Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Stoker
Père : Park Chan-wook
Livret de famille : Mia Wasikowska (India), Nicole Kidman (Evelyn), Matthew Goode (Charles), Phyllis Somerville (Miss McGarrick), Alden Ehrenreich (Whip), Harmony Korine (Mr Feldman), Dermot Mulroney (Richard), Jacki Weaver (tante Gin)…
Date de naissance : 2012
Nationalité : Etats-Unis
Taille/Poids : 1h40 – 12 millions $
Signes particuliers (+) : Un thriller magistral sur la base d’un scénario pourtant simple. Beau, élégant, fascinant, envoûtant, troublant, sensuel, érotique, dérangeant voire pervers…
Signes particuliers (-) : x
A STOKER DANS SA DVDTHÈQUE
Résumé : La famille Stoker est endeuillée par un drame, la disparition dans un tragique accident de Richard Stoker, père adoré de sa fille et mari respecté malgré des difficultés conjugales. Pour aider Evelyn et sa fille India qui était très proche de son père, à traverser cette épreuve, le frère de Richard, Charles, refait surface de nulle part et s’installe quelques jours avec eux…
L’histoire est un perpétuel recommencement, c’est bien connu. Alors bis repetita, voilà un nouveau petit génie coréen qui traverse l’Atlantique direction Hollywood comme tant d’autres confrères l’ont fait avant lui, pour tenter sa chance aux Etats-Unis. Cette fois, c’est Park Chan-wook, le talentueux trublion du cinéma coréen qui a éclaboussé le monde avec son furieux chef d’œuvre Old Boy présenté à Cannes en 2004, qui fait le long chemin séparant la Corée du Sud de l’Amérique. Depuis, le cinéaste s’était pourtant confortablement installé dans le paysage cinématographique de son pays et n’a eu de cesse d’impressionner par la diversité de sa palette, entre le sublime dernier volet de sa trilogie sur la vengeance, Lady Vengeance, le magnifique et doucement décalé Je Suis un Cyborg ou encore Thrist qui renouvelait le genre du film de vampire. Ce voyage est d’autant plus étrange que Park Chan-wook a toujours eu pour habitude de réaliser des films dont il avait écrit le scénario. C’est donc une double-première qu’il signe avec Stoker puisque le script est d’un autre et pas d’un inconnu. C’est la surprise du chef qui peut surprendre au générique d’ouverture puisque Stoker est écrit par… Wentworth Miller. Rappelez-vous, cet acteur devenu superstar avec la série Prison Break et qui a vu sa carrière s’effondrer sitôt la série terminée. Depuis, l’ex-Michael Scofield n’était apparu que dans quelques seconds rôles et sentait bien que sa carrière d’acteur était un peu derrière lui. Alors pourquoi ne pas tenter sa chance autrement. Il écrira Stoker qu’il essaiera de vendre sous un pseudo de peur que sa notoriété ne soit une barrière question crédibilité. Depuis 2010 dans les tiroirs des projets intéressants en attente de concrétisation, Stoker finit par échouer dans la besace de Park Chan-wook, immédiatement attiré par cette histoire mêlant fascination et atmosphère troublante, nourrie à différentes inspirations, notamment hitchcockienne.
Sans parler anglais, Park Chan-wook se retrouve donc à la tête d’un petit budget (seulement 12 millions $) avec pour ambition de signer un thriller intense et magnétique, centré autour de trois personnages principaux, d’un côté la jeune étoile montante qui n’en finit plus grandir, Mia Wasikowska (la Alice de Burton, vue depuis chez Gus Van Sant, dans Jane Eyre, Albert Nobbs ou Des Hommes sans Loi), de l’autre Matthew Goode (Watchmen, A Single Man) et au milieu, Nicole Kidman. L’histoire d’une famille endeuillée qui voit revenir pour l’occasion le frère du défunt mari, un homme étrange, opaque et mystérieux, à la fois élégant et fascinant et troublant, parfois même glaçant derrière son sourire figé et sa douceur perturbante.
Pour une première en territoire américain, Park Chan-wook relève le défi haut la mai et s’en tire avec les honneurs. Sensuel, fascinant, troublant, mystérieux, élégant, magnétique, Stoker intègre tous ces adjectifs dans un thriller sauvage et intense doublé d’une immense œuvre artistique à la maîtrise impressionnante. Beauté des images, perfection des cadrages, subtil travail sonore, Park Chan-wook accouche d’une œuvre léchée, stylisée, de caractère, qui se fait un point d’honneur à imprégner le spectateur dans une ambiance envoûtante qui n’est pas sans rappeler, par exemple, des œuvres comme le remake de La Féline de Paul Shrader, pour son atmosphère suave et lancinante déployée. Dans un mélange de poésie macabre et d’érotisme nuancé, Stoker capte le spectateur dans ses filets sophistiqués et patiemment tricotés, ménageant un suspens jubilatoire qui se construit non pas à grands coups de rebondissements faciles mais au terme d’une progression narrative conduite de mains d’orfèvres, avec une grande subtilité et minutie, pour venir approcher une certaine beauté sauvage par un jeu de rôle que se livrent les différents protagonistes de cette histoire retorde et dérangeante. Plein d’ambiguïté et jouant avec elle sans cesse, Stoker est une nouvelle preuve de l’immense capacité de Park Chan-wook à nous étonner par la façon dont il change de style et de registre tel un caméléon. Son film nous retient entre ses griffes acérées et nous oppresse dans son dédale perturbant et sulfureux. D’un thriller qui n’aurait pu être qu’une petite série B à twist sans grandes ambitions, le cinéaste réussi à transcender son histoire pour l’élever au rang de petit chef d’œuvre esthétisé mêlant sombre chemin intrigant et ambiance glaçante, aidé dans sa tâche par des comédiens exceptionnels, de la petite Mia navigant entre deux eaux à un Matthew Goode troublant et charismatique en passant par une Nicole Kidman parfaite en marâtre abîmée et paumée.
Stoker flirte sans cesse avec le surnaturel dans son jeu de manipulation étrange cachant sa visée finale. Un jeu dont le titre se fait le clin d’œil, renvoyant à Bram Stoker, auteur de l’une des plus grandes histoires de manipulation sur autrui avec son Dracula, référence mise en avant par Park Chan-wook quand il évoque ses sources d’inspirations. Dans une atmosphère « gothisante » et non sans un certain maniérisme flamboyant dans sa mise en scène, Stoker est bel et bien une réussite qui marque l’avènement de son auteur, qui a réussi un passage souvent casse-gueule pour nombre de cinéastes, celui du voyage en terres américaines. Détournant les codes traditionnels, Park Chan-wook apporte sa classe, son savoir-faire, son talent et son style à une cinématographie qui avait bien besoin de ce brin de folie. On retrouve par exemple, un peu du De palma de la grande époque dans ce fascinant Stoker traversé de fulgurances et d’éclairs de génie virtuoses, qui ne recherche pas le spectaculaire ou le sensationnalisme mais davantage à installer le spectateur dans une captivante histoire à mi-chemin entre la répulsion et l’attirance qu’il ne sert à rien de combattre tant le film nous emprisonne dans son charme à la fois élégant et tétanisant. Mois rageur mais tout aussi brillant que ses précédents travaux, Park Chan-wook éclabousse encore une fois le petit monde du septième art par sa classe et nous fait chavirer par la beauté de son « grand petit film » prouvant qu’il est capable de toucher à tout avec le même génie comme fil conducteur à sa carrière de metteur en scène qui n’a rien de superficiel ou d’insipide. Son voyage aux Amériques ne se sera pas soldé par un engloutissement dans la machine broyeuse hollywoodienne et ce petit film indépendant est un tour de maestro.
Bande-annonce :