Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Noah
Père : Darren Aronofsky
Livret de famille : Russell Crowe (Noé), Jennifer Connelly (Naameh), Emma Watson (Ila), Ray Winstone (Tubal), Anthony Hopkins (Mathusalem), Douglas Booth (Shem), Logan Lerman (Ham), Nick Nolte (Samyaza), Kevin Durand (Og)…
Date de naissance : 2013
Majorité : 09 avril 2014 (en salles)
Nationalité : USA
Taille : 2h18
Poids : Budget de 125 M$
Signes particuliers (+) : On pouvait faire confiance à Darren Aronofsky pour s’écarter des sentiers du simple blockbuster ultra-spectaculaire et bas du front. Noé multiplie les entorses au récit biblique du livre de la Genèse pour s’immerger dans la profondeur de thématiques plus personnelles défendues par un cinéaste qui combine avec une audace folle grosse production épique traversée de fulgurances artistiques et esprit du cinéma d’auteur s’ouvrant à l’introspectif et au métaphysique.
Signes particuliers (-) : Pensum existentialo-métaphysique emphatique, Noé a tout de l’oeuvre nombriliste consciente de son génie et de la richesse qu’elle essaie de déployer. Dans sa structure à deux temps, on ne saurait dire si l’on s’ennuie davantage dans la première ou dans la seconde partie. Et même si l’on perçoit la vision et les nobles intentions du cinéaste, comme les humains de son film, on se noie à notre tour dans ce déluge lourd et fastidieux vendu comme une épopée épique (à défaut de trop savoir comment la vendre autrement) mais davantage fable métaphysique narcotique.
LE DÉLUGE D’AMBITIONS DE DARREN ARONOFSKY
LA CRITIQUE
Résumé : Russell Crowe est Noé, un homme promis à un destin exceptionnel alors qu’un déluge apocalyptique va détruire le monde. La fin du monde… n’est que le commencement.
L’INTRO :
Véritable génie moderne, Darren Aronofsky est sans conteste l’un des cinéastes les plus passionnants de son temps. En seulement cinq films, le metteur en scène affiche une filmographie aussi variée qu’elle ne frise la perfection. Pi était une étrangeté expérimentale déroutante, Requiem for a Dream une virée cauchemardesque hypnotique dans la spirale de la drogue, The Fountain une œuvre métaphysique complexe qui ne souffre nullement des nombreuses visions pour essayer d’en capturer toute l’essence, The Wrestler une balade crépusculaire magnifique et Black Swan… le dernier chef d’œuvre du réalisateur, drame immersif à la limite du cinéma genre. La force d’Aronofsky est de sans arrêt nous embarquer dans des univers inattendus, l’informatique, le catch, la danse de ballet, mais via lesquels il transcende chacune de ses œuvres pour en faire des pépites aux limites quasi-infinies. Le voir s’attaquer à un péplum biblique avec l’histoire du patriarche Noé, symbole avec son arche de l’agonie crasseuse du genre humain lavée par Dieu dans un déluge purificateur, avait de quoi surprendre. Mais une fois de plus, on se doutait bien que le cinéaste n’allait pas nous servir un blockbuster traditionnel ne tirant guère plus loin que le seul récit épique d’un des pans les plus célèbres de la mythologie biblique.
L’AVIS :
Russell Crowe nous avait prévenu en début de séance lors de l’avant-première officielle parisienne : le film que nous allions découvrir ne ressemblerait sans doute pas à celui auquel on s’attendait. Il avait raison. Les images entrevues dans la bande-annonce vendant une épopée spectaculaire, ne représentent finalement qu’une infime partie de quelques minutes de ce sixième long-métrage de Darren Aronofsky versant davantage dans le métaphysique, la philosophie, le mysticisme et l’introspection. Noé est aussi complexe (ou faussement complexe) qu’il n’est déconcertant.
Œuvre imposante, ambitieuse, profonde, obnubilée par sa volonté affichée de génie transcendantal, Noé s’écarte clairement de la mise ne image popcorn du chapitre biblique tel qu’on le connaît (ou pas, selon les férus de lecture du pavé millénaire « divin »). N’allez pas y chercher une illustration épique, spectaculaire et littérale du mythe de l’arche, du déluge apocalyptique et de l’homme de foi élu par Dieu mais moqué par ses pairs dans son entreprise, Aronofsky prend le contrepied total du film catastrophe à la Roland Emmerich ou du récit théologique façon Son of God, autant qu’il s’inscrit en marge de tout prosélytisme en tentant un véritable pari à bien des égards audacieux, pari qui relève presque du tour de force et du pied de nez à l’industrie hollywoodienne, comme s’il profitait enfin de moyens colossaux pour réaliser le The Fountain qu’il aurait aimé faire en 2006 sans les soucis budgétaires qui lui sont tombés dessus à l’époque. Blockbuster métaphysique prenant d’énormes libertés avec son sujet conté dans la Genèse et que le metteur en scène se réapproprie totalement pour l’associer à des thématiques personnelles mises en exergue, comme le conflit intérieur à chaque être tiraillé entre le Bien et le Mal au point de voir son combat contre lui-même éclabousser les autres, comme le fanatisme religieux, la destruction de l’homme par lui-même, la remise en questions de nos convictions les plus puissamment ancrées quand elles buttent sur leurs propres limites… Noé est plus une sorte de croisement hybride et symétrique entre l’odyssée d’action majestueuse et intelligente, le drame introspectif façon The Tree of Life et l’analyse de la psyché et du genre humain. Des « transgressions » explicables mais qui ont eu raison de la réception du film dans pas mal de pays, choqués par les apports du cinéaste qui n’hésite pas à importer à l’histoire originelle, des anges déchus en forme de monstres de pierre aidant les hommes, du fantastique et tout un tas d’entorses qui concrètement n’ont rien de blasphématoires dans la logique même du métrage.
On pressentirait presque dans ce pensum existentialo-métaphysique pour les nuls à l’égo surdimensionné, une sorte d’anti-Seigneur des Anneaux. Aronofsky construit son film en deux temps, qui correspondent à deux perceptions de son action par le héros. La première narrant la mission confiée à ce Noé devant se préparer au déluge purificateur s’apprêtant à laver la Terre alors qu’il est enfermé dans une logique religieuse presque tyrannique, et la seconde, huis clos entre les quelques élus sauvés, où les conceptions et les acquis s’effritent au gré d’une remise en question personnelle rongeuse alors que le héros butte sur les interrogations liées à ses propres convictions. Dans les deux cas, difficile de ne pas avouer que l’on s’ennuie fermement devant un film certes impressionnant mais aussi dénué d’émotion affleurante, cherchant une forme de magie poétique saisissante et roborante dans son entreprise métaphysique mais perdant en route un public pas forcément préparé à autant de symbolisme et d’exigence. Incontestablement, Noé est beau. Beau à en crever même. Aronofsky étale son génie de façade comme de profondeur, et témoigne de fulgurances visuelles éblouissantes voire fascinantes soulignant la richesse d’une œuvre aux niveaux de lecture impressionnants. Si l’ampleur de son essai essaie de côtoyer le divin, si sa façon de se réapproprier le mythe pour mieux le contorsionner afin de l’adapter à sa démarche, cela n’empêche pas le résultat de cet étrange mélange entre aventure spectaculaire et récit mystique d’apparaître comme un poids mort ironiquement désincarné et assommant, en plus d’être terriblement long à soutenir.
A cette ambition emphatique déjà quasi-achevante, Aronofsky fait preuve d’une étrange dispersion stylistique. Certes Noé brille au travers de fulgurances laissant parfois bouche bée, mais il affiche néanmoins une curieuse absence de cohérence artistique dans sa mise en scène confuse s’éparpillant dans tous les sens, souvent partagée entre simplicité et plans artificiellement stylisés où l’auteur semble se regarder filmer, errant entre le classicisme ponctué de coups de génie épisodiques et l’expérimentalisme tantôt facile tantôt nébuleux lorsqu’il essaie d’articuler intelligemment science et mysticisme. Une dispersion qui se retrouve jusque dans une photographie vagabondant entre différentes tonalités, ou une partition musicale étrangement parfois enivrante ou proprement insupportable signée Clint Mansell. Au final, c’est tel un déluge qu’apparaît ce Noé. Un déluge d’idées à tous les niveaux, formels, narratifs, idéologiques. Mais un déluge bien indigeste et pesant, qui a vite fait de noyer le spectateur dans sa lourde conjugaison entre blockbuster séduisant et film d’auteur narcotique et un brin prétentieux, cherchant à dire et montrer trop de choses au point de s’égarer dans un no man’s land à la fois singulier et fastidieux. Intéressant comme toujours, ce dernier né de Darren Aronofsky ne manque pas de personnalité. Il est juste un peu long. Surtout les dernières 2h17.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux