Si Monsieur Smith est monté au Sénat, James Stewart lui est monté au Congrès. C’était pour se battre contre la colorisation des classiques du cinéma…
Quand les légendes du cinéma prennent la parole, on fait l’effort de les écouter. Et au rayon « légende », James Stewart se pose quand même en seigneur. Monsieur Smith au Sénat, Indiscrétions, Fenêtre sur Cour, Vertigo, Autopsie d’un meurtre, L’Appât… Inutile de dérouler toute sa filmographie pour mesurer l’ampleur de son statut d’icône de l’âge d’or d’Hollywood. Parmi ses films cultes, il en est un qui surpasse tout : La Vie est Belle. Aux États-Unis, il n’est pas un américain qui n’ait jamais vu le chef-d’œuvre de Frank Capra, véritable trésor culturel national. Un film que James Stewart a toujours chéri plus que tous les autres dans sa carrière, du fait de sa qualité, du fait de l’affection qu’il lui portait, mais aussi du fait de sa grande amitié avec Capra. Le jour où l’art de son ami a été bafoué, James Stewart est tout de suite monté au créneau.
Milieu des années 80, Hollywood se lance dans une course frénétique à la colorisation. Plus précisément un homme, Ted Turner, magnat des médias et patron de la puissante MGM. Ted Turner faisait parti de ceux qui semblaient croire qu’il était de bon goût de moderniser les vieux classiques en noir et blanc en leur apportant une touche de couleur. Comme beaucoup d’autres, La Vie est Belle a eu droit à sa version colorisée, ce qui horripila James Stewart. Il ne fut pas le seul. Juste avant sa mort en 1985, Orson Welles déclara en parlant de Citizen Kane : « Ne laissez pas Turner défigurer mon film avec ses crayons« . Remonté à bloc contre cette « infamie » qu’il qualifia de « teinture aux œufs de Pâques » et considérant que de son vivant, jamais Capra n’aurait accepté pareille stupidité débilitante (le personnage de Violet était colorisé en violet etc…), James Stewart est parti en guerre… Monsieur Smith était monté au sénat, Jimmy Stewart est quant à lui monté au Congrès ! En 1987, le comédien envoya une missive virulente à l’instance américaine pour protester contre cette pratique insultant son vieil ami. Rappelons que le Congrès est habilité à juger de la protection des œuvres culturelles. Cette lettre sera le début d’un fervent engagement pour cette cause anti-artistique, réclamant plus largement, un respect des œuvres d’hier et d’aujourd’hui et de la vision de leurs auteurs. Car au-delà de l’anecdote, le combat de lobbying mené par le comédien sera de mieux faire prévaloir les droits des artistes dont les travaux sont souvent bafoués par les studios propriétaires des films. De grands noms tels que Burt Lancaster, John Huston, Sydney Pollack, Milos Forman, Katharine Hepburn, Clint Eastwood, Lauren Bacall, Martin Scorsese ou encore Ginger Rogers le rejoindront dans sa croisade. Son idée, réclamer la création d’une commission qui définirait « les plus grands films américains en noir et blanc » afin de les rendre intouchables. Comme La Vie est Belle, ou encore comme le Casablanca de John Huston qui justement, eut droit lui aussi à sa piètre et pathétique colorisation. Le débat prit une ampleur inattendue provoquant de vrais remous dans les sphères politiques au point qu’une audience eut lieu en 1988.
Après sa lettre, James Stewart est donc allé en personne au Congrès pour témoigner face aux sénateurs pendant que Katherine Hepburn et Clint Eastwood les appelaient un à un pour obtenir leur adhésion. Dans sa plaidoirie, Stewart a argué que coloriser les films en noir et blanc était moralement et artistiquement une erreur et que les personnes souhaitant cela, feraient mieux de quitter cette industrie et de la laisser en paix. Avocat du diable, le sénateur du Vermont Patrick Leahy rétorqua que si l’on commençait à interdire la colorisation des classiques, alors pourquoi ne pas interdire les publicités au milieu de leur diffusion télé ou les projections dans les avions ? Ce à quoi Milos Forman, également de la partie, répliqua en disant que si l’on commence à les coloriser pour qu’ils plaisent à la jeune génération habituée à la couleur, la prochaine étape serait peut-être de changer les musiques. Les jeunes aiment le métal… à quand l’étape où l’on referait toute la B.O de Autant en Emporte le Vent pour y coller des guitares électriques ?
Les débats furent passionnés mais fort heureusement, Jimmy Stewart put sourire, sa proposition de loi fut acceptée. Il sera notamment acté que les films en noir et blanc colorisés seraient contraint de préciser au public que l’œuvre ici présente a été altérée, et le titre devra être changé pour bien marquer cette différence. Ce qui amusa un sénateur qui s’exclamera : « Super, et donc Le Train Sifflera Trois Fois« , on l’appelle ça « Le Train Sifflera 4 fois » ? (pour les anglophones, il dira très exactement « Et High Noon devient Low Noon ? ». A noter que parmi les réfractaires, un sénateur s’inquiétera du fait qu’il s’agissait de la première fois que le Gouvernement jugeait de ce qui était artistique ou non, trouvant cela dangereux.