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LE POIRIER SAUVAGE de Nuri Bilge Ceylan : la critique du film [Cannes 2018]

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Carte d’identité :
Nom : Ahlat Agaci
Père : Nuri Bilge Ceylan
Date de naissance : 2018
Majorité : 08 août 2018
Type : Sortie en salles
Nationalité : Turquie
Taille : 3h08 / Poids : NC
Genre
: Drame

Livret de famille : Doğu Demirkol, Murat Cemcir, Bennu Yıldırımlar…

Signes particuliers : Long mais si beau.

NURI BILGE CEYLAN ENVOÛTE ENCORE UNE FOIS

LA CRITIQUE DE LE POIRIER SAUVAGE

Résumé : Passionné de littérature, Sinan a toujours voulu être écrivain. De retour dans son village natal d’Anatolie, il met toute son énergie à trouver l’argent nécessaire pour être publié, mais les dettes de son père finissent par le rattraper…

C’est un grand habitué du festival de Cannes que l’on a retrouvé avec plaisir cette année dans la sélection officielle : Nuri Bilge Ceylan. Le cinéaste turc y proposait son nouveau long-métrage, Le Poirier Sauvage, qui vient s’ajouter à une filmographie aussi exceptionnelle qu’exigeante. De Uzak à Il était une fois en Anatolie en passant par Nuages de mai, Les Climats, Les Trois Singes ou Winter Sleep, Nuri Bilge Ceylan est un artiste au style impressionniste dont le cinéma est à la fois naturaliste, social, universel, existentiel. Sa mélancolie contemplative et sa propension à jouer avec la dilatation du temps en font un auteur dont l’œuvre n’est pas évidente à appréhender pour les profanes, mais les cinéphiles ont toujours su y déceler un immense amour du cinéma, de la tragédie à la Tchekhov, et des personnages en souffrance disséqués et mis à nu. De quoi aider à surmonter des œuvres souvent longues, artistiquement minimalistes, capables d’être silencieuses pour mieux aller chercher en profondeur, ses plus puissantes idées grâce au pouvoir de l’image. Un peu comme les modèles auxquels il est souvent comparé, d’Antonioni à Angelopoulos en passant par Bergman. 

Avec Le Poirier Sauvage, Nuri Bilge Ceylan signe un film typique de son travail de toujours. Dans ce drame fleuve avoisinant les 3h15, le metteur en scène s’attache aux pas de Sinan, un jeune homme qui a toujours rêvé de devenir écrivain. De retour dans sa petite ville du côté des Dardanelles, il va essayer d’être publié tout en devant composer avec les dettes de son père et son profond désamour pour cette contrée qu’il rejette, comme il rejette son héritage social et familial. Mais la maturité et le passage à l’âge adulte requiert d’emprunter un chemin personnel que Sinan va devoir effectuer pour évoluer.

Que peut donc bien pouvoir raconter Nuri Bilge Ceylan qui vaille la peine de s’étendre sur plus de trois heures ? Tout simplement, des choses de la vie, et la vie ne se résume pas en une heure et demi, ni au cinéma ni ailleurs. Avec Le Poirier Sauvage, le cinéaste dresse le portrait d’un personnage aussi complexe que n’importe quel être humain, et à travers lui, un portrait des personnes qui l’entourent, le nourrissent, le contraignent ou le font évoluer. Dans ce nouveau long-métrage, Ceylan parle essentiellement des relations pères-fils, des conflits générationnels, de ce que l’on hérite de nos modèles parentaux entre amour, rancœur, reproches, admiration ou besoin de reconnaissance. Comme souvent, le réalisateur se perd parfois, pris dans ses élans existentialo-philosophiques qu’il dilate à l’extrême, voire à l’excès. Une fois n’est pas coutume avec son cinéma, certains y verront un étirement tel que le film rompra sous le poids de son excessive lenteur et de son verbiage démesuré. Mais les autres seront littéralement habités par une œuvre posée, qui pense ses thématiques dans la quiétude de cette lenteur sage. Au cœur, un personnage que le cinéaste va scruter selon ses qualités et ses failles, sans jamais chercher à faire un héros aimable, bien au contraire. Parfois, il pourra même être agaçant, têtu, ingrat. Autant qu’à d’autres instants, il sera bouleversant, universel, symbole de tous ces fils qui refusent de croire qu’ils ont hérité de choses de leurs pères, transmission pourtant incontournable, qu’on le veuille ou non. 

Alors oui, Le Poirier Sauvage exige une indéniable abnégation cinéphilique pour surmonter trois heures de cinéma contemplatif turc, mais c’est le prix à payer pour une œuvre magnifique, profonde, dense, et qui de surcroît, s’offre dans une beauté formelle étourdissante. Fin cinéaste toujours préoccupé par l’envie de conjuguer richesse du fond et prose esthétique, Nuri Bilge Ceylan signe une fois de plus une œuvre d’une beauté renversante, minutieuse dans son travail sur les couleurs et sur la texture de l’image, dans sa manière de filmer la nature, et dans son ampleur romanesque avec ses longs plans aux travellings et panoramiques de génie. Comme avec Winter Sleep ou Il était une fois en Anatolie, Nuri Bilge Ceylan poursuit son travail fondé sur un regard aiguisé sur son pays, sur sa société moderne, sur la place de l’homme dans le monde et sur la place de l’homme autour et à l’intérieur de lui-même. Du cinéma introspectif à échelle lyrique et intimiste (bonjour l’oxymore) qui prend son temps pour dire beaucoup sur l’évolution d’un homme, ou plutôt de l’homme au sein d’une vie.

BANDE-ANNONCE : prochainement

Par Nicolas Rieux

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