Aino Suni. Retenez bien ce nom, il est fort probable que vous en entendiez à nouveau parler dans les prochaines années. Présentée comme l’une des belles promesses du cinéma scandinave, Aino Suni a débuté sa carrière dans le court-métrage. Elle en a réalisé un grand nombre avant d’en arriver à Pulse, son premier long. Et quel long ! Remarqué dans de très nombreux festivals à travers le monde, Pulse est un drame psychologique renversant qui impose d’emblée, tant sa metteur en scène que ses comédiennes. D’un côté, la jeune chanteuse Elsi Sloan, de l’autre Carmen Kassovitz (fille de Matthieu).
Elina, une jeune rappeuse en devenir, quitte sa Finlande natale pour suivre sa mère dans le sud de la France quand celle-ci emménage avec son fortuné petit-ami. Très rapidement, Elina se lie d’amitié avec Sofia, sa nouvelle « demi-sœur » par alliance. Mais entre la mutique et solitaire jeune fille aux cheveux verts et sa belle demi-sœur, une apprentie ballerine plus extravertie, le lien prend vite un chemin toxique.
Pulse est une petite sensation que l’on n’a franchement pas vu venir. Si le film bénéficiait d’une solide réputation, il était difficile de mesurer à quel point elle n’avait rien d’usurpée. Aino Suni tisse des ficelles qui convergent ensembles, avec une grâce et une fluidité impressionnantes, vers un bijou de cinéma cumulant les touches de brio. Comme un mille-feuilles dont chaque étage serait un délice. Il y a d’abord l’écriture, fine, juste et perfectionniste (bien plus intelligente que ne laisse penser le pitch fourni). Aino Suni prend soin de planter ses personnages avec authenticité, sans jamais les résumer à des fonctions narratives. Pulse existe avant tout par eux et pour eux. Elina, adolescente troublante dont on ne sait jamais trop si son repli sur soi est dû à son déracinement ou un équilibre psychologique vacillant. Ce qui est sûr, c’est que sa nature émeut autant qu’elle inquiète. Face à elle, Sophia, qui fascine par sa beauté, son aisance, sa fragilité soupçonnable. Un antagoniste parfait. Pulse est la rencontre de deux êtres à la fois opposés et presque complémentaires, comme les deux faces d’une pièce de monnaie. Au-delà des personnages, c’est surtout la manière dont la cinéaste les rapproche, avec patience et ambiguïté, tout en faisant planer une menace indiscible, perceptible mais vaporeuse.
Puis il y a la mise en scène, envoûtante, viscérale, atmosphérique. Entre les plans magnifiquement composés par Aino Suni et son amour évident pour la musique qui vient renforcer la puissance des scènes, Pulse est un geste sublime de cinéma dont le regard se démultiplie entre le drame intimiste bouleversant et la tension sourde d’une tragédie en dessin aux allures de thriller suffocant. Et enfin, il y a ces comédiennes qui brillent comme deux étoiles. Tout particulièrement Elsi Sloan, dont la comédie n’est pas la vocation première mais qui explose littéralement l’écran par sa présence affirmée, par son regard qui parle souvent à sa place, par sa gestuelle dévoreuse qui emplit constamment le cadre.
Explorant les peurs, les désirs et les fantasmes d’un âge de transition où la fin de l’adolescence se télescope avec le début de l’âge adulte, Pulse est une plongée sombre, amère et mélancolique dans deux destinées qui vont s’abîmer. Aino Suni mélange beaucoup de choses, regard sur la jeunesse, quête identitaire, homosexualité, différence, amour toxique, rap, déracinement, multiculturalité, pouvoir du regard des autres, âge délicat où tout est ressenti très fort… La metteur en scène prend un risque immense car ce maelstrom aurait pu virer au « trop ». Pourtant, elle impose une maîtrise franche et Pulse dégage un quelque chose de vénéneux, d’obsédant, autour de son mélange de romanesque touchant et de cauchemar destructeur. Entre empathie émouvante et violence effrayante, Pulse est une œuvre hypnotisante, certes imparfaite (quelques ficelles mal attachées, une fin pas forcément réussie) mais qui porte beaucoup de choses en son sein.