Si l’on devait évoquer les scènes les plus cultes de toute l’histoire du cinéma, il serait impossible de ne pas citer celle de la douche dans Psychose, lorsque Janet Leigh se fait sauvagement poignarder dans le motel de Norman Bates. Une scène que tout le monde connaît, aussi bien pour sa mise en scène terrifiante que pour sa musique emblématique, avec cette fameuse mélodie stridente composée par l’illustre Bernard Herrmann. Mais figurez-vous que ce thème devenu ultra-célèbre et que l’on a tous entendu au moins une fois dans sa vie (si ce n’est des dizaines), a bien failli ne jamais figurer dans le film. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’au départ, Alfred Hitchcock n’en voulait pas !
1959, Alfred Hitchcock vient de finir La Mort aux Trousses et n’a aucune idée de ce que sera son film d’après, lui qui d’ordinaire fourmillait de projets. Jusqu’au jour où il parvînt enfin à lire le roman Psycho de Robert Bloch, dont il avait entendu parler dans les journaux. Emballé, le metteur en scène s’attaqua rapidement au projet mais rencontra un obstacle de taille. Psychose était un film d’épouvante multipliant les scènes chocs voire tabous, et avec le spectre de la censure et du code Hays, le cinéaste eut toutes les peines du monde à trouver des financements. Face à la frilosité des producteurs, Hitch dut se résoudre à produire Psychose lui-même avec ses propres fonds, en se tenant à un budget limité (moins d’un million de dollars) et en faisant appel aux équipes de sa série télé Alfred Hitchcock Présente pour réduire les coûts.
Au cœur du classique d’Hitchcock, la communément appelée « scène de la douche ». Cette séquence d’environ 3 minutes a marqué les esprits, cinéphiles ou non. Pour mettre en boîte le passage central, à savoir les 45 secondes du meurtre, il aura fallu pas moins de 7 jours de tournage tellement tout était d’une extrême complexité. Déjà parce qu’Hitchcock était un réalisateur légèrement tatillon, limite obsédé par la perfection. Ensuite, parce que la vision qu’il avait de la scène a réclamé plus de 70 prises avec énormément d’axes de caméras différents. Et enfin, parce qu’il fallait ruser pour que les parties intimes de Janet Leigh (ou plutôt sa doublure – le mannequin Marli Renfro) n’apparaissent jamais à l’image. Rappelons en effet que le code Hays étaient toujours en vigueur en 1960 et que la nudité était totalement prohibée par la censure. Pour contourner le problème, de nombreux tests furent faits sur l’opacité du rideau de douche, le débit de l’eau qui coulait… Mais surtout, Hitchcock tourna certains plans au ralenti de sorte qu’au montage, il pourrait maîtriser au millimètre les mouvements de sa caméra et couper des plans très courts. Le résultat sera brillant et participera fortement (avec le final) à faire de Psychose, un chef-d’oeuvre intemporellement culte. Mais outre la virtuosité d’Hitchcock, il y a un autre élément qui marquera le génie de Psychose : la musique de Bernard Herrmann qui multiplie les sons stridents pendant que le spectateur assiste impuissant au meurtre sauvage de Janet Leigh. Aujourd’hui, il est impossible d’imaginer la scène sans la musique, comme il est impossible d’entendre la musique sans imaginer la scène. L’exemple parfait d’un travail d’orchestre intelligent, où la musique sert l’image et vice versa. Et dire que l’on a failli louper ça…
En effet, à l’origine Hitchcock avait une idée très précise de la scène. Et côté « sonore », il ne voulait aucune musique pour appuyer ce passage, seulement la froideur du silence défiguré par les cris de Janet Leigh et le bruit de l’eau qui coule comme seule « mélodie » stressante. Mais Bernard Herrmann, qui connaissait bien Hitchcock puisque les deux hommes collaboraient ensemble depuis déjà 5 ans (sur Le Faux Coupable, Vertigo, La Mort aux Trousses, Mais qui a Tué Harry ?…) savait que le passage pouvait être encore plus glaçant grâce à l’apport d’une musique adéquate. Pour convaincre le cinéaste, Herrmann élabora une maquette de la musique qu’il venait d’imaginer. Lors de la post-production, il fera visionner à Hitchcock la scène avec cette ébauche. Puis, non sans malice et en sachant pertinemment que son effet ferait mouche, il lui fera revisionner dans la foulée mais cette fois-ci, sans elle. Et pour une fois, le têtu Hitchcock, qui n’était pas du genre à changer d’avis quand il avait martèle en tête, se rendra à l’évidence et se ravisa. Herrmann avait raison, la scène perdait de son impact sans ce petit morceau de musique viscéralement grinçant. En par logique, elle en gagnait énormément quand elle était là pour soutenir les images. Bingo, Hitchcock acheta le thème culte que l’on connaît tous. Pour la création même du morceau, rappelons encore que Psychose était une petite production. Quel rapport avec la musique ? Qui dit petit budget pour le film, dit également petit budget alloué à la musique. Ce « problème » budgétaire, Bernard Herrmann le transformera en coup de génie. D’ordinaire, la peur au cinéma s’illustre avec des cuivres, voire des percussions. Ne pouvant tout s’offrir et ayant la confiance d’Hitchcock qui lui avait offert une liberté totale, Bernard Herrmann décida de tenter le coup de composer la bande originale du film uniquement avec un orchestre à cordes. Le pari était osé mais il s’avèrera sacrément payant ! Chaque coup d’archet furieusement lancé dans les violons illustre un coup de couteau à l’image, et la combinaison d’un montage hyper-cut et d’une musique cyclique et perçante, offre à la scène une puissance hallucinante, puissance qu’elle n’aurait peut-être pas eu si Hitchcock en était resté à son idée première. Et si Janet Leigh n’avait pas tout donné au passage. Car autre anecdote rapide, la comédienne avouera que cette semaine de tournage s’est achevé sur un calvaire : le plan post-assassinat où la caméra recule en partant de son œil vitreux et immobile. L’actrice dut rester de trèèèèès longues secondes sans bouger et surtout sans cligner des yeux… en ayant des gouttes d’eau qui la chatouillaient de partout et d’autres venues de ses cheveux trempés qui lui coulaient sur le visage. Un cauchemar, mais pour la bonne cause car… quel plan !!
Par Nicolas Rieux
Je n’étais absolument pas au courant de cette anecdote, cela donne encore plus de poids à la scène maintenant que j’en sais plus !
On rectifie le titre de l’article et on écrit : « Hitchcock ne voulait pas de musique dans la scène de la douche ». Et non pas qu’il a refusé la musique de Herman, ce que suggère le titre de l’article.