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DETACHMENT (critique)

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Carte d’identité :
Nom : Detachment
Parents : Tony Kaye
Livret de famille : Adrian Brody, Marcia Gay Harden, James Caan, Christina Hendricks, Lucy Liu, Blythe Danner, Tim Blake Nelson, Bryan Cranston, William Petersen…
Date de naissance : 2011
Nationalité : États-Unis
Taille/Poids : 1h37 – Budget N.C.

Signes particuliers (+) : Une réflexion passionnante et pertinente sur le système éducatif américain. Intelligent, touchant. Très bien interprété.

Signes particuliers (-) : Une abondance d’effets de style et de rhétorique qui parasitent un peu le fond par la forme. Une fausse impression de maîtrise totale de l’oeuvre.

 

L’ATTACHEMENT AU DETACHMENT

Résumé : Professeur remplaçant, Henry Barthes sillonne les écoles pour de brèves missions de remplacement. Homme sans attache, sans vie stable, il gère à la fois ses élèves de passage et sa vie personnelle dont son grand-père sénile. Un soir, il fait la connaissance de Erica, adolescente s’adonnant à la prostitution…

Cinéaste culte dès son premier long-métrage avec le coup de poing American History X en 1998, le britannique Tony Kaye était très attendu par le public d’autant qu’après avoir marqué la décennie 90, ce nouveau virtuose s’est est allé, disparaissant dans l’oubli. En cause, le fait d’avoir été placé sur la liste noire hollywoodienne suite à son désaccord et sa bataille acharnée sur le montage final de son chef d’œuvre et sa volonté de voir son nom retiré du générique. Honni et banni depuis du système, cet homme atypique et touche à tout, à la fois documentariste, cinéaste, musicien et publicitaire, s’est depuis « occupé » naviguant entre toutes ces fonctions, entre les arts. Côté cinéma, peu de choses. Trois modestes long-métrages à petits ou micro-budgets en 12 ans dont quasiment personne n’a entendu parler (malgré un dernier avec Karl Urban, Brittany Snow, Stephen Dorff et Laurence Fishburne). Et c’est à Deauville 2011, en chantant guitare à la main, que l’on retrouve le barbu sage à la tête quasi biblique, pour présenter son nouveau film, Detachment avec Adrian Brody en vedette, film récompensé par le Prix de la Critique Internationale.

Abordant le malaise du corps enseignant, Detachment pourrait faire d’emblée penser à une version américaine du palmé cannois Entre les Murs de Laurent Cantet mais seulement quelques instants, seulement pour la toile de fond évoquée. Car finalement, les thématiques abordées par Tony Kaye s’en éloignent. Si le palme d’or française s’attachait à décortiquer la relation corps enseignant / élèves en difficulté par le biais des notions de « parent de substitution » et de relation étroite entre un métier formateur de vie et de jeunes pousses à instruire mais surtout construire, Kaye se concentre davantage sur l’intimité d’un professeur et son ressenti intérieur dans et en dehors de son contexte scolaire, au point de presque se rapprocher plus d’un Polisse de Maïwenn, tel un film témoin sur une profession mais s’ouvrant sur plus large et plus profond. Ou comment un métier capital dans la société actuelle est plus qu’un métier. Professeur est une vie, une fonction de chaque instant qu’il est impossible de laisser derrière soi une fois la journée achevée. C’est ce que va découvrir Henry Barthes campé par un plutôt bon Adrian Brody (ça change) à l’image de l’ensemble d’un impressionnant casting allant de James Caan à Marcia Gay Harden en passant par William Petersen loin de ses « expertises », d’un Tim Blake Neslon formidable en prof dépassé, d’une Lucy Lui à contre emploi et d’une incroyable ou nouvelle Sami Gayle en jeune ado paumée. D’une attitude détachée de tout, professeur remplaçant sans attaches, allant de classe en classe au gré des besoins, homme détaché de la vie en général et de la lourdeur tragique qu’elle impose dès lors qu’on la scrute ou l’observe avec du recul, Henry Barthes va finir par se rendre compte dans une sorte de cheminement introspectif à un moment donné de sa vie, forcé par certaines circonstances, qu’il est finalement impossible de poursuivre dans cette voie condamnée par avance. Du détachement, il va aller vers l’attachement, comblant une sorte de vide manquant à sa vie morne. Car la prise de conscience inévitable de son comportement va le rattraper amèrement. L’implication va lui être presque imposée par la nécessité des choses et par un environnement complexe lui déniant la possibilité de continuer ainsi. Par le biais de ce trajet intérieur, Kaye va au passage brosser une peinture acerbe du système éducatif américain et le manque de moyen de professeurs démunis pour gérer une nouvelle génération en devenir mal formatée dans leur itinéraire personnel par la fausseté et les mensonges répandus par la société dure actuelle, pour gérer des enfants en pleine construction personnelle d’où le placement du professeur comme la pierre angulaire de toute la société par leur fonction de « modeleur » pour des enfants ou adolescents se structurant progressivement en grandissant. Des professeurs démunis mais également broyés car peu soutenu par une organisation et un système contraignant truffé de contradictions les empêchant d’occuper au mieux la place qu’ils devraient occuper.

Réflexion sur le système éducatif mais par extension sur la société, sur le rôle que chacun a à y jouer et sur la volonté de faire les choses biens malgré les contraintes et les difficultés personnelles ou émotionnelles, Detachment est plus que l’étude d’un homme, d’un métier, plus que sur la simple transmission du savoir. Il s’agit d’une véritable plongée dépassant la peinture de la fonction de professeur pour approcher celle du rôle et de la responsabilité de chacun envers autrui et plus particulièrement envers les âmes en détresse. Vision peut-être pessimiste par moment, Detachment ne propose pas seulement un portrait sombre et noir du monde actuel mais tend à montrer que l’implication est certainement la clé d’une possible amélioration des choses. Une implication pas toujours évidente, parfois voire souvent difficile, mais nécessaire pour le plein accomplissement de soi. Et c’est via une mise en parallèle d’une double histoire imbriquée l’une à l’autre où l’une va être le moteur de l’autre et vice versa, entre les efforts d’aide d’un personnage dans et hors du système scolaire, que la réflexion de Tony Kaye va prendre toute sa dimension. Le détachement d’Henry à l’école va être comblé par une implication pour aider une adolescente à s’extraire de sa sordide condition. Mais ce soudain attachement va être un catalyseur conduisant Henry a délaisser son détachement scolaire pour une implication envers une jeune adolescente paumée et brimée. Et ce récent attachement multiple et total d’avoir des conséquences, bonnes ou mauvaises.

En artiste complet qu’il est, Kaye joue sur les styles et sur les arts utilisant l’animation pour de brèves saynètes sur tableau noir à la craie illustrant les sentiments de ses personnages, ayant recours aux interview filmées pour apporter un aspect documentariste à son métrage, usant judicieusement de la photographie, du collage, de la musique, de la philosophie, de la sociologie et de la littérature pour exprimer des concepts de réflexion sur la société, son regard pervers et déshumanisé, ses principes mensongers imposés desquels il faut se « détacher » pour pouvoir avancer sans heurts et dégâts.

Film miroir usant et re-usant de la mise en abîme pour apporter une profondeur maximale aux nombreux discours et pour dépeindre à l’infini cette notion centrale de « détachement », Tony Kaye signe un retour en force par un petit film touchant et lourd de sens, oscillant entre le lumineux et le tragique pessimisme, le tout dans une vision d’une grande « sagesse » de la part d’un cinéaste dont le broiement par le système semble lui avoir apporter une maturité exceptionnelle. Sans être parfait, certains pans prenant et absorbant peut-être de trop d’autres au point de les parasiter ou de les étouffer, Detachment reste une belle lecture lucide sur notre monde et son fonctionnement détraqué. Peut-être le film est-il trop riche, cherchant à aborder trop de choses philosophiquement dans une durée étriquée et contraignante. Dans tous les cas, à l’instar de American History X il y a 14 ans, Kaye signe une nouvelle œuvre dont il est difficile de rester « détaché ».

Bande-annonce :

One thought on “DETACHMENT (critique)

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