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CAFÉ DE FLORE (critique)

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Carte d’identité :
Nom : Café de Flore
Parents : Jean-Marc Vallée
Livret de famille : Vanessa Paradis, Kevin Parent, Hélène Florent, Marin Gerrier, Evelyne Brochu, Alice Dubois, Evelyne de la Chenelière, Michel Dumont…
Date de naissance : 2010
Nationalité : France, Canada
Taille/Poids : 12h00 – 10 millions $ CAN.

Signes particuliers (+) : Une ode bouleversante sur le deuil d’une relation et la fragilité humaine. Un film à fleur de peau magnifié par une belle mise en scène soignée. Ambitieux à tous les niveaux.

Signes particuliers (-) : Un peu trop décousu dans son montage éclaté sur deux époques. Pas facile d’accès.

 

LE PARADIS DU CAFÉ

Résumé : Paris, 1969. Jacqueline élève seule son enfant trisomique Laurent, qu’elle aime plus que tout. Loin de là, en 2010, Antoine est un DJ. Il vient de divorcer d’avec sa femme Carole, son amour depuis le lycée, car il a fait la connaissance d’une autre. Peiné par cet entre deux, faisant face aux reproches familiaux de ses parents et de ses enfants, Antoine est perdu…

Café de Flore est presque l’œuvre d’un seul homme, le canadien Jean-Marc Vallée, de retour deux ans après Victoria : les Jeunes Années d’une Reine. L’auteur de l’excellent C.R.A.Z.Y. en 2006 est ici acteur, réalisateur, scénariste, coproducteur et monteur, soit partout. Peut-être une erreur d’ailleurs car à tout vouloir gérer, à trop vouloir couver son bébé cinématographique comme cela, on prend parfois le risque de se perdre et de s’éparpiller sous l’ampleur de la charge en y perdant au passage sa lucidité de regard sur son œuvre.

A cheval entre la France des années 1960 où Jacqueline élève seule son fils trisomique et le Montréal des années 2010 où Antoine est en plein trouble familial, Café de Flore navigue dans le temps, navigue géographiquement et propose une construction puzzle complexe déroutante. Deux histoires parallèles, sans lien de premier abord si ce n’est une thématique commune, s’entremêlent, se chevauchent, s’enchevêtrent comme deux branches de lierre au rythme d’une musique intemporelle et récurrente traversant les âges et les frontières et s’offrant comme une sorte de virgule séparant deux parties d’une seule et même phrase au sujet commun. Car c’est bien le principe du film de Vallée. Deux histoires, deux époques, deux pays, deux types de personnages très différents mais au final, l’exploration d’un sujet unique.

Avec Café de Flore, Vallée se lance dans une œuvre hautement ambitieuse aussi bien esthétiquement que scénaristiquement et dont la richesse n’est pas forcément palpable à la première ou à la seconde vision. Philosophant sur l’amour, sa force, sa folie, sa passion mais aussi ses excès, ses dangers et ses ravages, le cinéaste tend à explorer le délicat terrain de ce sentiment passionnant et complexe, mais en s’éloignant de la légèreté des comédies romantiques insipides servies par tout un cinéma pop corn abrutissant cette notion en la ramenant à une vision très terre à terre. Le réalisateur canadien plonge lui dans toute la complexité émotionnelle à double tranchant entre sentiment puissant d’exaltation et passionnel et sentiment dangereux de force brute potentiellement auto-destructrice. Jacqueline, mère étouffante d’un enfant pas comme les autres, aime son fils plus que tout. Cette amour indéfectible au départ se transforme progressivement en un amour dangereusement passionnel car faisant perdre toute lucidité et recul sur les évènements. Comment élever au mieux son fils quand l’amour qu’on lui porte supplante tout au point d’écraser de tout son poids les décisions difficiles qu’il serait judicieux de prendre à son égard et pour son bien ? Et cet enfant, différent par sa condition, n’a t-il pas le droit d’aimer et d’être aimé ? C’est pourtant ce qui va arriver lorsqu’il croisera à l’école la route d’une jeune fille comme lui. Les deux enfants vont tisser un lien si fort qu’il en deviendra dangereux mais quasi indestructible, un lien empoisonnant un grippant tout un ensemble relationnel établi, un lien d’amour intensément dramatique. Loin de tout cela, quarante plus tard et outre-Atlantique, Antoine est un DJ à succès. Mais il peine à faire le deuil de sa séparation avec son ex-femme Carole, la mère de ses deux enfants. Même s’il est amoureux de sa nouvelle compagne, son âme sœur depuis l’adolescence reste dans son cœur. Et il en va de même pour une Carole qui donne le change mais qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans la dépression. Elle qui a aimé Antoine plus que tout, le considérant comme sa flamme jumelle, ne peut se résoudre à faire le deuil de cette relation mais par extension à accepter son erreur. Antoine n’était-il peut-être pas sa flamme jumelle ? L’amour passionné qui aura dévoré ces deux adultes depuis l’enfance est en train aujourd’hui de les consumer de l’intérieur, ce que l’onde de choc de leur séparation n’arrange pas au niveau de leur entourage, parents ou enfants.

Vallée parle de l’amour, décortique l’amour mais surtout philosophe et tente une réflexion sur l’amour en tant que concept, en tant que sentiment le plus intense qui soit chez l’homme et en faisant sa singularité. L’amour peut-être la plus belle chose qui soit mais son intensité comporte un risque. Son addiction nous amène à marcher sur les rebords d’une falaise haute et peu stable, dont l’effritement à la moindre secousse peut nous entraîner dans un précipice sans fin.

Fascinant de beauté et de poésie dramatique et mélancolique, Café de Flore, du nom du célèbre café parisien de Saint-Germain des Près, se présente comme une réflexion mystico-surnaturelle ou Vallée pose beaucoup de questions, analyse des situations, laissent quelques indices mais surtout nous laisse dans les méandres nébuleux de son ambitieuse œuvre substantiellement riche. A ses risques et périls d’ailleurs car en plaçant la barre si haute, en se voulant si ambitieux, le canadien a aussi pris le risque de s’aliéner un grand nombre de spectateurs totalement déroutés par la complexité de la chose, peu explicite, parfois incompréhensible. Pourtant envoutant, hypnotisant, le dernier film de l’auteur nous promène au rythme d’une BO somptueuse où s’entendent les Pink Floyd, The Cure, Sophie Hunger (pour une extraordinaire reprise du « Vent nous Portera » de Noir Désir, de Sigur Ros ou de The Matthew Herbert Big (pour le thème central marquant) mais prend aussi le risque de nous perdre en route. Et cela à plus forte raison au détour d’une fin laissant perplexe sur les intentions du cinéaste depuis le début, sur le but de toute son entreprise. Ou Vallée souhaitait-il nous conduire durant tout ce temps par ce capharnaüm arty multipliant les déconstructions et les allers et retours temporels ? Si la réponse pourrait bien décevoir au vu de certains indices laissés ça et là et de certains passages de l’histoire faisant trébucher les deux jambes de toute l’œuvre par sa dimension empreint de stupide facilité de bas étage loin de l’esprit dont faisait preuve le projet depuis le départ, mieux vaut d’en tenir à la fascination pour une œuvre aux images superbes, aux scènes émotionnellement fortes, à la musique mélodique, une œuvre empreint d’une certaine magie mystique étrange, douce et inspirée, une œuvre portée par des comédiens exceptionnels avec en tête d’affiche une impressionnante Vanessa Paradis entourée d’une Hélène Florent troublante ou d’un Kevin Parent passionnant.

Film à fleur de peau, un peu difficile d’accès, Café de Flore fait partie de ses œuvres dont on ne comprendra peut-être pas tout, dont on ne saisirait pas forcément la richesse instantanément, mais qui provoquera bien des ressentis et laissera bien des impressions et questions en suspens. Car au de-là d’une sous-intrigue glissée dérivant vers des relents surnaturels (quel rapport y’a t-il entre ces deux histoires au demeurant ?) et que quelques rares indices laissés peuvent nous permettre de résoudre tout ou partiellement (ce dont on se serait finalement bien passé car pour qui comprendra, les explications entament grandement la force du film qui ne requerrait pas tant de facilité rabaissant le niveau de l’ensemble) il reste une superbe ode inspirée à l’amour et une tragique expérience filmique du deuil d’une relation. Dans tous les cas, Café de Flore est une démonstration bouleversante de toute la fragilité humaine…

Bande-annonce :

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