Nom : La chambre de Mariana
Père : Emmanuel Finkiel
Date de naissance : 23 avril 2025
Type : sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 2h11 / Poids : NC
Genre : Drame, Guerre
Livret de Famille : Mélanie Thierry, Artem Kyryk, Julia Goldberg…
Signes particuliers : Encore un grand film signé Finkiel.
Synopsis : 1943, Ukraine, Hugo a 12 ans. Pour le sauver de la déportation, sa mère le confie à son amie d’enfance Mariana, une prostituée qui vit dans une maison close à la sortie de la ville. Caché dans le placard de la chambre de Mariana, toute son existence est suspendue aux bruits qui l’entourent et aux scènes qu’il devine à travers la cloison…
L’ENFANT, LA CACHETTE ET LA MADONE
NOTRE AVIS SUR LA CHAMBRE DE MARIANA
La dernière fois que l’on a croisé la route d’Emmanuel Finkiel, c’était il y a sept ans et son époustouflant La Douleur, film aussi fort qu’exigeant, aussi intense que mal aimable. Aujourd’hui, le cinéaste revient avec le même univers historique et la même comédienne. Toujours la Seconde Guerre Mondiale, toujours Mélanie Thierry. Après avoir adapté Marguerite Duras, Finkiel adapte cette fois Aharon Appelfeld. L’Ukraine de 1943 remplace le Paris de 1944 mais Mélanie Thierry remplit toujours le cadre avec intensité. La Chambre de Mariana retrace le parcours d’un enfant juif confié par sa mère à une amie prostituée dans une maison close. Caché dans le placard de la chambre de cette Mariana, Hugo va appréhender la guerre via ce qu’il entend à travers la cloison, via ce qu’il entrevoit à travers les feintes du bois ou à travers un bout de rideau mal refermé. Il va faire l’expérience de la peur, de l’horreur mais aussi de la sensualité, de la solidarité et de la bonté.
On a coutume de dire que la foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit. Emmanuel Finkiel si. A nouveau le cinéaste nous replonge dans l’horreur de la Deuxième Guerre Mondiale. À nouveau, il parle de douleur et d’arrachement. A nouveau, le cinéaste signe un film sensoriel. Proches, La Douleur et La Chambre de Mariana pourraient être les deux films d’un diptyque. Emmanuel Finkiel parle plus volontiers de trilogie en leur joignant Voyages, son drame poignant où un groupe de juifs ashkénazes part en autocar pour aller visiter le site d’Auschwitz. La différence, c’est que dans La Douleur, Finkiel filmait les échos de l’horreur avec une femme qui attend le retour de quelqu’un. Cette fois, le cinéaste monte au front comme il le dit, il saisit à vif ceux qui ont vécu cette horreur insoutenable. Et la démonstration est d’une puissance sans faille. La Chambre de Mariana capte des fragments de l’horreur. Sorte de huis-clos étouffant, tout le regard du film passe par les yeux de ce jeune garçon qui va vivre la guerre et ses tourments cachés dans une étroite alcôve d’une maison close ukrainienne. Il va deviner les passes de Mariana avec les soldats allemands, il va trembler de peur que son secret soit découvert, il va ressentir la bienveillance de cette sauveuse à son égard, mais aussi entendre le bruit des mitraillettes à l’extérieur et entrevoir de brèves images de rafles aperçues à travers l’espace d’un demi-rideau fermé. Par son dispositif marqué nous privant souvent de l’image démonstrative (en écho à celui de La Douleur qui jouait beaucoup sur le son), Emmanuel Finkiel signe une œuvre forte où la Shoah devient un spectre évoluant partout autour de victimes piégées dans un étroit espace de survie de plus en plus resserré et asphyxiant.
Parce que le cinéma est un art visuel, il était difficile pour Finkiel de respecter scrupuleusement le roman d’Appelfeld raconté depuis l’intérieur d’un placard fermé. Le cinéaste s’est donc montré inventif pour contourner le problème, figurant l’imaginaire du petit garçon, lui offrant des interstices pour entrevoir à défaut de voir. Il s’est aussi permis quelques sorties dont une séquence en extérieur, la seule fois où il montrera l’horreur frontalement avec une insoutenable scène de charnier à laquelle le petit Hugo est confronté sans ménagement. Ce sera la seule et unique fois où Finkiel sera démonstratif. Le reste du temps, il ne jouera que de finesse, subtilité et intelligence pour faire passer son histoire, ses intentions et messages.
Boule d’émotions tourmentées, La Chambre de Mariana est le témoin d’un passage forcé de l’enfance à l’âge adulte. Tout y est montré sans être montré, de la cruauté de la Shoah à l’éveil sexuel, de l’interminable temps qui ne passe pas à la douceur incarnée par cette madone maternelle. Superbe, douloureux et émouvant, le nouveau film d’Emmanuel Finkiel brille par son intelligence, par la fantastique performance de Mélanie Thierry aussi.
Par Nicolas Rieux