Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Wrong Cops
Père : Quentin Dupieux
Livret de famille : Mark Burnham (Duke), Eric Judor (Rough), Marilyn Manson (David), Steve Little (Sunshine), Eric Wareheim (Renato), Arden Myrin (Shirley), Daniel Quinn (voisin), Ray Wise (Cpt Andy), Eric Roberts (Bob), Kurt Fuller (le producteur)…
Date de naissance : 2013
Majorité : 19 mars 2014
Nationalité : France
Taille : 1h25
Poids : 1 M€
Signes particuliers (+) : Quentin Dupieux fidèle à lui-même. Son cinquième long-métrage est toujours aussi frappé que les précédents, ancré cette fois dans « sa » réalité des flics véreux à l’américaine tout en excès de pourriture et en loufoquerie surréaliste. Drôle et délicieusement inconvenant, cette nouvelle comédie noire aux personnages pathétique et teigneux évite à bien l’écueil de la redite contrairement au précédent Wrong.
Signes particuliers (-) : La virtuosité d’un Rubber n’y est plus et l’originalité surprenante du ton made in « Dupieux » manque un peu de fraîcheur au fur et à mesure que progresse une oeuvre qui peine parfois à prendre de la hauteur pour s’ouvrir sur quelque-chose dépassant le seul loufoque pour le loufoque.
UN POURRI ET TOUS RIPOUX !
LA CRITIQUE
Résumé : Los Angeles 2014. Duke, un flic pourri et mélomane, deale de l’herbe et terrorise les passants. Ses collègues au commissariat: un obsédé sexuel, une flic maître chanteur, un chercheur de trésor au passé douteux, un borgne difforme se rêvant star de techno… Leur système fait de petites combines et de jeux d’influence se dérègle lorsque la dernière victime de Duke, un voisin laissé pour mort dans son coffre, se réveille.L’INTRO :
Depuis toujours fasciné par le grand cinéma américain, de son imagerie à ses codes iconographiques en passant par son ambiance, ses lieux et sa propension à se nourrir de sa propre culture pour élaborer des registres forts et emblématiques, le français Quentin Dupieux (pour les cinéphiles) alias Mr Oizo (pour les musicos) poursuit son chemin dans la voix à laquelle il s’est attaché et force le respect en cela que son amour de cette cinématographie ne vient jamais trahir son monde et son style personnel, qui reste ce qu’il est à savoir marginal et barré. Il eut été pourtant facile pour lui de dévier vers un cinéma plus consensuel et ainsi se faire repérer au pays de l’Oncle Sam, qu’il admire tant. Mais non. Dupieux est resté, et reste toujours fidèle à lui-même, un artiste à l’univers résolument perché, mêlant loufoque, surréalisme et non-sens assumé à l’image de son tout premier effort il y a 13 ans, intitulé Nonfilm.
Avec Wrong Cops, Quentin Dupieux atteint le seuil des cinq longs-métrages tournés. A la base, le film était un court-métrage d’une vingtaine de minutes mettant en scène un flic bas du front, raciste et pourri jusqu’à la moelle, et un jeune homme croisant bien involontairement sa route, sur fond de débat sur la musique électro. Un simple échange hilarant et déjanté qui deviendra la base de travail d’un long-métrage lorsque Dupieux tournera six autres segments amenant la chose vers une durée acceptable en salles (1h24). L’impressionnant Mark Burnham reste le fil conducteur de cette parenthèse s’attachant au quotidien de ce flic véreux et taré, et pour le reste, on retrouve à la distribution quelques visages connus comme le fidèle Eric Judor en policier gentiment couillon et DJ du dimanche cherchant à percer dans la musique, le métalleux Marilyn Manson en post-ado martyrisé ou encore Eric Roberts, Kurt Fuller, Ray Wise ou Arden Myrin.
Cette nouvelle réalisation de Quentin Dupieux n’est pas la plus évidente à appréhender. On avait déjà pointé du doigt lors de Wrong il y a deux ans, le fait que le cinéaste avait doucement tendance à s’enfermer dans son registre en commençant déjà à montrer des signes de redite de son cinéma si singulier auquel il peinait à insuffler quelque-chose de neuf. Le risque était de voir Dupieux sans cesse pousser le bouchon dans le surréalisme au point de vriller vers l’auto-caricature de son propre style. Ainsi, Wrong était une petite déception comparée à son prédécesseur, l’excellent et imaginatif Rubber. Aujourd’hui, Wrong Cops vient quant à lui compliquer encore un peu plus la donne. Ni totalement brillant mais certainement pas mauvais, ni vraiment grisant ni réellement décevant, ce nouveau long-métrage de cet artiste atypique s’inscrit dans une sorte d’entredeux que l’on a peine à qualifier.
Wrong Cops essaie de s’aimanter davantage à notre monde contemporain même si le film conserve une passable folie irréelle. Comprenez par-là que Dupieux œuvre moins dans le surréalisme le plus abscons qui soit, mais davantage dans un réel saisissable même si globalement, son film reste régulièrement happé par les sirènes du n’importe quoi décalé. En somme, « son réel » à lui, qui n’est juste pas le même que le nôtre et tant mieux puisque c’est pour cela que l’on aime son cinéma ! Le résultat donne lieu à quelque-chose d’étrange, à mi-chemin entre le doux-dingue non-sensique et ces chroniques policières américaines des années 70, celles mettant les pieds dans le monde des flics complètement pourris à l’univers crasseux. Le mythe du flic vérolé est à l’honneur et poussé à l’extrême par un Dupieux qui tient une base concrète rattachée à une narration plus conventionnelle mais incessamment parasitée par un esprit libertaire fulminant de vapeurs portnawak. Et on ne pourra pas dire que l’on fait un rejet catégorique car si Wrong Cops n’est jamais très hilarant, souvent bizarre et quelque-peu déconcertant, on se devra au moins de lui accorder de ne jamais être absurde pour être absurde et de faire un effort d’enraciner sa folie à des fondations basées sur un univers saisissable. Sur ce point, Dupieux montre des signes d’amélioration en ne surjouant pas la carte de l’ubuesque au risque de s’auto-plagier pour camoufler un manque d’inspiration. Sorte de rencontre entre Bad Lieutenant et la comédie espagnole de série B Torrente, Wrong Cops est un film aux impressions et sentiments contradictoires. Moins original que Rubber, moins formellement maîtrisé que Wrong, moins fascinant avec son univers peuplé de flics débilo-abjects, ce film de « moins » est pourtant paradoxalement, à l’arrivée, un objet assez enthousiasmant et intriguant, pour ne pas dire séduisant. Une fois de plus le sens commun en prend pour son grade sous la caméra de Dupieux qui nous balance sans ménagement dans un univers poisseux qui ressemble au nôtre sur les bords mais qui détonne dès lors que l’on pénètre dans le cadre. Toutefois, gare à la suite, Quentin Dupieux va devoir se remettre en question pour trouver un nouveau mode d’expression avant de perdre son public lassé par sa fébrilité à ne pas proposer autre chose que son seul sens de l’absurde pour l’heure encore jouissif. Dans tous les cas, Wrong Cops gagne à se laisser macérer pour mieux le juger car plus on y pense et plus on se rend compte que l’exercice était quand même pas mal !
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux