On a eu la chance de rencontrer samedi dernier à l’hôtel Bristol à Paris, le cinéaste Gareth Edwards, réalisateur de l’un des films les plus attendus de l’année : le retour de GODZILLA au cinéma. Le cinéaste a répondu avec passion, humour et gentillesse à toutes les questions qui lui ont été posées. Au passage, vous trouverez notre avis sur le film ici.
Pourquoi avoir voulu refaire un Godzilla aujourd’hui ? On sait que le mythe est né dans un contexte post-nucléaire très particulier, quel sens avez-vous voulu donner à Godzilla dans le monde contemporain ?
Gareth Edwards : Bonjour… Je parle couramment français mais c’est mieux de traduire… Non en vrai, je parle pas un mot de français ! (rires) Il y a plusieurs raisons si Godzilla dure depuis 60 ans mais la plus importante est que contrairement aux autres franchises ou aux films de superhéros, à chaque fois que Godzilla apparaît, le film peut devenir n’importe quoi, ce que vous voulez en faire. On peut ré-inventer sans cesse Godzilla. Le film de 1954 était très sérieux. Il y a beaucoup de sens caché dans Godzilla et le monde entier peut le partager, pas seulement les japonais ou les russes… Un film de science fiction est intéressant s’il y a du sens derrière. Nous avons voulu retourner aux thématiques originelles, la question du nucléaire mais avec une perspective moderne comme récemment Fukushima… On voit que l’on ne peut pas contrôler la nature et c’est ce que ce film représente.
Par le passé, Godzilla a été des space opéra, des films plus pour les enfants, des films catastrophes, comment qualifieriez-vous le vôtre ?
Quand on essaie de faire un film, le faire pour les fans ou pour les enfants n’a pas vraiment de sens pour moi. Je pense qu’on fait surtout des films pour soi-même. On ferme les yeux, on imagine ce que ça nous ferait, les émotions qu’on ressentirait… Pour être honnête, j’ai fait ce film pour moi. Parce que nous sommes tous de grands enfants qui n’ont pas vraiment grandi. Vous faites le film que vous avez envie de voir, et du coup, que les gens voudraient voir.
Comment on gère le passage d’un extrême à un autre, d’un film auto-produit comme Monsters à un blockbuster comme Godzilla ?
Quand j’y pense, si on m’avait dit que je serai là, à Paris, parlant à la presse, j’aurai été paralysé en faisant le film. Il y a tellement de pression de la part des fans, du studio, à cause du budget en jeu. Du coup, on s’efforce de ne pas y penser et bizarrement, quand vous faites un gros film, vous arrivez à vous mettre comme dans une bulle. Vous arrivez sur le plateau, vous passez devant des centaines de camions et en fait, vous ne parlez avec personne à part le caméraman et les assistants. Et vous arrivez à vous convaincre que vous faites un film avec une petite équipe de 5 personnes. En fait, vous travaillez avec des centaines de gens mais vous ne parlez qu’à une dizaine au final, par manque de temps. La seule différence en fait, c’est que quand le film fini, on doit répondre à des centaines de journalistes et là on se dit « Oh mon dieu, j’ai créé un Godzilla » !
Comment vous avez abordé la question du gigantisme dans votre mise en scène, entre des humains tout petits et des créatures gigantesques ?
En fait, on n’a pas pu avoir Godzilla sur le plateau. Il n’était pas disponible, il faisait une pièce sur Broadway (rires). Du coup, vous êtes obligés de faire semblant. Peu importe le film que vous faites, tout est question de « prétendre », de « faire semblant ». Après, on avait des « trucs » comme des signaux lumineux, des bruitages, des balises pour aider les acteurs à se repérer et à imaginer Godzilla.
Il y a beaucoup de références à Steven Spielberg dans votre film. Le nom de Brody, la quête du père qui traverse plusieurs pays, un peu de Jurassic Park aussi… L’influence est-elle consciente ?
Pour être franc, oui, le film est comme une grande lettre d’amour à Spielberg. J’ai grandi avec Rencontres du Troisième Type, Indiana Jones, Les Dents de la Mer… Et ça devient comme un vocabulaire. Vous pensez Spielberg, vous parlez Spielberg. On ne peut pas s’en défaire, c’est comme être alcoolique. Je ne suis pas aussi bon que Spielberg mais son style visuel m’a beaucoup influencé. Ça m’a naturellement construit.
Il y a des références cachées à d’autres monstres de la Toho (comme quand ils reviennent dans leur ancienne maison, on voit écrit Mothra dans la chambre du fils). C’était un clin d’oeil pour une possible suite ? Est-ce que vous avez pensé à utiliser d’autres monstres du bestiaire classique de Godzilla ?
Vous gagnez un prix pour cette remarque ! On a mis plein de choses cachées comme ça dans le film. Nous sommes tous fans des monstres des films de la Toho mais en vrai, nous n’avons pas eu le droit d’utiliser ces autres créatures. De toute façon, nous voulions créer quelque chose d’unique, et pour nous, cette autre créature devait venir de Godzilla lui-même. On a voulu créé un parasite qui avait quelque-chose de symbiotique avec Godzilla. Une créature qui pouvait coexister avec lui et devenir son ennemi en même temps.
Comment s’est passée la collaboration avec Alexandre Desplat ? D’ailleurs, vous n’avez pas réutilisé la musique des films originaux…
Il y a plusieurs raisons pour lesquels j’ai choisi Alexandre Desplat. Dans un film, c’est la musique qui m’inspire en premier. J’ai créé une playlist de BO que j’aimais sur mon téléphone et Alexandre Desplat était celui qui revenait le plus souvent. Donc j’ai voulu travailler avec lui. Quand on fait un film, on utilise une musique temporaire. Et moi, j’ai utilisé la musique d’Alexandre sans savoir s’il allait accepter. Et il a accepté et tout s’est bien passé. Il est incroyable. Il est capable de venir, de regarder une séquence et de composer la musique en face de vous ! Un jour, en une demi-heure de visionnage, il avait déjà écrit une centaine de partitions d’orchestration. Alexandre est un mec très charismatique et talentueux. Pour moi, c’est le plus grand compositeur de notre génération. J’étais honoré de l’avoir.
Avez-vous eu à un moment donné le souhait de vous débarrasser de l’influence japonaise comme votre prédécesseur (Roland Emmerich) ou est-ce que c’était important de la conserver ?
En fait, j’avais une liste de choses essentielles. Je me disais, si on n’a pas tout ce qui est sur cette liste, on ne fait pas un Godzilla. Et sur cette liste, il y avait le fait d’être au Japon, de tourner au Japon. C’est une icône du Japon que l’on amène aux États-Unis. Le film commence là-bas et traverse ensuite le Pacifique pour venir aux USA.
Ça n’a pas été trop difficile de garder l’équilibre entre approche réaliste et fantastique ?
C’est quasiment impossible de faire film avec un monstre de cette taille et que tout soit crédible dedans. Mais c’était notre but. D’essayer qu’à chaque plan, ce soit le plus vrai possible. Il y a la tentation pourtant. On a beaucoup réfléchi à certains détails. Le film en ressort grandi et plus réaliste, je crois.
Sur Monsters, vous avez réalisé la totalité des effets spéciaux sur votre ordinateur portable. Avez-vous mis la main à la patte sur ceux de Godzilla ? Avez-vous eu le temps ?
Oui j’ai tout fait sur Godzilla et ça m’a pris 3 semaines. J’ai pas beaucoup dormi (rires). Non, au début du processus, je voulais faire au moins un effet moi-même. Le superviseur des effets m’a dit « ouais, ça serait cool Gareth ». Mais je n’ai pas pu par manque de temps. De toute façon, les technologies ont évoluées et mon temps dans le domaine des effets spéciaux est terminé. Et puis je ne voulais pas être comme un enfant dans un magasin de bonbons en voyant tout ce qu’on peut faire aujourd’hui avec les ordinateurs. Je ne voulais pas mettre des effets spéciaux partout au détriment de l’histoire.
Y’aura t-il une version director’s cut en Blu-ray ? Et pensez-vous réaliser un Godzilla 2 ?
On a beaucoup tourné, on a monté puis montré le film, on a lu et écouté les retours, fait des modifications etc… Mais au final, j’ai eu beaucoup plus de liberté que je ne l’imaginais et ce que vous voyez à l’écran avec les coupes qu’on a faites, c’est ce qu’il y avait de mieux pour le film. Il y aura peut-être des scènes coupées en bonus mais le film est comme il devait être. Pour Godzilla 2... Dans certains films, il y a des petites choses à la fin pour montrer aux gens qu’il y aura une suite. Moi j’ai voulu faire un film, le meilleur possible.
Comment s’est passé le casting ?
Le casting a été très simple. Vous dites « je veux telle et telle personne » et voilà. Notre directeur de casting a été fantastique. Il a pensé à Juliette Binoche pour le rôle de la mère. Et j’ai dit « Mais sérieusement, on peut vraiment avoir Juliette Binoche ? Elle ferait un film comme ça ? On peut faire ça ? » Il m’a de lui écrire. Et je lui ai écrit un mail en essayant d’anticiper toutes les réticences qu’elle pourrait avoir à tourner un Godzilla. Pour Bryan Cranston, y’a Breaking Bad mais en vrai, ça remonte à Malcom. Quand il joue la comédie, il est brillant. A l’époque, je me disais déjà que si on lui donnait un rôle dramatique, il serait génial. E puis il y a eu Breaking Bad. On lui a proposé et sa première réaction a été « oh, Godzilla, bof, je suis pas sûr là ». On lui a expliqué le projet, ce qu’on voulait faire et il a changé d’avis.
Avez-vous ressenti de la pression lors de la création du look de Godzilla ? Sachant que le look du Godzilla de Roland Emmerich a encore droit à des moqueries 15 ans plus tard… N’avez-vous pas eu un peu peur des réactions, en vous disant « je ne dois pas me rater » ?
Non, pas du tout. Tout le monde a une opinion sur ce à quoi il doit ressembler. C’est compliqué pour ça. La création était un peu comme un Rubik’s Cube. On travaillait sur un côté, puis en regardant un autre, on se rendait compte le premier n’allait pas alors on revenait dessus et on modifiait etc… On a beaucoup changé et on a tourné ça dans tous les sens. Ça nous a pris presque un an pour créer le visuel de Godzilla. Mais je suis très fier du résultat. Et je pense qu’on ne doit rien changer car il est super. J’ai vu des réactions en ligne comme quoi il était un peu… gros. Ça venait du Japon en même temps. Mais s’il revient dans un sequel, il faudra arrêter de le juger, il fait déjà un complexe avec son image… (rires)
Avez-vous penser à utiliser la motion capture comme pour Smaug dans Le Hobbit avec Andy Serkis ? Et au passage, le travail de l’acteur de la première version de Godzilla vous a-t-il influencé dans le choix des mouvements de votre Godzilla ?
On a parlé de ça au tout début justement avec les gens de la société Imaginarium d’Andy Serkis (société qui a travaillé sur le film ndlr), de la première version et de l’acteur qui avait tourné dans le costume de Godzilla. Mais même si ça aurait été intéressant d’utiliser la motion capture, ça n’aurait pas fonctionné dans notre cas. Avec l’animation, nos créatures ne correspondaient pas. Pour Godzilla éventuellement, mais pas les autres. Certaines ont six membres et ça n’aurait pas bien rendu. Ça aurait été trop difficile. Mais j’adore Andy Serkis et son travail. Cela dit, mon équipe des effets a fait du bon boulot, comme John Dystrka qui a bossé sur les premiers Star Wars. C’était d’ailleurs un peu un rêve de l’avoir et de travailler avec lui.
Merci à Sabri, toutes les équipes de Warner Bros et bien sûr, à Gareth Edwards pour sa disponibilité.