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RESURRECTION de Bi Gan : la critique du film

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Spectateurs

Nom : Resurrection
Père : Bi Gan
Date de naissance : 10 décembre 2025
Type : sortie en salles
Nationalité : Chinois
Taille : 2h40 / Poids : NC
Genre : Science-fiction, Expérimental, Drame, Policier

Livret de Famille : Jackson YeeShu QiMark Chao

Signes particuliers : Quand le génie devient énervant.

Synopsis : Dans un monde où les humains ne savent plus rêver, un être pas comme les autres perd pied et n’arrive plus à distinguer l’illusion de la réalité. Seule une femme voit clair en lui. Elle parvient à pénétrer ses rêves, en quête de la vérité… 

UN ÉLAN DE BEAUTÉ

NOTRE AVIS SUR RESURRECTION

S’il existait une palme du clivant, Resurrection l’aurait gagnée à coup sûr. Au dernier festival de Cannes, aucun film n’a autant divisé. La salle s’est vidée de moitié durant la projection, les uns hurlaient au pensum turgescent, d’autres sont restés, fascinés par ce qu’ils ont appelé un monumental chef-d’œuvre du septième art. Des prises de position très tranchées et pourtant ô combien compréhensibles. Car le film du chinois Bi Gan est une œuvre hors normes, hors sol, hors temps, hors tout à vrai dire. Fresque fleuve (2h40) qui traverse plusieurs époques sur un siècle, Resurrection nous emporte dans un univers pas loin de l’inexplicable. Car oui, résumer le film est compliqué. Pour y parvenir, encore faudrait-il le comprendre et cela, ça ne sera pas donné à tout le monde.

Pour une fois, on s’en remettra au synopsis officiel. Plus prudent. Dans un monde où les humains ne savent plus rêver, un être pas comme les autres perd pied et n’arrive plus à distinguer l’illusion de la réalité. Seule une femme voit clair en lui. Elle parvient à pénétrer ses rêves, en quête de la vérité.

On l’a dit, Resurrection n’est pas une œuvre comme les autres. Et pour cause, il serait bon de préciser que, comme son héros qui s’échappe de la réalité, le film de Bi Gan s’échappe des codes et conventions du cinéma traditionnel. Resurrection n’est pas un film narratif et linéaire, ce n’est pas une œuvre saisissable, ni un film un peu perché à la David Lynch par exemple. Resurrection est un essai, un très long métrage expérimental où des images se juxtaposent, où des voix off clament des textes quasi philosophiques, où des associations de plans forment un langage tour à tout poétique ou allégorique, où des bouts d’histoires tangibles existent par intermittence dans un magma de métaphores visuelles. Le tout conjugué par 5. En effet, le film de Bi Gan est composé de cinq chapitres (plus un épilogue final), il traverse cinq époques durant tout le XXème siècle, il emploie 5 styles tous très différents, il épouse 5 genres allant du polar au fantastique, et il flirte avec les 5 sens humains comme si chaque partie correspondait à l’un des cinq. Non content de signer une œuvre éminemment ambitieuse, Bi Gan démultiplie son entreprise. On comprend mieux le Prix Spécial que lui a décerné le jury cannois. Resurrection est trop « spécial » pour être assigné à une catégorie.

Le problème c’est que son extrême et radicale singularité aura des conséquences tout aussi extrêmes et radicales. En clair, Resurrection, ça passe ou ça casse. C’est selon les concessions qu’on lui accorde et l’idée que l’on se fait du cinéma. Bi Gan semble en avoir une bien claire. Au diable la narration, ce qui compte ce sont les sensations et l’audace. Et Resurrection se vit un peu comme un lapin coincé dans les phares d’une bagnole. On est spectateur hypnotisé par la beauté incandescente (et indécente) de l’objet, autant que l’on n’en comprend pas le sens. Oui, Resurrection est somptueux, chaque plan est magnifique, créatif, inspiré, travaillé, dense et intense. La proposition n’a de cesse de chercher à bousculer le cinéma conventionnel pour trouver de nouveaux moyens d’expression. Bi Gan se pose en héritier moderne de tous les expérimentalistes qui ont osé tordre le cou aux normes pour faire progresser le septième art, quitte à être trop extrême sur le moment, pour la bonne cause. Mais cette radicalité a un prix. Resurrection est un mystère narratif. Dire que l’on ne comprend rien à l’histoire serait un euphémisme. Et rassurez-vous, vous n’êtes pas bête, c’est tout à fait normal car le film ne fait rien pour être compréhensible ou explicatif. Une histoire, il y a une, mystérieuse, très vague, très abstraite, assez inintelligible en tout cas, sauf si l’on disposait d’une notice explicative donnant le sens de chaque scène. Mais en l’état, on est condamné à regarder sans forcément saisir ce que l’on regarde. Film à ne pas mettre entre toute les mains, que retenir du coup de ce objet filmique non identifié ? La sidérante virtuosité artistique d’une pièce de cinéma unique ou la frustration que tant de sublime maestria soit adossée à un scénario totalement hermétique ?

Resurrection est une sorte de pièce de musée à exposer aux Beaux Arts. À travers cette vaste cathédrale labyrinthique dans laquelle on se perd très vite en suivant cette femme (Shu Qi) qui poursuit le dernier rêveur de l’humanité (appelé rêvoleur) à travers les époques et les univers cinématographiques, le spectateur est invité à pénétrer dans une confusion. Rien que sa nature est à discuter. Le film est-il un rêve ou le rêve est-il dans le film ? Ce qui est sûr, c’est que le long et tortueux voyage nous confronte à une œuvre à la fois riche et peu accessible. Une œuvre dont on retiendra des choses, beaucoup de choses. Comment oublier cette première partie tournée à la manière du cinéma muet avec les mains du créateur qui s’invitent dans le cadre ? Comment oublier ces plans inversés dans des flaques d’eau ou des morceaux de verres ? Comment oublier cette scène au pistolet dans une miroiterie façon La Dame de Shanghai ou Le Jeu de la Mort ? Comment oublier cet ultime chapitre vampirique avec un long plan-séquence, parmi les plus dingues de l’histoire du cinéma ?

L’ennui, c’est que tout cela ne semble qu’au service du Beau. Mais pour en profiter pleinement, encore eut-il fallu pouvoir entrer dans ce monde. Et sur ce point, Bi Gan paie cher sa radicalité. Comme au musée, on est spectateur de l’art et jamais partie prenante. Un reproche que l’on fait souvent à Wes Anderson par exemple. Resurrection est aussi somptueux que froid, aussi subjuguant que refermé sur lui-même. Bi Gan n’entend jamais nous aider à pénétrer émotionnellement dans son histoire. Son parti pris anti-narratif trouve ici sa limite. On est condamné à rester derrière une vitre, à mirer sans s’attacher à quoi ou qui que ce soit. Et 2h40, c’est long dans cette position frustrante. On aimerait vibrer avec ce qui ressemble à un conte romanesque, on aimerait profiter de son caractère ludique jouant avec les genres, les tons, les esthétiques et l’histoire du cinéma. Mais cette participation nous est refusée car le cinéaste chinois ne nous y invite pas. Il semble vouloir uniquement nous faire contempler son génie artistique et ça en devient assez pénible de prétention et d’autosatisfaction. C’est finalement là que le refus d’une histoire classique (ou du moins ne serait-ce qu’une base) pose souci. À défaut de vouloir emprunter quoique ce soit au classicisme qu’il rejette, Bi Gan aurait pu (dû ?) au moins essayer de nous entraîner dans son conte avant de déclencher sa furia artistique. En l’état, cette dernière semble reposer sur rien et ne rien dire. De là à dire que Resurrection est une superbe coquille vide traversée de beauté et de symboles, il n’y a qu’un pas.

Par Nicolas Rieux

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