L’HISTOIRE DE SOULEYMANE de Boris Lojkine : la critique du film

Tous ceux qui ont déjà commandé sur Uber Eats ou Deliveroo ont déjà eu pesté contre ces pauvres livreurs la plupart du temps paumés alors qu’ils sont au pied de ta porte ou incapables de trouver ta rue ou ton interphone. Ces livreurs qui répondent à notre petit confort de commander à manger sans lever nos fesses de notre canapé, ce sont parfois/souvent (au choix) des hommes tels que Souleymane, jeune sans-papiers venu en France pour gagner un peu d’argent car sa mère, restée au pays, est malade. Boris Lojkine est parti à la rencontre de ces hommes que l’on voit partout sur leurs vélos et qui sont pourtant invisibles dans la société. Après un gros travail de documentation pour saisir et comprendre leurs quotidiens, il a entrepris d’écrire avec sa scénariste L’Histoire de Souleymane, sorte de tête de gondole fictive les représentant tous.

Alors qu’il doit passer son entretien pour se mettre en règle dans deux jours, Souleymane court partout, pour travailler, pour se préparer, pour des documents, pour récupérer de l’argent qu’on lui doit, pour voir celui qui lui sous-loue son compte de livreur… Sa vie devient un thriller suffocant de plus en plus tendu alors qu’approche le jour où l’on va décider de la suite de sa vie.

L’Histoire de Souleymane avait connu les honneurs du festival de Cannes avec à la clé, deux récompenses amplement méritées, le prix du Jury dans la sélection Un Certain Regard et le prix du Meilleur Acteur. A ce sujet, il faut dire qu’à l’écran Souleymane c’est Abou Sangaré, et Abou Sangaré c’est un peu Souleymane. La vie de ce jeune guinéen en attente de papiers (après déjà deux refus) est très proche du personnage qu’il incarne au cinéma. De quoi expliquer l’impressionnante justesse de son jeu dans le film de Boris Lojkine où il semble vivre avec les tripes le parcours haletant et terrifié de ce jeune homme qui ne rêve que d’une chose : intégrer la société et lui prouver sa valeur.

Drame porté par une tension à couper le souffle, L’Histoire de Souleymane est une odyssée sur quelques jours décisifs qui provoque des émotions fortes, d’angoisse, d’indignation, de déchirement, de compassion. À l’heure où une crise politique grave couve dans notre pays avec la menace d’un repli sur soi, à l’heure où ces migrants (qui font souvent des jobs difficiles dont personne ne veut) sont de plus en plus mal vus ou rejetés, le film de Boris Lojkine est une piqûre d’humanité. Un rappel pour ceux qui oublient. Ces hommes et femmes qui viennent sont souvent terrifiés, emportés par la vie dans un inconnu où tout devient une menace pour eux. Les voir, les considérer, est déjà un début. L’histoire de Souleymane est le portrait du chaos auquel ils sont confrontés. Chaos dans les rues qu’ils arpentent, chaos dans les relations qu’ils ont avec des clients les traitant comme des « Riens », chaos social dans leur quête du Graal -des papiers-, chaos dans le sentiment de peur constant qui les accompagne partout.

Tout drame intimiste et portraitiste qu’il soit, il se dégage un côté presque spectaculaire de cette Histoire de Souleymane. De quoi donner au film un côté choc et espérer que cette efficacité emprunté au thriller lui permettra d’être visible d’un plus grand public que le simple cercle des cinéphiles avertis. On pense de très loin au À Plein Temps d’Eric Gravel avec Laure Calamy sur une mère célibataire à bout de souffle. Ces films que l’on pourrait qualifier de « thrillers sociaux » où un sujet éminemment social et politique est conjugué à un rythme soutenu traduisant un chaos vécu et subi. L’histoire de Souleymane est une grosse claque et un film d’actualité à voir absolument.