Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Jackie
Père : Pablo Larrain
Date de naissance : 2016
Majorité : 1er février 2017
Type : Sortie en salles
Nationalité : USA, France
Taille : 1h40 / Poids : NC
Genre : Drame, Biopic
Livret de famille : Natalie Portman, Peter Sarsgaard, Greta Gerwig, Billy Crudup, John Hurt, Richard E. Grant, John Carroll Lynch, Max Casella…
Signes particuliers : Pablo Larrain signe un film fascinant, porté par une impressionnante Natalie Portman.
NATALIE PORTMAN, FORMIDABLE JACQUELINE KENNEDY
LA CRITIQUE DE JACKIE
Résumé : 22 Novembre 1963 : John F. Kennedy, 35ème président des États-Unis, vient d’être assassiné à Dallas. Confrontée à la violence de son deuil, sa veuve, Jacqueline Bouvier Kennedy, First Lady admirée pour son élégance et sa culture, tente d’en surmonter le traumatisme, décidée à mettre en lumière l’héritage politique du président et à célébrer l’homme qu’il fut.
Quelques mois seulement après s’être penché sur la figure mythique qu’était Neruda, le réalisateur Pablo Larrain enchaîne avec un second long-métrage centré sur une autre personnalité historique fascinante. Pour la première fois de sa carrière, le chilien quitte l’Amérique du sud pour rejoindre les Etats-Unis, où il vient concrétiser Jackie, film consacré à la célèbre veuve Kennedy, dont la vie a basculé un jour de novembre 1963 à Dallas, quand son mari fut abattu sous ses yeux. A la base, Jackie devait être réalisé par Darren Aronofsky, avant qu’il n’abandonne le projet, dont il reste toutefois le producteur. Rachel Weisz, initialement choisie pour incarner l’ancienne Première Dame, aura finalement cédé sa place à Natalie Portman, dont la performance remarquée lui aura valu plusieurs nominations, aux BAFTA, aux Golden Globes ou aux Screen Actors Guild Awards.
JFK, président intouchable et sanctifié par l’Amérique. Jackie Kennedy, sa célèbre épouse, celle qui aura été en première ligne du drame, celle qui sera allée ramasser les bouts du crâne de son mari sur le capot de la voiture, celle qui aura été obsédée par la mise en valeur de son image et héritage et qui aura fait de ses funérailles, un spectacle suivi dans le monde entier. Avec Pablo Larrain, on se doutait bien que l’on aurait droit à tout, sauf à un biopic classique et hagiographique. Ainsi avec Jackie, le cinéaste élabore une cathédrale vertigineuse, une œuvre d’une richesse inouïe, capable d’embrasser plusieurs directions, plusieurs thématiques, plusieurs styles, comme si plusieurs films coexistaient magistralement en un seul, sans jamais que le metteur en scène ne perde une seule seconde, le fil de sa prouesse cinématographique. D’une cohérence qui force le respect, Jackie se veut une introspection fascinante dans l’intime psychologie d’une femme aux multiples facettes, veuve éplorée, égérie obsédée par le pouvoir, figure au masque glacial ou femme frêle et émouvante dans son manque d’assurance, personnalité névrosée ou épouse meurtrie par un trauma d’une rare violence, spectatrice de l’horreur et actrice du destin… Sous l’œil de la caméra de Larrain, Jackie est tout cela à la fois, une icône fascinante et insaisissable, que le cinéaste ne cherche ni à expliquer ni à juger, préférant s’efforcer de cerner et dessiner les contours d’une femme aux multiples facettes.
Pablo Larrain réussit le tour de force de brosser un portrait d’une extrême complexité, au point de confondre son héroïne, l’image qu’elle se donne, celle qu’elle dégage et celle qu’on reçoit. On ne sait jamais trop quoi penser de sa Jackie Kennedy. Femme de pouvoir, épouse modèle et dévastée, figure de douceur en manque de reconnaissance, fine manipulatrice, effigie froide voire exécrable ou être meurtri, sombrant dans la névrose tant le trauma vécu aura été d’une violence à faire perdre la raison… Le procédé de déconstruction du récit employé sert justement une reconstruction du personnage dans toute sa formidable versatilité, et l’écriture éclatée sur laquelle s’appuie le metteur en scène est habile, chaque aller et retour venant un peu plus nourrir l’édifice étourdissant qu’il met en place, à l’opposé d’un style conventionnel qu’il a toujours réfuté.
Sur la forme, on s’agacera seulement de quelques artifices de mise en scène que Larrain recycle éternellement d’un film à l’autre, sans forcément songer à leur pertinence (comme cette manière de brouiller l’immédiate temporalité de ses scènes au montage). Ce « truc » qui commence à paraître artificiel et le recours à une musique omniprésente, planant pesamment sur le film de la première et la dernière minute, là où le silence aurait parfois pu renforcer l’impact des situations. En dehors de ces deux égarements, Jackie est un prodigieux bijou, un film puissant, porteur d’une gravité qui l’amène à côtoyer les terres du métaphysique. Tout en conservant son amour pour un « minimalisme élaboré », Pablo Larrain déploie une mise en scène fabuleuse de richesse, tour à tour épurée ou virtuose, moderne ou rétro, granuleuse ou d’une grande netteté, inventive ou reconstituant des séquences d’archives (à ce propos, on ne pourra que louer la sidérante reconstitution historique générale). Scrutant les visages au plus près pour mieux cerner la moindre émotion, notamment celui d’une Natalie Portman littéralement exceptionnelle, et qui dévore l’écran avec cette capacité de jouer dix émotions à la minute, sa caméra offre à la star, l’une des plus grandes performances de sa carrière avec Black Swan, alors qu’un nouvel Oscar lui tend les bras. Derrière elle, c’est toute la distribution qui se voit forcée de se régler à son diapason. Peter Sarsgaard impressionne en Bobby Kennedy, Greta Gerwig est impeccable en assistante fidèle…
Pour sa première en langue anglaise, Pablo Larrain accomplit un travail remarquable et passe pas loin du chef-d’œuvre. En s’attachant davantage à Jackie en tant que figure humaine plutôt qu’actrice-spectatrice d’un drame que l’on connaît tous, le cinéaste déploie un torrent d’émotions et offre enfin un nouveau regard sur un chapitre historique mainte fois traité. Dans Jackie, il y a le récit de cette femme se confiant à un journaliste et revenant sur l’horreur vécue, il y a le portrait de cette femme en action, s’agitant dans les arcanes du pouvoir, il y a le portrait de cette épouse obsédée par le contrôle de l’héritage de son défunt de mari, et il y a la tragédie d’une femme qui n’était que « l’épouse de », et qui s’inquiète de ce qu’il adviendra d’elle, maintenant que l’arbre sous lequel elle existait, n’est plus. Jackie est plus qu’un énième récit sur la mort de JFK, plus qu’un biopic partiel sur sa veuve Jacqueline. Jackie est un immense portrait de femme, qui nous emporte dans les coulisses du pouvoir politique, qui parle du mariage, de la foi, du pouvoir, du deuil, de l’image de soi, des médias, de la société-spectacle, qui parle d’héritage, de la peur se disparaître, d’être oublié, de ne pas laisser de traces dans l’histoire. Il fallait bien un Pablo Larrain pour oser s’attaquer à un mythe de l’Amérique avec autant de courage et d’originalité. Anti-classique au possible, Jackie n’est pas forcément un film facile, mais il est une brillante partition viscéralement passionnante, et une œuvre dans laquelle on peut dénicher un propos universel : que reste t-il à une personne qui perd tout ? En tout cas, ce qui reste à Jackie, outre le génie de son auteur, c’est Natalie Portman, dont le visage et les nuances de sa prestation, hante les esprits bien longtemps après la fin de la séance. Encore une claque dans cet excellent début d’année 2017.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux