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LE ROYAUME de Julien Colonna : la critique du film

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Nom : Le Royaume
Père : Julien Colonna
Date de naissance : 13 novembre 2024
Type : sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 1h48 / Poids : NC
Genre : Drame

Livret de Famille : Ghjuvanna Benedetti, Anthony Morganti, Thomas Bronzini de Caraffa

Signes particuliers : Une autre façon d’aborder le film de gangsters.

Synopsis : Corse, 1995. Lesia vit son premier été d’adolescente. Un jour, un homme fait irruption et la conduit à moto dans une villa isolée où elle retrouve son père, en planque, entouré de ses hommes. Une guerre éclate dans le milieu et l’étau se resserre autour du clan. La mort frappe. Commence alors une cavale au cours de laquelle père et fille vont apprendre à se regarder, à se comprendre et à s’aimer.

 

UN PREMIER FILM ÉPOUSTOUFLANT

NOTRE AVIS SUR LE ROYAUME

À Cannes, on a beaucoup parlé de la prestigieuse compétition officielle, de la présentation mondiale du dernier Mad Max, du court-métrage féministe de Judith Godrèche, de Kevin Costner, du dernier Soi Cheang ou de la première réalisation de Noémie Merlant en séance de minuit. Niché au creux de la sélection Un Certain Regard, Le Royaume a également fait parti des petits buzz cannois du cru 2024. Et ce même s’il n’a rien remporté, doublé par l’excellent L’histoire de Souleymane de Boris Lojkine et Black Dog de Guan Hu. Dommage car ce premier long-métrage du réalisateur corse Julien Colonna, coécrit avec la talentueuse Jeanne Herry, est absolument époustouflant.

Julien Colonna plonge à la fois dans son histoire personnelle et dans celle de l’île de Beauté, marquée depuis des décennies par ces affrontements meurtriers entre clans qui ont régulièrement alimenté les rubriques faits divers des journaux télévisés. Au cœur des années 90, la jeune Lesia s’apprête à vivre son premier été d’adolescente quand un jeune homme à moto vient la récupérer pour l’emmener dans un lieu tenu secret. C’est là qu’elle retrouve son père, qu’elle ne peut voir que de temps en temps et en cachette. Chef de clan recherché depuis plusieurs années par les autorités, Pierre-Paul Savelli se planque entouré de ses hommes. Malheureusement, violence et vendetta vont condamner les quelques jours qu’ils s’apprêtaient à passer ensemble…

On parle toujours mieux de ce que l’on connaît. Julien Colonna en fait une énième démonstration. Fils de Jean-Jérome Colonna, un ancien parrain présumé du milieu corse, c’est de son histoire et celle de son père que s’est très largement inspiré le néo-cinéaste pour imaginer Le Royaume, un « anti-film de gangsters » comme il le définit. « Anti » car Le Royaume n’embrasse pas vraiment les codes du polar criminel. Loin des Mesrine et compagnie, le film démystifie complètement le milieu et les codes que lui ont attribués les polars romanesques pour se présenter avant tout comme un drame filial sur un père et sa fille qui vont vraiment apprendre à se connaître durant un été de cavale sur fond de têtes qui tombent. Le résultat est d’une puissance extrême. Bon sang, quel film !

Avec Le Royaume, Julien Colonna signe un film d’entre-deux. Le cinéaste n’évite pas le film de gangsters mais il l’aborde avec un regard différent, loin du polar et plus proche de la chronique dramatique sur des hommes et des femmes acteurs et victimes de leur mode de vie. Ancré dans une réalité qui transpire l’authenticité, Le Royaume tourne autour du milieu corse tout en restant focalisé sur le drame intimiste qu’il prend pour coeur.

De ce désir de composer un film qui observe le milieu à travers les yeux d’une jeune fille qui ne recherche qu’un peu de temps en compagnie de son père, naît un film bouleversant qui ne glorifie ni ne glamourise le monde des gangsters sans pour autant occulter son romanesque et les émotions qui peuvent habiter les protagonistes qui le composent. C’est la force principale d’un film qui ne verse pas dans la fascination pour un monde nihiliste. Chez Colonna, c’est l’autre versant du milieu qu’il nous est donné de voir, celui que l’on ne traite quasiment jamais. Peu d’intensité suffocante, peu d’action ou de péripéties spectaculaires, dans Le Royaume on observe des gangsters qui se terrent où ils peuvent, qui bougent sans arrêt, qui pleurent la mort des leurs quand le destin les rattrape ou qui souffrent du manque de leurs familles. On observe surtout un père meurtri par le peu de temps qu’il peut accorder à la prunelle de ses yeux, et une fille qui veut chérir les moments quasi crépusculaires qu’elle peut passer en compagnie de ce paternel qui lui manque tant.

Il se dégage un souffle tragique d’une puissance insondable de ce drame tour à tour tendu où bouleversant. Car si Colonna ne spectacularise pas la tension, cela ne veut pas dire qu’elle est absente. Elle est juste diffuse, comme une constante qui accompagne les personnages, qui vivent avec elle, qui dorment avec elle, qui dînent avec elle. D’un bout à l’autre, on est comme eux, suspendu à l’angoisse du pire qui pourrait arriver à tout instant. Une attaque vengeresse, une embuscade assassine, une descente de police inattendue… Mais d’un bout à l’autre, on est surtout gorge et tripes nouées par la force de cette relation filiale qui déborde d’amour. Tout s’incarne dans une longue scène de confession (magnifique et déchirante) où le charismatique chef de clan parle avec son cœur à une fille qui avait sans nul doute besoin d’entendre son histoire pour avoir les réponses à ses questions, comprendre et ainsi grandir.

Le Royaume est l’espace dans lequel se meuvent deux êtres. C’est l’espace de calme hors du temps dans lequel ils se retrouvent. C’est aussi l’héritage que laissera, qu’elle le veuille ou non, un père à sa fille. Pour incarner ces personnages vecteurs de toutes les émotions, il fallait des comédiens qui ne jouent pas, ou plutôt qui ne surjouent pas. C’est dans sa Corse natale que Colonna est allé chercher Saveriu Santucci et Ghjuvanna Benedetti. Le premier est un agriculteur et guide de montagne. Sans expérience, il incarne avec force et magnétisme ce chef de clan respecté et ce père aimant et énigmatique. Face à lui, Ghjuvanna Benedetti, jeune sapeur-pompier corse. Etincelante révélation, elle est l’atout majeur de ce Royaume, compensant un jeu encore un peu hésitant par une présence irradiante qui Marie toute la force, la fragilité et l’innocence de son personnage passionnant.

Portée par une étourdissante sensibilité couchée à fleur d’une peau rugueuse, Le Royaume est une claque. Pour un premier film, Julien Colonna impressionne de maîtrise. Maîtrise narrative avec un scénario aussi solide que d’une grande intelligence. Maîtrise formelle avec une mise en scène qui gère à la perfection son mélange de récit initiatique aux moments intimistes secoués par les à-coups tendus d’une histoire violente et captivante. Colonna filme des silences, des sourires, des visages graves, des instants de complicité ou d’amour, des larmes aussi et quand le récit se charge en séquences brutales, c’est la force de tout qui en est décuplée, comme une tempête soudaine qui secoue la tranquillité d’un jardin calme.

 

Par Nicolas Rieux

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