier film, avec l’intelligence de son discours et de la mise en abîme d’un passé national et collectif encore trop frais dans les esprits, tabou sur les lèvres des espagnols, Insensibles scotche, bluffe, , impressionne. Si l’on ne perçoit pas forcément immédiatement toutes ses qualités, c’est parce que l’œuvre de Medina a pour elle cette marque des grands films qui est de savoir ménager sa bravoure pour gagner en force au fur et à mesure de son évolution. Ne pas se livrer entièrement d’emblée et avoir intrinsèquement de quoi croître, grandir, se déployer et alimenter l’instant d’après en tenant le spectateur entre ses griffes, telle est la mécanique d’un film passionnant, à la fois éreintant et conférant au sublime, sans pour autant jamais dévier du style classique du cinéma de genre ibérique mais en essayant de se rapprocher au plus près du travail d’un Guillermo Del Toro dont on retrouve beaucoup dans l’inspiration qui nourrit le film de Medina.

Même s’il est parfois un peu froid, limite un peu glacial (le défaut récurrent du néo-fantastique ibérique), Insensibles est probablement ce que l’Espagne nous a donné de meilleur dans le registre depuis les chefs d’œuvre de Del Toro. Beaucoup de petits films banals, sans saveur particulière, auront été essuyés avant de voir venir ce drame onirique bâti sur les cendres d’une douleur nationale pas totalement cicatrisée. Récit de multiples quêtes sans fin, Insensibles illustre bien la façon dont un pays cherche encore à comprendre ce qui lui est arrivé tout en se confrontant à un voile jeté pour masquer ce qui dérange. Medina, par l’entremise de la fiction, réussit un tour de force prodigieux dans ce qui se mue en métaphore splendide : parler de son pays, parler de sa douleur, parler de ses fêlures, effleurer son passé en le mettant face à ses contradictions, lui qui voudrait avancer mais qui se refuse à solder ses comptes et à exorciser les non-dits. Malgré quelques passages un peu confus, Insensibles est une implacable et bouleversante errance tendue d’une ambition folle construite sur des paradoxes, à la fois subtile et directe, réfléchie et perturbante, percutante et pleine de tact, belle et sale, envoutante et secouante. Ce sont certainement d’ailleurs ces à-coups de rythme, ces accrocs à un canevas proprement ficelé qui lui donne cette force terrible et hallucinante. Tout n’est certes pas parfait et peut-être que la grandiloquence de certains passages ou du final feront sourire au lieu d’atteindre leurs objectifs, mais quand même, quelle claque viscérale !

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