Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : All is Lost
Père : J.C. Chandor
Livret de famille : Robert Redford…
Date de naissance : 2013
Majorité au : 11 décembre 2013 (en salles)
Nationalité : USA
Taille : 1h46
Poids : 9 millions $
Signes particuliers (+) : Une éprouvante aventure intimiste et réaliste pas loin du drame épique d’un homme seul combattant pour sa survie au milieu de l’immensité des mers. Un récit d’endurance, de courage et de rage de vivre, de survivre, porté par un Robert Redford littéralement hallucinant et impressionnant et tenu d’une main ferme par un J.C. Chandor audacieux et téméraire. Boule de stress pas loin du cauchemar en apnée, All is Lost est une sorte de Gravity dans les mers. Dans tous les cas, L’Odyssée de Rob, c’est autre chose que celle de Pi.
Signes particuliers (-) : Réussite totale question sensations, All is Lost peine un peu plus au niveau de l’émotion. Peut-être le résultat de ses quelques menues maladresses. Ah si seulement il avait réussi à conjuguer les deux…
LE VIEIL ACTEUR ET LA MER
Résumé : Au cours d’un voyage en solitaire à travers l’Océan Indien, un homme découvre à son réveil que la coque de son voilier de 12 mètres a été percée lors d’une collision avec un container flottant à la dérive. Privé de sa radio et de son matériel de navigation, l’homme se laisse prendre dans une violente tempête. Malgré ses réparations, son génie marin et une force physique défiant les années, il y survit de justesse. Avec un simple sextant et quelques cartes marines pour établir sa position, il doit s’en remettre aux courants pour espérer se rapprocher d’une voie de navigation et héler un navire de passage. Mais le soleil implacable, la menace des requins et l’épuisement de ses maigres réserves forcent ce marin forcené à regarder la mort en face.
Après l’expérience spatiale avec Gravity, préparez-vous à l’expérience marine avec All is Lost, second film du très doué J. C. Chandor. Le premier coup de rein du jeune cinéaste américain l’avait conduit tout droit aux Oscars. C’était il y a deux ans avec Margin Call, troublante immersion dans l’univers de la bourse le temps d’une nuit à la veille du déclenchement de la crise géante qui allait secouer le monde. D’une simple petite production indépendante truffée de stars, Margin Call allait devenir un film très prisé des festivals du monde entier avant de finir nommé dans la course à la précieuse statuette du « meilleur scénario original ». Forcément, l’attente autour de son deuxième effort allait se faire sentir et le jeune prodige n’aura mis que deux ans avant de revenir.
All is Lost nous ré-entraîne en mer, terrain de jeu décidément très demandé cette année par le cinéma et que l’on a l’impression de ne plus quitter. A croire que l’on va d’ailleurs devoir acheter bientôt notre propre gilet de sauvetage histoire d’être paré pour les prochaines séances. Outre le trauma des actes de pirateries (Hijacking ou le tout chaud Captain Phillips), la dureté du combat homme vs mer dans une lutte terriblement éprouvante était déjà l’une des ficelles centrales du français En Solitaire de Christophe Offenstein sorti il y a quelques semaines et qui, s’il était raté dans sa partie dramatique, avait au moins le mérite d’impressionner par la puissance de sa portion « aventure ». Toutefois, la comparaison s’arrêtera là entre le drame français et ce All is Lost, film iconoclaste et pas loin de l’inclassable, marchant en dehors des canons traditionnels. Son scénario au complet d’à peine 30 pages, annonçait d’emblée la couleur. All is Lost ne serait pas un film classique mais quelque-chose d’autre, une expérience que J. C. Chandor ambitionnait de rendre intense et totale. Pour cela, il a mis le paquet. Un acteur, la mer et puis c’est tout. Enfin c’est tout, on peut aussi ajouter un voilier en échec et un bateau gonflable. Sinon, aucun rôle secondaire, quasiment aucun dialogue. Juste un homme d’âge mûr isolé et l’immensité de la mer autour de lui. Audacieux, vous avez dit audacieux ?
Le peu d’expérience qu’avait Chandor au moment de débuter sa carrière en 2011 a visiblement bien évolué depuis après… un seul film ! Au point qu’aujourd’hui, le cinéaste a un culot monstre pour se lancer ainsi à corps perdu dans une œuvre comme All is Lost, aussi courageuse qu’elle n’est périlleuse. En tout cas, Chandor fait la démonstration d’une volonté d’éclectisme dans la conduite de sa carrière car il ne pouvait y avoir plus absolu contrepied qu’avec ce choix de film là. Après une première réalisation entièrement basée sur sa multitude de personnages, sur son scénario complexe et sur les dialogues qui y étaient échangés, son deuxième effort vire à 180° à babord. Exit la galerie de comédiens et bienvenu à un seul et unique acteur, la légende Robert Redford. Exit également un scénario complexe et minutieux et bienvenu à un petit script d’à peine 30 pages amplement suffisantes, en partie à cause du fait que d’un film abondamment dialogué, le cinéaste passe à un long-métrage qui en est quasiment dénué. « Quasiment » car en dehors de quelques lignes de texte en ouverture de film, on entendra presque plus jamais la voix de Redford de tout le reste du métrage (mis à part un mot puissamment entonné en milieu de film dans un plan pas loin du pic provocateur amusément adressé à la MPAA).
Si une poignée d’autres avaient un peu balisé le terrain avant lui (dans le film de genre par exemple, avec Open Water ou plus récemment L’Odyssée de Pi d’Ang Lee), reste que All is Lost est une œuvre sacrément téméraire et allant encore un cran plus loin de ces prédécesseurs, du côté du drame ultra-réaliste et conceptuel. Un seul comédien, la mer et pas de dialogues, il fallait oser présenter un tel projet dans un milieu hollywoodien de plus en plus frileux. Mais alors que Gravity vient de rouvrir la faille du film-expérience, All is Lost tombe au bon moment, le film de Chandor étant un peu le Gravity de la mer. En somme, un film sensoriel sur la détermination à survivre et l’endurance humaine d’un être isolé, abandonné à son sort en milieu hostile et déboussolé par les évènements qui s’abattent sur lui par vague.
Outre le talent d’écriture ou d’interprétation, All is Lost imposait une véritable prouesse formelle et technique pour matérialiser cette aventure tragique d’un homme dont le voilier a échoué suite à une avarie et qui se retrouve seul sur un bateau gonflable au beau milieu de l’océan indien à des centaines de kilomètres des voies de passage. Mais Chandor relève le défi et transforme l’essai à merveille avec un film simple et radical. Tout tient dans le pitch mais quelle force de retranscription ! Méticuleux, appliqué, le jeune metteur en scène s’immerge complètement dans son récit et sachant que la narration n’en serait pas la force première en raison de la simplicité d’approche épurée de son histoire, il va alors devoir redoubler d’effort pour donner du caractère à sa mise en scène, pour hisser son film au rang de saisissante boule de stress captivante et accrocheuse plongeant le spectateur en immersion totale aux côtés de son personnage au point de ressentir la même peur que lui, le même effet de désorientation, d’abandon, d’angoisse, d’harassement que lui… Pari réussi pour le cinéaste, même si ce n’est pas sur toute la ligne. Car paradoxalement, l’émotion a un peu de mal à s’installer dans un premier temps alors qu’elle sera la star de la seconde partie du métrage, elle ou du moins plutôt sa petite-sœur, la sensation. Ce sera peut-être le seul petit défaut à relever dans cette intense expérience viscérale et ahurissante, pas loin du film en apnée et asphyxiant nécessitant de retenir sa respiration pendant 2 heures. La structure du film en est peut-être la cause avec un préambule pas des plus adroits ne proposant pas d’apprivoiser son personnage avant de confronter à son malheur. Mais pas de panique, si elle a du mal à poindre au début, l’émotion finira par s’installer lentement et progressivement, au fur et à mesure que l’aventure ne se transforme en un terrible drame empathique où les forces de la nature semblent se déchaîner sans pitié ni répit sur un pauvre homme pris au piège de son cercueil flottant, un radeau de fortune aussi exigu qu’il n’est pas protecteur pour un sou. Et plus que l’émotion pure, ce sera davantage la sensation qui tiendra avec fermeté le résultat résolument immersif et de fait, sensoriel. On aurait dans l’absolu une conjugaison des deux mais l’on saura se contenter d’une seule.
Malgré quelques micro-maladresses ça et là, comme une incrustation sur fond vert ratée, une poignée de plans à la symbolique un peu trop maniérée ou une introduction mal définie qui contrarie l’identification au personnage que l’on va accompagner tout du long, All is Lost reste à l’arrivée un tour de force assez grandiose et qui mérite un profond respect. En grande partie grâce au minimalisme de la narration de J.C. Chandor, soutenue par une mise en scène assez peu chargée et souvent d’une grande dextérité voire virtuose à son niveau malgré les contraintes, mais également à la partition tour a tour discrète et puissante de Alex Ebert et bien entendu, à un grand Robert Redford qui plonge seul dans la tourmente et qui en bave (et en brave) à porter ainsi le film sur ses seules épaules. Le comédien âgé de 77 ans (!!!) impressionne par ce qu’il subit, par le cœur qu’il met à l’ouvrage, par la puissance et le naturel qu’il dégage, évitant le piège du cabotinage qui, pourtant, semblait fonctionner comme un sable mouvant étendu tout autour de son chemin de croix à être ainsi seul centre de l’attention pendant pas loin de deux heures. Brillant. Et d’un nouveau candidat potentiel à l’Oscar de plus, et celui-là non plus ne l’aura pas volé s’il l’attrape ! L’intelligence de la progression dramatique accorde au film une force et une tension qui ne cesse de croître au fur et à mesure de son déroulé et même s’il ne fait aucun doute qu’il y avait encore mieux à faire en termes de radicalité assourdissante et dévastatrice, le travail accompli par Chandor force le respect par le réalisme dans lequel il s’engage, tordant le cou aux attendus clichés narratifs en ne surdramatisant rien, quitte à surprendre ou à frustrer.
Dans cette odyssée ironiquement épique malgré son apparent minimalisme et aux images somptueuses (tournées au large de Los Angeles et aux Bahamas, le reste étant du studio dans ceux du Nouveau-Mexique construits pour Titanic), c’est avec la boule au ventre que l’on assiste à un désespoir lentement déployé où la conviction de survivre se transforme en rage puis en fatalisme latent. All is Lost met du temps à émouvoir (et n’y parvient d’ailleurs jamais totalement) mais quand il réussit à déployer toute sa palette de sensations terrassantes et éreintantes, il prend littéralement aux tripes et nous retourne comme des crêpes avec sa simple histoire intimement dantesque et généralement terrifiante, confrontant un homme tout petit face à l’immensité de son adversaire sans pitié. Dame nature vs un vieil homme venant la défier sur ses eaux, All is Lost est l’un des évènements d’une année 2013 décidément épatante de richesse. Un énième cru pour lequel on aura juste un conseil à vous adresser : aller aux toilettes avant. Parce que deux heures de clapotements de vague, ça peut vite devenir un cauchemar. Et déjà que celui que dessine le film est passablement stressant et immersif…
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux