Mondomètre
Carte d’identité :
Nom : Silence
Père : Martin Scorsese
Date de naissance : 2016
Majorité : 08 février 2017
Type : Sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 2h41 / Poids : NC
Genre : Drame
Livret de famille : Andrew Garfield, Liam Neeson, Adam Driver, Tadanobu Asano, Ciaran Hinds, Yôsuke Kubozuka, Yoshi Oida, Shinya Tsukamoto…
Signes particuliers : Scorsese au sommet de sa forme, dans son film le plus difficile depuis longtemps.
LES MISSIONNAIRES DU BOUT DU MONDE
LA CRITIQUE DE SILENCE
Résumé : XVIIème siècle, deux prêtres jésuites se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira, disparu alors qu’il tentait de répandre les enseignements du catholicisme. Au terme d’un dangereux voyage, ils découvrent un pays où le christianisme est décrété illégal et ses fidèles persécutés. Ils devront mener dans la clandestinité cette quête périlleuse qui confrontera leur foi aux pires épreuves.
28 ans, c’est le temps qu’il aura fallu à Martin Scorsese pour réussir à porter à l’écran l’un des projets de sa vie. Fasciné depuis toujours par Silence, le célèbre roman de Shūsaku Endō paru en 1966, le cinéaste sera souvent revenu, tout au long de sa carrière, sur cette adaptation qu’il désirait ardemment, lui le chrétien obsédé par les tourments de la religion (personne n’a oublié son formidable et décrié La Dernière Tentation du Christ). Mais Silence était un film difficile à monter, tant économiquement qu’artistiquement, car son sujet n’était pas « vendeur », à l’inverse de la plupart des œuvres passées du metteur en scène, alléchantes dès le papier. Aujourd’hui, après presque trente ans de patience et de volonté passionnée, Silence voit enfin le jour, porté par un impressionnant Andrew Garfield, entouré d’Adam Driver, Liam Neeson et Tadanodu Asano. Silence, ou l’histoire de deux prêtres jésuites envoyés dans le Japon du XVIIème siècle, à la recherche de l’évangéliste Cristóvão Ferreira, missionnaire porté disparu dans un pays bouddhiste où sont traqués et assassinés les adeptes d’un christianisme jugé illégal. Menant leur enquête, les pères Rodrigues et Garupe tentent de retrouver leur mentor, tout en poursuivant dans la clandestinité, son travail d’évangélisation.
Silence, le film le plus radical réalisé par Scorsese depuis longtemps. Aux antipodes de son cinéma habituel, alors qu’il n’a plus rien à prouver pour demeurer « à la mode », le maestro new-yorkais livre une œuvre aussi grandiose qu’exigeante, aussi passionnante que contemplative, aussi épurée que brillamment élaborée. Anti-scorsesien sur la forme, viscéralement scorsesien dans le fond, alors que des thématiques chères au cinéaste soutiennent l’entièreté de cet édifice aux allures de cathédrale vertigineuse, Silence est dense, complexe, difficile, mais étourdissant de puissance virginale.
Silence puise surtout sa beauté, sa force et sa richesse, dans sa lenteur mélancolique qui immerge le spectateur davantage dans une expérience philosophico-métaphysique, que dans une aventure palpitante aux nombreux rebondissements sensationnalistes. Pour beaucoup, Silence pourra être une épreuve insurmontable, un film imposant un hermétisme proche d’une étrange forme d’ennui. Et pourtant, c’est justement dans cette impression de fausse monotonie fastidieuse, que se niche toute la grandeur d’une œuvre extrêmement substantielle, parlant de la croyance, questionnant les fondements de la religion, parlant du doute et de son importance dans la quête de spiritualité, parlant de la foi, de la manière dont chacun l’appréhende et la vit, tout en faisant face au silence divin malgré les prières et les tourments endurés au nom de Dieu. Dramatiquement éthéré comme du Mizoguchi, formellement pur comme du Kurosawa, Silence est de ces films qui se découvrent, s’assimilent, puis se mûrissent. Et ce n’est qu’après un long processus de digestion cinématographique, que toute sa substance remonte sur le palais, balayant ainsi les longueurs évidentes qu’on pourra éventuellement lui trouver.
Ironiquement au vu de son titre, Silence parle. Beaucoup. Il a même réponse à tout ce qu’on pourrait lui reprocher de prime abord. Très verbeux, il extirpe de ses dialogues aériens, toute sa profondeur insondable, son humanité bouleversante et son théologisme déchiré. Très minimaliste, il tire de son dépouillement, toute sa profondeur et sa beauté solaire. Très long (2h45 quand même), il puise de ce rythme mélancolique et contemplatif, l’atmosphère austère qui magnifie sa gravité émotionnelle. Très épuré, ses plans sont aussi simples en apparence que prodigieusement composés et pensés dans un sens du détail sidérant, laissant abonder un symbolisme dénué de lourdeur.
Viscéralement incarné, magistralement interprété, superbement photographié, et filmé avec un génie humble, qui prouve que l’intelligence d’une mise en scène ne passe pas par les effets et artifices démonstratifs, mais par la pertinence de chaque plan, Silence est du grand Scorsese, du grand cinéma aussi, même si son hermétisme risque fort de lui compliquer la tâche dans sa quête d’un public large. Avec ce nouveau long-métrage, Scorsese se réinvente, reformule certaines de ses thématiques de prédilection dans un nouveau langage qui traduit son génie dans toute son essence fondamentale. A l’opposé de la folie du Loup de Wall Street, Silence est un perpétuel tourment intimiste qui déroute mais qui fascine, piégeant le spectateur dans une étourdissante spirale dévastatrice et rageuse… à sa manière.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux