Présenté à Cannes en compétition officielle (un honneur qui ne lui rendait pas vraiment service tant une partie de la critique l’attendait au tournant la mâchoire serrée « par principe »), L’Amour Ouf s’est fait égratigné par une presse qui n’a franchement pas été tendre, comme on s’y attendait. Catastrophique, épuisant, pudding qui déborde, ringard et décevant, détestable… On aura tout lu sur ce Roméo et Juliette spectaculaire à la générosité folle, qui convoque autant Paul Thomas Anderson que Martin Scorsese. Le pire, c’est que l’on comprend les reproches faits au film, même si l’on n’en partage pas la finalité.
Est-ce que trop, c’est vraiment trop ? Ou dit autrement, est-ce que trop est vraiment l’ennemi du bien ? Avec L’Amour Ouf, Gilles Lellouche conte l’histoire d’une passion débordante, consumante, une passion « ouf » qui dépasse le raisonnable. Parce qu’elle est « trop » et tend au vertige, le désormais cinéaste adapte son style à son image. L’Amour Ouf se veut puissant, enivrant, impactant, vertigineux. Et tout ça, il l’est. Mais il est aussi « trop ». Trop long, trop démonstratif, trop formaliste, trop musical. Le film est bon, à la fois intense, hypnotique et percutant. Après le chouette plongeon dans Le Grand Bain, Gilles Lellouche augmente son niveau d’exigeance et d’ambition et veut s’imposer comme un « cinéaste » plus que comme un simple « réalisateur ». Dommage qu’il pousse systématiquement les curseurs un peu trop loin, jusqu’au « trop ». Comme une enceinte mal réglée qui crache du son crépitant au lieu de maîtriser ses balances au nom de l’harmonie. La durée. L’Amour Ouf méritait-il trois heures ? Pas tout à fait. Si l’on ne s’ennuie pas tout au long de cette odyssée romanesque, la fin peine à arriver, comme si Lellouche n’arrivait pas à poser son point final (alors que plusieurs scènes auraient fait une belle clôture) et étire son aventure jusqu’au « un poil trop long ». Trop démonstratif ensuite. Sur ces trois heures imposantes, les idées ne manquent pas mais si beaucoup fonctionnent, quelques-unes échouent (comme un twist qui laisse dubitatif). Trop formaliste. Ok, Gilles Lellouche a du cinéma sous sa botte. Et il a manifestement beaucoup appris avec les cinéastes qui l’ont dirigés. Mais ce n’est certainement pas la discrétion qui l’étouffera. L’Amour Ouf est un catalogue de beaux plans, un défilé d’effets visuels permanent. Sans cesse préoccupé par l’envie du joli plan qui claque, Lellouche finit par donner l’impression de se regarder filmer « son chef-d’œuvre » en flattant un egotrip de cinéaste très satisfait de lui-même. Ce formalisme écrasant séduit souvent autant qu’il dessert parfois un long-métrage « m’as-tu-vu-comme-je-suis-trop-beau ». La musique enfin. Trop, tout le temps. L’Amour Ouf , c’est la playlist spotify de son auteur étalée de la première à la dernière chanson parce que c’est cool de belles images sur des bonnes musiques. En soi, c’est pas faux. Mais Lellouche y va à l’excès, donnant à son film des airs de compil de vidéoclips.
Au final, on pourrait résumer tout ça en disant que Gilles Lellouche est constamment animé de bonnes intentions mais qu’il force trop sur tout. Le tableau paraît impitoyable énuméré comme ça et pourtant non. Car même une enceinte mal réglée qui crépite un son trop fort, si elle joue une belle mélodie, la partition originelle restera superbe. C’est tout le problème de L’Amour Ouf . Parce qu’il est trop, le plaisir en est un peu gâché. Gâché mais pas inexistant car ce qu’il propose à l’écran reste beau.
Fresque romanesque qui voudrait emporter tout sur son passage, comme un amour qui serait trop ouf, le très long-métrage de Gilles Lellouche est follement beau, parfois ensorcelant et d’une grosse intensité malgré sa durée fleuve. Si l’on passe outre son côté « too much » permanent affichant en miroir un auteur qui ne canalise pas son envie d’épater la galerie, on peut vite être pris dans ce tourbillon tragico-amoureux saisissant à vif une passion qui brûle les ailes. « Parce que bien c’est pas assez » comme le dit sa Jackie, il faut de l’exceptionnel pour se sentir vraiment vivant. C’est ça que donne à voir Gilles Lellouche dans son film qui navigue entre le polar criminel et la romance dévastatrice. Et pour faire vivre une histoire puissante, il fallait bien des comédiens à la hauteur. Du couple adolescent Mallory Wanecque-Malik Frikah au couple adulte François Civil-Adele Exarchopoulos, le tableau est parfait et bouleversant.