Partagez cet article
Nom : Limbo
Père : Ben Sharrock
Date de naissance : 2021
Majorité : 04 mai 2022
Type : sortie en salles
Nationalité : Angleterre
Taille : 1h44 / Poids : NC
Genre : Comédie dramatique
Livret de Famille : Amir El-Masry, Vikash Bhai, Ola Orebiyi…
Signes particuliers : Une petite pépite subtilement absurde, foncièrement intelligente.
Synopsis : Sur une petite île de pêcheurs en Écosse, un groupe de demandeurs d’asile attend de connaitre son sort. Face à des habitants loufoques et des situations ubuesques, chacun s’accroche à la promesse d’une vie meilleure. Parmi eux se trouve Omar, un jeune musicien syrien, qui transporte où qu’il aille l’instrument légué par son grand-père.
UN AUTRE REGARD SUR LES MIGRANTS
NOTRE AVIS SUR LIMBO
Peut-on rire de tout ? Desproges disait que oui mais pas avec n’importe qui. Limbo montre que oui mais tout dépend de comment. Pourtant le terreau de base du film de Ben Sharrock ne présentait absolument rien de nature à pouvoir susciter l’humour. Le cinéaste y dépeint le quotidien d’un réfugié Syrien (formidable Amir El-Masry) ayant atterri sur une île perdue au large de l’Écosse. Les journées qui passent, l’attente d’une réponse des autorités sur son sort, l’espoir d’un avenir meilleur, l’exil forcé, le déracinement, la peur de perdre son identité, l’impossibilité de travailler en attendant, la maigre pension transitoire accordée pour vivre et le regard des locaux sur ces êtres qui errent comme des fantômes habillant leur décor… Voilà ce que l’on retrouve au cœur du film. Rien de nature à plaisanter sur le papier en effet. Sauf que tout britannique qu’il soit (et on connaît leur attirance pour les drames sociaux) Ben Sharrock ne souhaitait pas traiter de la crise migratoire selon une vision dramatique plombante collant aux clichés de représentation de la tragédie des migrants syriens. Pour commencer, il ne souhaitait pas abandonner son univers singulier qu’il entretient depuis ses premiers courts-métrages au début des années 2010 et dont le ton est marqué par un goût prononcé pour l’absurde.
On y vient, l’absurde est l’un des principaux carburants de Limbo et ce qui rend le film brillant, c’est que Sharrock ne l’emploie jamais gratuitement. Chaque élément d’absurde, chaque situation burlesque faisant irruption dans le récit, a pour but de véhiculer ou d’appuyer une idée relative au propos. Comme ces cours de langue et de mœurs délicieusement lunaires donnés aux « étrangers » pour leur apprendre les codes occidentaux, où l’on a l’impression de voir des adultes supérieurs éduquer des enfants sauvages. Comme ces autochtones naïvement curieux de savoir si Omar le syrien est venu sur leur île pour y poser une bombe. Comme ce balai de réfugiés venant téléphoner à leurs familles depuis une cabine téléphonique implantée en milieu de nulle part en pleine nature désertique. Ou comme cet émouvant réfugié avec sa poule baptisée Freddie en l’honneur de Mercury ou ces deux camarades de fortunes qui se disputent à propos de Friends (25 ans qu’on dit qu’ils étaient en pause !!). Ben Sharrock multiplie les scènes, séquences et images étrangement drolatiques avec cette intelligence de toujours raconter quelque chose de pertinent à travers elles. Dans Limbo, l’absurde est une tonalité mais aussi un élément métaphorique, soulignant le non-sens de laisser ainsi ces réfugiés désœuvrés pendant des mois en attendant de statuer sur leur sort. Pourquoi ? Pourquoi autant de temps ? Soulignant aussi le décalage qui peut exister dans un choc des cultures renforcés par ces situations au fond absurdes (devoir partir contre son gré de chez soi).
Au milieu de paysages naturels absolument magnifiques, Limbo est le théâtre d’un drame humain observé avec une profonde humanité, avec justesse, délicatesse et empathie. La lenteur flegmatique du rythme (jamais ennuyeux) donne d’autant plus d’impact à cette sensation de quotidien mélancolique hors du temps, où l’attente est l’enjeu central de la destinée de ces âmes dont les vies sont momentanément en suspens. Petite pépite à la fois humble et riche, Limbo est une formidable réussite qui en dit bien plus avec ses silences et son apparente désinvolture que bien des drames démonstratifs et appuyés. Car malgré le sujet lourd, le misérabilisme n’est jamais convié à la fête organisée par Sharrock. Et il faut se rendre à l’évidence, son regard épris d’humour donne finalement bien plus d’humanité et de chair à ses personnages que la majorité des drames cherchant l’empathie à tout prix. A travers la trajectoire de ce syrien parti sans le vouloir et trimbalant avec lui son instrument de musique dont il ne peut plus jouer « car il ne sonne plus pareil depuis qu’il est loin de chez lui », le cinéaste montre le réel quotidien de ces migrants en attente, la manière dont leur identité s’efface doucement loin de chez eux, la complexité géopolitique d’une tragédie humaine, et la difficulté de vivre l’accueil en terre étrangère où l’on n’est pas vraiment désiré par les uns tandis que d’autres ont une bien une once de compassion mais qu’ils ne savent pas forcément traduire.
Par Nicolas Rieux
J’ai énormément aimé ce film qui dit plus de choses sur l’exil et le traitement des migrant par les gouvernements que bien des films 1er degré
Merci pour cette très belle critique encore une fois tellement juste !