Nom : Sound of Falling/ In die Sonne schauen
Père : Mascha Schilinski
Date de naissance : 07 janvier 2026
Type : sortie en salles
Nationalité : Allemagne
Taille : 2h12 / Poids : NC
Genre : Drame
Livret de Famille : Hanna Heckt, Lena Urzendowsky, Laeni Geiseler…
Signes particuliers : Du cinéma radical.
Synopsis : Quatre jeunes filles à quatre époques différentes. Alma, Erika, Angelika et Lenka passent leur adolescence dans la même ferme, au nord de l’Allemagne. Alors que la maison se transforme au fil du siècle, les échos du passé résonnent entre ses murs. Malgré les années qui les séparent, leurs vies semblent se répondre.

UNE EXPÉRIENCE DE CINÉMA
NOTRE AVIS SUR SOUND OF FALLING
Beaucoup de films ont radicalement clivé dans les rangs des spectateurs du dernier festival de Cannes. Comme le Resurrection du chinois Bi Gan ou le Alpha de Julia Ducorneau. À la liste, on peut rajouter Sound of Falling de l’allemande Mascha Schilinski. Un film étrange, long, fractionné, mystérieux. Récompensé d’un (inattendu) prix du jury partagé avec Sirat, Sound of Falling (rebaptisé Les Échos du Passé chez nous) dresse les portraits de quatre jeunes filles à quatre époques différentes, avec comme point commun, un même lieu de vie. En l’occurrence, une ferme isolée dans la campagne allemande. Au fil des générations qui se succèdent, les murs de cette immense bâtisse vont abriter des vies malmenées, des drames, des tragédies, des secrets et des cicatrices indélébiles. Elles vont en habiter les murs séculaires.

Sound of Falling / Les Échos du Passé avait ouvert la compétition 2025 et franchement, on peut avouer que ce n’était pas un cadeau fait ni aux festivaliers ni au film lui-même. Un film allemand de 2h30 à l’atmosphère morbide et qui n’hésitait pas à frayer avec l’expérimentalisme et la radicalité absolue… Cannes ne démarrait pas dans la légèreté et la facilité. C’est sans ménagement aucun que Mascha Schilinski nous plonge dans son œuvre aussi sur-élaborée que bizarre. Dès les premières images, la cinéaste témoigne d’une volonté assumée de différence jusqu’au-boutiste. Elle affiche un grain d’image très appuyé et presque volontairement salissant, elle joue avec les sensations sonores, les ruptures ou avec un silence presque effrayant, elle flirte à la lisière du drame et d’une sensation d’épouvante contenue, elle déploie un univers quelque part entre le mysticisme étrange, le drame lourd comme la pierre et la morbidité malaisante, elle va ensuite fractionner son univers sur plusieurs époques sans jamais respecter une quelconque linéarité temporelle… Définitivement, Les Échos du Passé est une œuvre à la personnalité aussi singulière qu’affirmée, face à laquelle le spectateur, bousculé en profondeur, peine à savoir où se placer. Affronte t-il un douloureux effort artistique pompeux ou au contraire, est-il confronté à une oeuvre grandiose qui cherche à bouger les lignes du conventionnel au nom de l’audace artistique ? Est-on poussé manu militari contre les parois d’un chef-d’œuvre vertigineux ? Ce qui est sur, c’est que Les Échos du Passé est un long métrage indéniablement mal-aimable autant qu’il est indéniablement porteur d’une intention de cinéma débordante.

Tout au long de ces 2h30 qui paraîtront soit péniblement ennuyeuses ou à l’inverse totalement fascinantes, Mascha Schilinski construit une œuvre complexe aux allures d’édifice « cathédralesque ». Des versants affichent un profond élan féministe, d’autres déploient un macabre anxiogène. Et au centre, des interrogations. Que veut nous raconter la cinéaste allemande avec ce film qui dresse des portraits éclatés, ne referment pas toutes ses pistes narratives, amènent des résonances et laissent des énigmes en suspens ? Dans Les Échos du Passé, il est question d’une famille au début du XXème siècle qui vit entre coutumes, rites et quotidien difficile. On assiste à une fête des morts assez particulière, à des tours d’enfants espiègles, on voit un jeune homme estropié par ses parents, on suit une fillette intriguée par ce parfum de mort et de douleur qui semble embaumer les lieux. On voit aussi des photos d’un passé qui semble hanter tout le monde. Il est aussi question d’une autre famille, dans la même ferme, mais dans les années 70 avec une jeune femme en quête de liberté mais lestée au sol par une atmosphère de malaise. Probablement un rapport avec le répugnant oncle Uwe… Il y a aussi cette fillette d’aujourd’hui qui se sent délaissée, ce couple moderne, cette voisine blonde curieuse…
Il se dégage un sentiment de confusion dans ce vaste puzzle sensoriel dont la finalité tendrait à raconter l’histoire de l’évolution de la place de la femme à travers les époques plus ou moins récentes. Et les douleurs d’hier habitent encore les murs de lieux que s’approprient ensuite des générations ultérieures qui avancent et essaient de soigner ces cicatrices du passé tout en en vivant d’autres. Si l’on pourra toujours forcer le souhait d’apparenter son œuvre à d’autres univers (Jonathan Glazer, David Lynch, Michael Haneke), la réalité est que l’entreprise tour à tour absconse ou subjuguante de Mascha Schilinski ne ressemble à rien d’autre. Il y a sensations, des sentiments, des idées infimes qui rappellent untel ou untel mais l’effort est indéniablement très personnel. La cinéaste allemande noie le spectateur dans un océan d’intentions parfois floues ou parfois évidentes, et cherche davantage à faire ressentir des choses organiques au plus profond des viscères plutôt qu’expliquer de manière didactique son propos. C’est tout un film qui semble plus hanter que montrer.

Voix off lancinante, plans symboliques, jeux de sons ou de non-son, rendu de l’image changeant, bribes de récits parcellaires, images pénétrantes, idées de mise en scène saisissantes (comme un plan circulaire dans une maison dès le début, qui plante d’emblée et brillamment l’idée d’un film qui parlera de fantômes du passé), pouvoir de la suggestion ou de la métaphore, composition picturale, vue subjective… Mascha Schilinski use (abuse diront certains) de toute la grammaire artistique du cinéma pour déployer un vertige cinématographique, un très long métrage oppressant où des segments se répondent d’une temporalité à l’autre, parfois directement parfois dans un lointain intellect subtilement perceptible. Il se dégage du mystère, de la puissance et de l’émotion de ce Les Échos du Passé, une once d’ennui (presque assumée) aussi tant le film joue beaucoup la carte de l’évanescence et de l’extrême rugosité. On disait mal-aimable, il est vrai que le film de Mascha Schilinski appartient indéniablement (beaucoup d’indéniable décidément) à cette caste de films que l’on n’aura pas forcément à cœur de revoir tous les quatre matins, mais qui, sur l’instant, impose une proposition forte qui intrigue, fascine, envoûte, bouscule et interroge. Sorte de voyage habité par une étrange poésie tragique flirtant sans cesse avec le spectre du drame, de l’horreur et du mortifère, Les Échos du Passé nous fait écouter le son d’une chute dans la noirceur. Et l’expérience ne laissera personne insensible, pour le meilleur ou pour le pire.
Par Nicolas Rieux