De passage au festival de Deauville où était présenté le film 99 Homes de Ramin Bahrani dans lequel il partage l’affiche avec Andrew Garfield, nous avons pu rencontrer l’acteur Michael Shannon. Un comédien fascinant, qui incarne dans ce thriller social, un agent immobilier sans scrupules au lendemain de la crise. 99 Homes sortira début 2016 en e-cinema.
L’histoire : Un homme, dont la maison a été saisie par la banque, se retrouve à devoir travailler avec le promoteur immobilier véreux responsable de son malheur.
Comment êtes-vous arrivé sur le projet 99 Homes ?
Michael Shannon : Je voulais travailler avec Ramin Bahrani depuis un bon moment. J’admirais son travail et nous nous étions rencontrés à Venise lors du festival, il y a quelques années de cela. Il m’a envoyé le scénario et je l’ai trouvé très bien écrit. Il racontait une histoire qui aurait dû l’être depuis longtemps. J’ai trouvé qu’il réussissait bien à s’immerger dans l’aspect humain au milieu de cette crise économique. J’ai vraiment admiré sa vision de tout ça.
C’était facile de passer d’un aussi gros film que Man of Steel, à un projet aussi indépendant et réaliste que 99 Homes ?
Michael Shannon : Oui… A vrai dire, je n’y ai pas vraiment réfléchi. Pour moi, le boulot est le boulot. Depuis que j’ai commencé à être acteur, j’ai toujours eu la même approche, peu importe le type de projet. Disons que sur les films à très gros budget, vous avez plus de temps, plus d’argent, donc, ce n’est pas stressant. Mais j’ai vraiment pris du plaisir à faire un film indépendant.
Votre personnage, Rick Carver, est très vite présenté comme un businessman très professionnel, méthodique et charismatique. C’est établi très rapidement. Pour vous, était-ce important que ce soit le cas ?
Michael Shannon : Rick Carver n’est pas destiné à être un criminel. Il prend son métier très au sérieux et il sait tout de lui. C’est un milieu très complexe, et c’est difficile d’en comprendre toutes les lois et le fonctionnement. Tout est fait exprès pour que ce soit incompréhensible, pour pouvoir mieux intimider les gens. Rick est tout simplement un homme intelligent, qui a compris comment le système fonctionne et comment il peut en tirer avantage. Les personnes que j’ai pu rencontrer quand je faisais des recherches pour le rôle, percevaient les gens comme Rick uniquement comme un professionnel qui faisait son job. L’acte d’expulser quelqu’un de son domicile est quelque chose d’aussi désagréable que ça en a l’air, mais ce n’est pas illégal. Au demeurant, la personne qui enfreint la loi, c’est la personne expulsée…
Comment vous sentiez-vous connecté à ce sujet très social, et à votre personnage ?
Michael Shannon : Personnellement, je ne me sentais pas spécialement connecté à tout ça, parce que j’ai toujours été méfiant vis-à-vis de ce monde-là, et je m’en suis toujours tenu éloigné. Je ne me suis jamais vraiment attaché à l’immobilier. Comme le dit Rick Carver dans le film, « Ne soyez pas sentimental à propos de l’immobilier« . Je ne peux qu’être d’accord. Pour moi, il y a tellement de choses plus importantes que les biens immobiliers, dans la vie. Mais je peux comprendre qu’on soit attaché à une maison dans laquelle on est né et où l’on a grandi. Je peux comprendre l’attachement pour cette maison. La perdre est quelque chose de terrifiant. Ce rôle était un vrai challenge pour moi, car c’est un monde dont je suis très éloigné. Et c’était intéressant de s’y plonger.
Curieusement, dans le film, votre personnage est quelqu’un de très cynique, et pourtant, on n’arrive jamais à vraiment le détester. Comme si on le percevait juste comme un pion dans le système. Le film ne le juge pas et on ne le déteste jamais complètement. Quel regard avez-vous sur cet équilibre ?
Michael Shannon : Certains ne le détesteront pas, d’autres le haïront. Certains le verront comme un connard, d’autres comprendront d’où il vient. Il dit beaucoup de choses dans le film, qui sont censées à mes yeux. Les banques sont ignobles, le gouvernement a merdé sur beaucoup de choses. Mais il y a aussi une part de responsabilité personnelle. Je veux dire, aux États-Unis, les gens ont cette tendance à dépenser de l’argent qu’ils n’ont pas, pour acheter des choses dont ils n’ont pas besoin. Et ils se retrouvent dans la galère. Finalement, la façon dont Rick voit les choses est la suivante… La seule personne dont ce n’est pas la faute, c’est moi. Ce n’est pas de ma faute. Ce n’est pas moi qui ait contracté ces prêts, ce n’est pas moi qui ait cessé de payer mes traites. Je suis juste là pour vous dire que ce n’est plus votre maison, désormais. Et si je ne le fais pas, quelqu’un d’autre viendra le faire. C’est pareil ensuite pour Dennis Nash (joué par Andrew Garfield – ndlr). Ce qu’on voit avec Dennis, c’est qu’au début, ça lui brise le cœur de faire ça. Mais à l’arrivée, il se rend compte qu’il a eu beau essayer de prévenir les gens de ce qui va leur arriver… Le résultat est le même, on ne l’a pas écouté.
Peut-être que Rick cherche une porte de sortie en passant le relai à Dennis…
Michael Shannon : Oh, je pense que Rick pourrait continuer à expulser des gens pour le reste de sa vie… Il déteste ça. Peut-être qu’il en était arrivé à un carrefour dans sa vie. Quand il expulse Dennis Nash, il ne prend aucun plaisir à le faire. Quand il est là, à regarder des gens qui se sont fait sauter la cervelle… C’est horrible. Mais, que voulez-vous qu’il fasse ? Quelqu’un serait venu de toute manière pour virer ces gens. Car ce n’est plus leur maison désormais.
Comment s’est passée la collaboration avec Andrew Garfield ?
Michael Shannon : Nous avons gardé une certaine distance. Nous n’étions pas très proches. Peut-être parce que ç’aurait été bizarre. Nous tournions et chacun allait ensuite de son côté. Il était très impliqué dans l’intensité de son rôle. Il le prenait très à cœur. Pendant le tournage, il n’était pas du genre à aller faire la fête…
Vous n’avez pas essayé de lui enseigner des choses, de lui faire partager votre expérience ?
Michael Shannon : Non… Je ne suis pas un professeur. Je n’y connais rien en jeu d’acteur ! (rires) Non mais je suis sérieux !
Et quelle était votre relation avec le réalisateur, Ramin Bahrani ?
Michael Shannon : Oh, j’adore Ramin. Je retravaillerais avec lui sans problème. Il est tellement intelligent, préparé et consciencieux. C’est quelqu’un d’assez sombre. Il arrive à faire des films qui sont divertissants et qui parlent de l’état du pays et du monde, sans jamais verser dans le sermon. C’est terrifiant de faire des films comme ça car il n’y a aucune garantie d’y arriver, mais il y arrive, selon moi.
Pensez-vous que le sujet peut effrayer le public américain ? Car le film a mis du temps à sortir, il a été tourné en 2014…
Michael Shannon : Je pense que c’est en partie dû au fait, que la compagnie qui a acheté le film est assez jeune. Ils sont encore en train de développer leur infrastructure et ils n’étaient pas prêts à sortir le film. Ramin a obtenu l’argent pour faire le film, plus facilement que ses précédents long-métrages. Ça s’est débloqué assez vite, et je pense que si l’on se focalise plus sur la relation entre mon personnage et celui d’Andrew Garfield et sur cette histoire autour d’eux, il n’y aucune raison de s’inquiéter sur les éventuelles réactions négatives. Quelqu’un a dit que 99 Homes ressemblait un peu à du Sidney Lumet. Les drames sociaux ont été un genre très en vogue dans les années 70 et 80. Les films sur l’injustice, les films de procès… Je ne pense pas qu’il y ait de raisons de s’inquiéter. Au contraire, je crois que c’est un super registre et qu’il faudrait qu’il revienne.
Juste un mot sur le fait que Rick fume des e-cigarettes. Qui a eu cette idée ?
Michael Shannon : C’est Ramin qui a eu cette idée. Il me l’a soumise en me disant que je n’étais pas obligé si je n’en avais pas envie. Mais je trouvais que ça avait du sens. Certaines personnes penseront que Rick est détaché, qu’il n’a aucune compassion, qu’il est sans pitié. Selon moi, Rick ressent beaucoup de choses au contraire, mais il les intériorise. Et la vapeur de sa e-cigarette évoque un peu l’idée du moteur d’une machine qui serait en train de casser. C’est comme ça que je l’ai perçu et je trouve ça joli.
Une question un peu plus personnelle. Vous êtes un acteur très prolifique. Vous travaillez énormément, vous jouez dans beaucoup de films chaque année. Êtes-vous une sorte d’addict à la comédie ?
Michael Shannon : (rires). Le mot en anglais est « workaholic » (traduction littérale : alcoolique du travail – ndlr). Non, je ne pense pas. Je dis non à plein de choses, j’essaie de me réserver le plus de temps possible pour être en famille. Mais il y a plein de gens qui essaient de m’enrôler, pour diverses raisons, et la plupart des choses que j’ai faite récemment, c’est parce que j’étais très emballé par le script et par les opportunités qui se présentaient. J’ai fait un film à l’automne dernier, c’était une romance. Bon, ce n’était pas une de ces « comédies romantiques » où l’on va me sortir « Mais pourquoi avoir fait une comédie romantique ??« . Mais j’ai fait une romance. Et dès fois, on vient me voir avec des projets qui semblent un peu flippants et je dis « Oui, je le fais« . Mais l’année dernière a été particulièrement rude en terme de travail. Je pense que clairement, j’aimerai avoir un peu plus de temps libre là.
Un grand merci à Michael Shannon, aux équipes du Public System Cinema, à Anne-Sophie, Aïda et Alexis, aux autres intervenants de cette table ronde, ainsi qu’à Wild Bunch pour cet entretien.