Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Snowpiercer
Père : Bong Joon Ho
Livret de famille : Chris Evans (Curtis), Song Kang-Ho (Namgoong), Jamie Bell (Edgar), Tilda Swinton (Mason), Octavia Spencer (Tanya), John Hurt (Gilliam), Ko Asyung (Yona), Ewen Bremner (Andrew), Ed Harris (Wilford), Alison Pill (la professeur), Luke Pasqualino (Grey)…
Date de naissance : 2013
Majorité au : 30 octobre 2013 (en salles)
Nationalité : Corée du Sud
Taille : 2h05
Poids : 39 millions $
Signes particuliers (+) : Avec Le Transperceneige, le coréen Bong Joon Ho frappe à nouveau un grand coup en s’immergeant cette fois dans la science fiction adaptée de la BD éponyme française, par une vibrante aventure haletante à l’intelligence sans faille, conjuguant à merveille réflexion de fond sur la nature humaine et l’antagonisme civilisation vs humanité, et divertissement original faisant preuve de caractère. Solide, créatif et immersif, un grand standard moderne de la SF post-apocalyptique qui évacue le spectaculaire facile pour se focaliser avec intensité sur son récit, ses personnages et ses thématiques. Il y a du grand là-dedans !
Signes particuliers (-) : Un dernier acte un poil plus laborieux et contrecarré par quelques facilités scénaristiques, peinant à extraire de sa puissante histoire métaphorique, une fin idéale tout en subtilité.
BONG JOON HO ROULE SUR DE BONS RAILS
Résumé : 2031. Une nouvelle ère glacière née des tentatives humaines de combattre le réchauffement climatique, a anéanti toute vie sur terre. Les derniers survivants de la race humaine, vivent désormais à bord d’un train ultra-technologique sillonnant en boucle la planète. A bord, la révolte gronde contre la hiérarchie sociale imposée…
Pour son premier film entièrement en langue anglaise, le coréen Bong Joon Ho n’a pas choisi la facilité avec l’adaptation de la célèbre bande-dessinée SF des français Jean-Marc Rochette et Jacques Lob, Le Transperceneige. Metteur en scène éclectique qui aime à sans cesse changer de registre, Bong Joon Ho a su conduire sa carrière débutée en 2000, avec une rare intelligence et surtout un talent indéniable qui lui a valu de voir sa notoriété rapidement dépasser les seules frontières de son pays pour se faire remarquer du monde entier. Au point qu’aujourd’hui, il parvient à monter depuis sa Corée du Sud natale avec l’aide de Park Chan-Wok à la production, ce projet à dimension internationale, ambitieux blockbuster pharaonique budgété à plus de 39 millions de dollars et réunissant un casting de stars venues de divers horizons, de l’américain Chris Evans en tête d’affiche aux anglais Jamie Bell, Tilda Swinton ou John Hurt en passant par la vedette coréenne Song Kang-Ho ou encore Octavia Spencer, Ed Harris…
Passé par la comédie avec Barking Dog, le thriller avec Memories of Murder, le film de monstre avec The Host ou le drame avec Mother, Bong Joon Ho signe avec Snowpiercer son cinquième long-métrage et s’attaque à la science fiction apocalyptique en s’emparant du riche univers de la BD culte parue en 1982 (comportant 3 tomes) dont l’action se déroule en 2031 (du moins dans le film) sur une planète Terre abandonnée par l’homme après l’irruption d’une nouvelle ère glacière provoquée par l’être humain dans ses tentatives désespérées de combattre le réchauffement climatique. Les rares survivants qui n’ont pas péri gelés, vivent désormais dans un immense train ultra-technologique en perpétuel mouvement, faisant sans cesse le tour du globe. A bord, les cendres de l’humanité ont constitué une nouvelle civilisation reproduisant un système de castes, les riches à l’avant vivant dans le luxe, les pauvres à l’arrière, vivant dans une extrême misère.
Les défis qui se présentaient à Bong Joon Ho dans son ambitieuse entreprise longuement mûrie et développée (le projet s’est monté entre 2004 et 2013 !) étaient nombreux, à commencer par la conception du fameux train, véritable personnage central à part entière du film, qui représentait un véritable casse-tête technique aussi bien dans sa création que dans la façon dont il allait être techniquement construit et filmé. A ce titre, la narration et la mise en scène allaient eux aussi s’imposer comme des défis créatifs puisque le film est un huis-clos ne quittant jamais les rames de son « TGV sur-évolué » et devant trouver des voies originales pour rendre cette impression d’aventure épique mais confinée en espace réduit.
Après le serpent monstrueux de The Host, voici donc venir le serpent mécanique de Snowpiercer pour Bong Joon Ho, cinéaste parmi les plus passionnants à l’heure actuelle du cinéma coréen. D’un projet casse-gueule qui avait tout pour se planter en beauté, le réalisateur signe tout simplement l’un des meilleurs films de SF de l’année (Gravity mis de côté étant donné que les deux œuvres ne boxent pas dans la même catégorie, l’un évoluant dans le thriller réaliste, l’autre dans la pure fiction imaginaire). Première réussite pour le metteur en scène, sa façon de parvenir à nous faire croire totalement à son univers dans lequel il nous immerge en s’appuyant sur l’immense cinégénie de la BD originelle pour essayer d’atteindre un réalisme viscéral et crédible dans cette histoire au pitch d’anticipation en apparence improbable. Pour cela, il s’appuie sur une équipe cumulant les talents, le spécialiste des effets spéciaux Eric Durst (Spider-Man 2, Prédictions de Proyas), l’excellent Marco Beltrami à la musique, Stefan Kovacik à la direction artistique (L’Illusionniste) ou son fidèle Hong Kyung-pyo à la photo (avec qui il avait déjà travaillé sur Mother) mais également sur ses propres aptitudes techniques et créatives extraordinaires entrevues déjà depuis longtemps avec une grande minutie de mise en scène, un immense travail sur les cadrages et la photo et une puissante ingéniosité pour conjuguer grammaire de la BD et rythmique cinématographique. A ce titre, Le Transperceneige impressionne.
Avec son œil capable de cerner les bons axes de caméra, les bons plans à réaliser et son langage cinématographique riche, intelligent, réfléchi et millimétré magnifiant un scénario qu’il a lui-même rédigé, Bong Joon Ho accouche d’un film d’aventure qui s’affirme clairement et avec courage en s’ancrant loin des standards des productions d’action insipides traditionnelles. Le cinéaste signe un travail d’orfèvre en mettant au pas la trop fréquente boulimie de l’action incessante spectaculaire, en évacuant l’inutile et le déchet et en se concentrant sur son récit, ses personnages et le sens de son œuvre plutôt que sur le m’as-tu-vu vulgaire faussement impressionnable. Econome sans jamais être avare, Bong Joon Ho s’en tient au strict minimum utile et nécessaire, ne cédant jamais aux sirènes de la facilité pour privilégier la concision et la qualité d’un enchaînement de séquences qui, de wagon en wagon au rythme de sa révolte épique, devient comme une multitude de tableaux tous différents les uns des autres dans un arc narratif qui, quelque part, emprunte aux jeux vidéo à niveaux, mais en se débarrassant des points négatifs qui plombe ce type de construction souvent employée au cinéma avec échec. Au lieu de partir du rendu visuel escompté et de l’idée d’une intense aventure narrée, le cinéaste prend son projet à l’envers et part d’abord de ce qu’il souhaite raconter dans le fond avec cette histoire de révolte contre un système social pyramidal reproduisant le pire de la race humaine, pour ensuite se diriger vers la forme. Et ensuite de mettre par écrit puis en images son aventure avec un sens brillant de la progression narrative épurée et se focalisant sur ses idées directrices qui dictent l’action en lieu et place de l’inverse. Le résultat est d’une solidité impressionnante, rappelant davantage des classiques comme Soleil Vert ou la SF des années 70-80, que les néo-blockbusters formatés d’aujourd’hui. Le Transperceneige arbore avec élégance une véritable personnalité forte, une identité costaude et souvent prodigieuse, conjuguant intelligemment la grosse production divertissante et une forme de cinéma d’auteur dans un effort de SF ambitieuse mais jamais prétentieuse où symbolique esthétique et narrative vont de pair avec une vive expérience de cinéma palpitant et passionnant.
Réflexion sur la nature humaine, les fondations et fondements d’une société se croyant civilisée, le déterminisme social, ou le propre de l’homme à se révéler incapable de construire une société équilibrée idéale, Le Transperceneige est soutenu par un fond d’une profondeur abyssale même si parfois, il se laisse légèrement gangréné par celui-ci au point d’en faire un peu trop et de tomber dans une sorte de redondance du discours. Toujours est-il, qu’il nous propose une nouvelle vision et façon d’aborder une thématique classique de la SF post-apocalyptique avec sa trame présentant un univers où l’homme avait l’occasion de redémarrer à zéro, de repartir sur de nouvelles bases dans l’élaboration d’une nouvelle civilisation mais à contrario, reproduit à l’identique les mêmes schémas et des erreurs fondamentales. L’humain est-il conditionné pour ne pas vivre dans un système égalitaire ? Est-ce la seule nécessité de base pour qu’une civilisation puisse exister et perdurer avec des hommes vivant en groupe contigus ? Humanité et civilisation sont-ils conjugables ? Le dernier quart du film (assez long puisque sa conséquente durée est de 2h05) faiblit un peu avec un scénario qui patine avant de légèrement dérailler de son axe tendu et sans fioriture pour aller dénicher des astuces scénaristiques maladroites visant la métaphore globale mais tombant dans une sourde poussivité dans la façon de la retranscrire. Mais remis en perspective sur l’ensemble, cette portion plus laborieuse où le film peine à trouver sa fin idéale, se surmonte facilement par néanmoins quelques bonnes idées et laisse place à une incroyable odyssée horizontale en cadre restreint, une formidable aventure virtuose à l’humanisme intense à travers laquelle Bong Joon Ho continue d’explorer les thèmes récurrents de son cinéma où il n’a de cesse de sonder la nature humaine projetée en situation extrême.
Une fois n’est pas coutume, la force et la qualité du cinéma coréen épate. Et une fois n’est pas coutume, Bong Joon Ho signe un grand film où son talent est mis au service du récit, de la même manière que l’action, dans un film qui trouve un juste équilibre permanent dans son rythme et sa conduite, fort au passage d’une plastique à se damner multipliant les instants de brio créatifs et inspirés. Si quelques ficelles égratignent ce qui aurait pu être un chef d’œuvre et modèle moderne du genre, la tenue de ce Transperceneige est quand même redoutable. Dernier film tourné en pellicule en Corée (tristement le numérique sera désormais la seule option), il est d’une classe et d’une élégance folle, une réflexion intelligemment formulée doublée d’une aventure captivante et saisissante, riche en émotions et en génie. Un bel exercice.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux