Deux heures pour le voir, deux jours pour s’en remettre. C’est comme cela que l’on pourrait résumer (de manière expéditive) l’expérience qu’est la découverte de ce second long-métrage de Florian Zeller. Le néo-cinéaste souffle littéralement sur place un spectateur dévasté par un récit poignant au possible. Le déluge d’émotions est multiple et fond sur le public de toute part. De la part de ce gamin, jadis lumineux, et qui désormais ne parvient plus à supporter la vie, littéralement dévoré de l’intérieur par une insondable tristesse qu’il ne parvient même pas à expliquer. De la part de cette mère, rongée de douleur face au désespoir de la chair de sa chair, ne sachant pas comment l’aider, et le voyant fuir loin d’elle. De la part de ce père désespéré malgré sa bonne volonté, incapable de trouver la solution, incapable de comprendre le problème, terrifié à l’idée de sombrer dans le modèle paternel qu’il a eu et qu’il s’était juré de ne pas reproduire. Trois vies qui vont s’abîmer dans un maelstrom de malheur, que le spectateur -impuissant- ne pourra que contempler avec fatalité.
Certains s’offusqueront devant l’instrumentalisation du drame. Oui, Florian Zeller a une approche très mélodramatique. Sa réalisation, la composition de ses scènes, l’écriture de ses dialogues, son appel à une musique très enveloppante et présente, l’incorporation de flashbacks émouvants toujours à point nommé pour qu’ils soient efficaces, le cinéaste a recours à toute la panoplie de motifs efficients du drame pour fabriquer l’émotion. Mais ça marche. Et au fond, c’est un peu le but. On demande à un film d’horreur de faire peur, à une comédie de faire rire, à une romance d’émouvoir. Logiquement, on attend d’un drame, qu’il bouleverse. Il est vrai que Zeller aurait pu mieux ficeler certains angles de son scénario, notamment pour le rendre moins prévisible, moins programmatique, et de fait moins artificiel dans son langage. La subtilité n’est pas vraiment la méthodologie employée et pour détourner un proverbe bien connu, « le trop est parfois l’ennemi du bien ». Zeller flirte parfois/souvent avec le trop. Mais ce que l’on retiendra surtout de cette éprouvante descente aux enfers familiale, au-delà de ses quelques excès, c’est la justesse de ses scènes les plus intimes, les plus dures, les plus cruelles. Une justesse que ceux qui ont pu être confrontés à pareilles situations sauront pleinement juger. Mais attention, cela ne sous-entend pas que The Son est privé de toute universalité, bien au contraire.
En creux, Florian Zeller signe un film sublime qui saura parler à tous (ou presque). Car autour du drame spécifique que vivent ses protagonistes, l’auteur scrute des destinées familiales résonnantes. La peur viscérale de tout parent pour sa progéniture, le désir de la protéger, la douleur de ne pas toujours y parvenir, l’angoisse de voir les enfants quitter le nid, la solitude qui reste après, les difficultés psychologiques engendrées par une séparation, par le remariage, la jeunesse d’aujourd’hui de plus en plus exposée à la dépression, le désarroi de ne pas trouver sa place dans un monde exigeant, l’envie de transmettre, de ne pas produire ou reproduire certaines erreurs, l’envie d’être différents de ses propres parents et pourtant la récurrence de certaines choses immuables… La richesse de The Son est énorme. Car autour d’un portrait de fils en perdition, Florian Zeller dresse aussi un portrait de mère, un portrait de père.
Après avoir filmé la maladie mentale de l’intérieur, Florian Zeller explore cette fois l’entourage, prenant le regard des personnes autour qui doivent faire face avec leurs forces et leurs faiblesses, aux ravages du drame. Le déni, l’impuissance, la volonté, la compassion, l’incompréhension, le soutien, les rechutes, les erreurs… Il filme un chaos destructeur suspendu à l’espoir d’une finalité heureuse. Florian Zeller réutilise somme toute les mêmes ingrédients (voire la même recette) qui avaient fait la force de The Father. Sa manière d’orchestrer le drame, sa manière d’y instiller une atmosphère de thriller suffocant et sous tension, sa manière de s’attarder sur les dommages collatéraux, sa manière d’ériger un labyrinthe dont on cherche la porte jusqu’à l’épuisement. Et bien sûr, sa manière de diriger ses comédiens aussi, tous exceptionnels. D’un Hugh Jackman extraordinaire en père déboussolé à une Laura Dern déchirante en mère rongée en passant par la révélation Zen McGrath en ado tourmenté et trop conscient de son enfer, Zeller tire le meilleur de la trempe des grands comédiens qu’il a à sa disposition. Sans parler de Vanessa Kirby, formidable en dommage collatéral secondaire ou d’un Anthony Hopkins qui n’a qu’une scène, et quelle scène !
Très vite, on réalise que The Son ne sera pas une « partie de plaisir ». Très vite, on regrettera d’avoir oublié ses mouchoirs à la maison. Mais très vite, on saura aussi se laisser emporter par des moments de cinéma absolument magistraux, qu’ils soient de douleur ou de beauté. Des instants qui prendront à la gorge et aux tripes (la scène à l’hôpital) ou qui enivreront (la scène de danse dans le selon). The Son est un ascenseur émotionnel permanent, cernant avec acuité le drame de la dépression. Avec comme idée que la plus grande tragédie dans l’histoire, est finalement de se dire que parfois, il n’y a pas de réponse au problème. Et quand il n’y a pas de réponse, la solution est encore plus difficile à trouver.
2 jours ? je l’ai vu vendredi et lundi j’y pense encore ! ça faisait longtemps qu’un film ne m’avait touchée à ce point ! attention ames sensibles s’abstenir…
et cet acteur Zen McGrath ! incroyable !