25ème numéro du Wall Ciné Pictures, le rendez-vous « ciné-club » du samedi et ses trois idées de films à voir ou à revoir. Au programme de cette nouvelle escale dans l’histoire du cinéma, deux perles du cinéma philippin, un chef d’œuvre âpre et violent de Robert Aldrich, et le film d’épouvante du regretté Bill Paxton.
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MANILLE et INSIANG
De Lino Brocka – 1975 et 1976
Genre : Drame – Philippin
Avec : Hilda Koronel…
Synopsis de Manille : Julio, 21 ans, a quitté il y a sept mois son village de pêcheurs pour Manille afin de retrouver sa fiancée, Ligaya. Cette dernière s’en est aussi allée à la capitale où du travail l’attendait. Mais lorsqu’elle a cessé de donner des nouvelles, Julio a tout laissé derrière lui pour partir à la recherche de sa bien-aimée. Bientôt à court d’argent, il se fait embaucher comme ouvrier sur un chantier. Julio découvre peu à peu l’univers du sous-prolétariat à Manille entre prostitution, corruption et pauvreté extrême…
Synopsis de Insiang : Insiang habite un bidonville de Manille avec sa mère, la tyrannique Tonya. Elle se démène corps et âme pour survivre dans ce quartier où chômage et alcoolisme font partie intégrante du quotidien. Un jour, Tonya ramène chez elles son nouvel amant, Dado, le caïd du quartier, en âge d’être son fils. Ce dernier tombe rapidement sous le charme de sa nouvelle « belle-fille »…
Aujourd’hui, le cinéma philippin n’est sans doute pas le plus connu d’Asie malgré des tentatives remarquées comme les réalisations de Brillante Mandoza, pour n’en citer qu’un. Dans les années 70, il avait connu son second âge d’or après celui des années 50, sous l’impulsion de quelques réalisateurs considérés comme appartenant à la « nouvelle vague » locale. Parmi eux, Lino Brocka. Réalisateur extrêmement prolifique durant les seventies, Brocka allait signer deux chefs d’œuvre en milieu de décennie : Manille puis Insiang, sortis en 1975 et 1976. Dans les deux cas, le cinéaste se sera illustré par un cinéma très engagé et tournant autour de sujets de société, peignant notamment avec force l’extrême pauvreté et la marginalité des « petits » dans un pays en difficulté. Son regard frontal, amer, authentique, proche du néo-réalisme italien, et il lui aura valu quelques problèmes avec la censure et la dictature de l’époque. Mais courageusement, Lino Brocka n’aura pas manqué son rendez-vous avec le public, chez lui comme à l’international où ses œuvres seront découvertes, comme à Cannes. Les films de Lino brocka étaient à la fois intelligibles, accessibles, et d’une grande pertinence sociale. Ils savaient montrer la trajectoire des laissés pour compte dans des tragédies bouleversantes toujours éprises de véracité. Après un passage en salles, Manille et Insiang sont à redécouvrir en Blu-ray, dans de somptueuses versions restaurées sous l’impulsion de la World Cinema Foundation de Martin Scorsese. Dans le superbe coffret collector réunissant ces deux bijoux, le critique universitaire Hubert Niogret complète ces belles redécouvertes avec un documentaire baptisé Retour à Manille, revenant sur l’histoire du cinéma philippin, qui fut à une époque, l’un des plus évolué et fascinant d’Asie. Passionnant ! De nombreux autres suppléments complètent les galettes de cette édition précieuse pour les cinéphiles, proposée par Carlotta Films. Disponible dès le 07 juin sur le site de Carlotta et ailleurs.
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L’EMPEREUR DU NORD
De Robert Aldrich – 1973 – 1h59
Genre : Thriller, Drame – USA
Avec : Lee Marvin, Ernest Borgnine, Keith Carradine…
Synopsis : États-Unis, années 30. La Grande Dépression plonge des millions d’Américains dans la misère. Des vagabonds arpentent le pays à la recherche d’un emploi ou d’une simple soupe. Certains tentent de voyager clandestinement à bord des trains de marchandises. Le plus convoité est celui de la ligne 19. Mais la splendide locomotive est gardée par Shack (Ernest Borgnine), une brute sanguinaire et sadique, qui n’hésite pas à s’attaquer sauvagement à tous les « trimardeurs » qui osent monter sur sa machine. Seul un vagabond légendaire, appelé « Numéro 1 » (Lee Marvin), ose défier le chef de train. L’affrontement devient inévitable…
1973, la carrière de l’illustre Robert Aldrich est proche de la fin. Il décèdera dix ans plus tard après 5 ultimes films, dont le formidable et méconnu L’Ultimatum des Trois Mercenaires. Mais le cinéaste qui aura toujours su réveiller Hollywood avec des chefs d’œuvre à la rage emblématique tels que Vera Cruz, En Quatrième Vitesse, Qu’est-il Arrivé à Baby Jane ? ou Les Douze Salopards, n’était pas encore prêt à amorcer son déclin. Pas avant d’avoir livré L’Empereur du Nord, affrontement tragique entre deux monstres du cinéma, Ernest Borgnine et Lee Marvin. Avec ce bijou proposé en version restaurée par Wild Side, Robert Aldrich allait signé une immense réussite, qui est entré dans le cercle des films les plus importants sur la période tragique de la Grande dépression, aux côtés des perles de Chaplin, des Raisins de la Colère ou de La Vie est Belle. Inspiré par Jack London, L’Empereur du Nord devait être réalisé par Peckinpah, il finira chez Aldrich et ce sera presque tant mieux. Le cinéaste va en faire son film le plus personnel, parfait représentant de l’essence de son cinéma. Libéré du poids et du carcan des studios, Aldrich va pouvoir se laisser aller à un regard extrêmement noir sur la nature humaine, via un récit aussi haletant qu’existentialiste, observant l’opposition entre l’homme rigide du système (caricaturé à l’extrême par Borgnine) et l’homme libre (incarné par Marvin). Deux visions du monde qui vont s’affronter dans un duel sans concession, dans une lutte de classe âpre et violente, avec au centre, l’être humain, affreux, sale et méchant comme disait Ettore Scola. Avec L’Empereur du Nord, Robert Aldrich illustre une histoire de rébellion contre l’autorité en tant de crise, alors que le capitalisme écrase les êtres. Il illustre surtout l’absurdité de cette guerre sociale, à travers un défi reposant sur des fondements tellement dérisoire. Car au-delà de ce combat entre deux hommes représentatifs, on constate surtout avec amertume que la misère, elle, est toujours là, quelque soit l’issue de cet affrontement crassement stupide déniant la solidarité humaine dans l’adversité. Balancé entre le film d’aventure palpitant et la parabole politique, L’Empereur du Nord est bel et bien un très grand film, qui gagne à être (re)connu. Et c’est parfait puisque l’édition concoctée par Wild Side le couvre d’honneur, avec une image magnifique et une qualité de son parfaite, accompagnée d’un superbe livret dirigé par le multitâche Doug Headline (bourré d’infos et d’archives rares) et un passionnant entretien d’une demi-heure avec rien de moins que Christopher Knopf, le scénariste du film. Foncez, ça sort le 07 juin en Blu-ray et DVD !
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EMPRISE
De Bill Paxton – 2001 – 1h40
Genre : Horreur – USA
Avec : Bill Paxton, Matthew McConaughey, Powers Boothe…
Synopsis : Le Texas vit sous la terreur d’un tueur en série qui se fait appeler « La Main de Dieu ». Un soir, un homme sans histoire, Fenton Meiks, se présente au QG du FBI et déclare connaître l’identité du coupable. Ce dangereux criminel ne serait autre que son frère, Adam, qui vient de se suicider. Alors qu’ils roulent en direction du « Jardin des roses », où les corps des victimes d’Adam sont enterrées, Fenton raconte aux agents fédéraux comment tout a commencé vingt ans plus tôt, en 1979. A l’époque, il était âgé de douze ans et son frère de neuf. Tous deux vivaient une enfance heureuse avec leur père, veuf depuis la naissance d’Adam. Pourtant, une nuit, leur vie bascula lorsque leur père leur annonça qu’un « ange » lui était apparu et qu’ils devaient accomplir une mission. Alors que l’un des deux fils accepte sans réserve cette vision divine, l’autre pense que son père sombre dans la démence.
Le récente disparition de Bill Paxton en février dernier (conjuguée à celle de Powers Boothe), nous avait rappelé qu’outre son incroyable carrière devant la caméra, l’acteur américain avait également été un cinéaste éphémère, dont le talent s’était frayé un chemin vers les salles obscures en 2001 avec le thriller d’épouvante Emprise, lequel avait d’abord reçu un accueil mitigé avant d’être réévalué à sa juste valeur. Emmené par lui-même et un Matthew McConaughey dont la carrière n’avait pas encore atteint le niveau d’aujourd’hui, Emprise fonctionnait sur un double niveau. D’abord, sur un plan purement horrifique avec une proposition vraiment terrifiante soutenue par une noirceur et une atmosphère oppressante terriblement efficaces. Ensuite, parce qu’il déployait un questionnement passionnant sur l’intégrisme religieux fanatique. Le résultat, armé d’une ambiguïté susceptible de faire débat, était passablement perturbant et dérangeant.
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A samedi prochain !
Par Nicolas Rieux