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LA VOIE DE L’ENNEMI de Rachid Bouchareb
Critique – avant-première (thriller, drame)

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Spectateurs

032994.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxMondo-mètre
note 5
Carte d’identité :
Nom : La Voie de l’Ennemi
Père : Rachid Bouchareb
Livret de famille : Forest Whitaker (William Garnett), Harvey Keitel (Bill Agati), Brenda Blethyn (Emily Smith), Luis Guzman (Terence), Dolores Heredia (Teresa), Ellen Burstyn (Mme Garnett)…
Date de naissance : 2014
Majorité : 7 mai 2014 (en salles)
Nationalité : France, Algérie
Taille : 1h58
Poids : 15 millions €

 

Signes particuliers (+) : Par cette chronique d’un échec de réinsertion, Rachid Bouchareb explore la face sombre d’un homme en proie à une irrésistible colère tapie au plus profond de sa volonté de changer. Un film qui vaut surtout pour son personnage puissant, interprété par un Forest Whitaker qui affiche une fois de plus tout son génie d’acteur. Sobre et beau.

Signes particuliers (-) : Si la cinématique de fond est passionnante, La Voie de l’Ennemi manque d’une véritable intrigue apposée et donnant corps à des enjeux trop éculés pour suffire à eux-seuls à accrocher le spectateur. Une belle chronique mais qui manque de ressorts dynamiques.

 

CHRONIQUE D’UN ÉCHEC ANNONCÉE

LA CRITIQUE

Résumé : Garnett, ancien membre d’un gang du Nouveau Mexique vient de passer 18 ans en prison pour meurtre. Avec l’aide d’Emily Smith, agent de probation chargée de sa mise à l’épreuve, il tente de se réinsérer et de reprendre une vie normale. Mais Garnett est vite rattrapé par son passé. Le Sherif Bill Agati veut lui faire payer très cher la mort de son adjoint.009556.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxL’INTRO :

Humble artisan du cinéma concevant son art comme un moyen de partage entre les cultures, Rachid Bouchareb exerce ses talents depuis maintenant près de 20 ans, même si l’on a parfois l’impression qu’il s’est révélé avec le primé à Cannes Indigènes. Discret et peu prolifique (8 films en 19 ans de carrière), le cinéaste n’a rien perdu de sa passion pour le septième art et attaque avec La Voie de l’Ennemi, le deuxième volet de sa souhaitée trilogie « américaine », le premier ayant été le téléfilm Just Like a Woman tourné en 2012. Comprenez par là un long-métrage en langue anglaise et avec des acteurs américains, tourné aux Etats-Unis, mais en réalité production franco-algérienne et très libre adaptation du classique de José Giovanni Deux Hommes dans la Ville, l’histoire de la relation entre un éducateur pour délinquants et un ancien truand sortant de prison (Gabin face à Delon et avec Michel Bouquet – 1973).la voie de l'ennemi

L’AVIS :

Autant évacuer la question qui fâche dès le début, non, La Voie de l’Ennemi ne se pose pas en « remake » à proprement parler du chef d’œuvre de José Giovanni, loin de là. Rachid Bouchareb réalise son propre film, sa propre histoire, avec sa propre vision et prend suffisamment de libertés dans un cadre fort et différent, pour que les deux œuvres n’entretiennent au final qu’un rapport minime, ce qui en justifie la démarche. Un peu comme les Scarface de Hawks et De Palma finalement.035025.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx

On ne saurait trop dire si c’est la beauté des grands espaces du Nouveau-Mexique, la puissance du cadre iconique déployé par Bouchareb, sa mise en scène qui s’inscrit dans une certaine veine naturaliste nourrie à l’admiration d’un cinéma yankee allant de John Ford à celui des années 70, la puissance d’expression des comédiens incarnant cette chronique lancinante mais tenue par une tension palpable permanente et assourdissante, mais toujours est-il que La Voie de l’Ennemi a un pouvoir de fascination aussi séduisant qu’il n’est envoûtant. Pas toujours de façon optimale, ses défauts lézardant les belles intentions qui galvanisaient le projet sur le papier, mais il se dégage quand même une étrange attraction de ce drame presque mystique sur la rédemption difficile et la damnation tragique.352527.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx

La Voie de l’Ennemi avait tout pour être une œuvre existentialiste somptueuse, salvatrice, profonde et exigeante, posée sur des bases intelligentes, réfléchies et convoquant un très grand cinéma à la fois passionnant et enivrant. Dommage qu’il affiche une forme d’incomplétude qui nuit à sa qualité et ses ambitions. Basé sur un arc dramatique aux enjeux éculés, tout l’intérêt du film allait résider dans la manière dont le cinéaste allait prendre possession et raconter son histoire dans le fond prévisible. Le chemin primait sur une destination que l’on n connaissait que trop bien. Bouchareb tient une toile de fond extraordinaire et d’une grande force, mais il lui manque seulement une intrigue capable de cristalliser ses enjeux, ici sans cesse désamorcés par une volonté de s’extraire dont on ne sait trop quoi, affaiblissant l’œuvre toute entière par un manque de consistance de premier plan, là où le second étincelle de génie. Sa chronique de ce repris de justice se battant de toutes ses forces pour tourner le dos à son passé est superbe, dense, réaliste, concrète, mais elle n’a pas la chance de s’appuyer sur un scénario de fiction suffisamment étoffé pour lui ouvrir la porte en déminant certains pièges allant de l’ennui à une forme de désinvolture et de facilité, en passant par un manque de quelque-chose de résolument cinématographique. La Voie de l’Ennemi est en cela comme incomplet, aussi réussi sur certains aspects qu’il ne pèche sur d’autres, manquant de rythme autant qu’il ne manque d’une histoire autre que celle structurant sa portée symbolique.355808.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx

Mais voilà, il est des comédiens qui ont cette capacité de sublimer une œuvre affaiblie dans son postulat. Par leur seule présence, leur seul charisme, leur seul jeu nuancé trouvant le moyen de dire beaucoup sans rien faire, juste par expression pure. Et Forrest Whitaker est de ceux-là. Impressionnant et habité, le comédien amaigri pour le rôle, livre une prestation une n’est pas coutume, de très haut vol (proche de celle du Zulu de Jérôme Salle), aidant Rachid Bouchareb à faire exploser la puissance de son œuvre de société lourde de sens. Les immenses Harvey Keitel et Brenda Blethyn (et dans une moindre mesure l’excellent Luis Guzman qui fait du Luis Guzman) aident à la tâche même si l’on pourrait regretter que leurs personnages n’ai pas tous droit à un traitement équivalent, fruit d’une écriture parfois hésitante. Un beau film dans l’absolu, quoiqu’un peu longuet et dont les imperfections trahissent ses velléités.

Voir notre rencontre avec le réalisateur Rachid Bouchareb. Interview.

Bande-annonce :

Par Nicolas Rieux

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