Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : The Young and Prodigious T.S. Spivet
Père : Jean-Pierre Jeunet
Livret de famille : Kyle Catlett (T.S. Spivet), Helena Bonham Carter (la mère, Dr Clair), Judy Davis (Jibsen), Callum Keith Rennie (le père), Niamh Wilson (Gracie), Jakob Davies (Layton), Rick Mercer (le présentateur télé), Dominique Pinon (Deux Nuages le cheminot), Julian Richings (Ricky le routier)…
Date de naissance : 2013
Majorité au : 16 octobre 2013 (en salles)
Nationalité : France, Canada
Taille : 1h45
Poids : 33 millions $
Signes particuliers (+) : Heureusement que dans sa chute, T.S. Spivet voit quelques éléments fonctionner comme des micro-parachutes limitant l’impact de son écrasement au sol. Techniquement, la photographie ou l’image sont élégantes, de même que son inutile mais réussie 3D. L’interprétation est sans aucun doute son point fort, avec en tête le jeune Kyle Catlett impressionnant mais aussi Bonham-Carter et C.K. Rennie. Enfin, quelques rares furtifs passages éparses, rendent le film attendrissant…
Signes particuliers (-) : …mais ça ne dure souvent que quelques secondes. Avec T.S. Spivet, J.P. Jeunet se surpasse dans l’insupportable, quatre ans après avoir fait fort avec Micmacs à tire-larigot. Sa nouvelle entreprise ambitieuse est d’un cynisme sans borne en plus d’être horripilante, ennuyeuse, poussive et bancale. Le cinéaste tourne en rond autant que dans son film lui-même que dans sa carrière avec un métrage qui surexploite certains éléments forts de ses oeuvres précédentes, Amélie Poulain en tête. Et le pire, c’est qu’à brosser ainsi le poil du spectateur dans le bon sens, il pourrait bien arriver à se payer un certain capital sympathie confirmant le statut d’arnaque de ce bouillon tire-larmes, surchargé visuellement et sous-chargé en péripéties.
LA NON-AVENTURE DE JEUNET
Résumé : T.S. Spivet vit dans un ranch isolé au fin fond du Montana avec ses parents, sa soeur Gracie et le triste souvenir de son frère jumeau Layton, décédé d’un accident de fusil.T.S. porte le poids de la culpabilité de cette tragédie dont personne ne parle. Plus que jamais, sa mère s’est enfermée dans ses études des insectes, son père, toujours avare de mots, vit sa vie de cow-boy d’un autre temps et sa bimbo d’ado de soeur ne jure que par des concours du type Miss USA. Mais la véritable particularité de la vie de T.S., c’est qu’il est un génie de 10 ans. Au point qu’il va inventer la première machine à mouvement perpétuel, invention qui va lui valoir de remporter un prestigieux prix scientifique américain, qu’il doit venir chercher à… Washington ! Sans rien dire à personne, T.S. se lance alors dans une immense aventure, la traversée de l’Amérique direction son rêve…
Quatre ans après le mal reçu Micmacs à tire-larigot, notre peu prolifique Jean-Pierre Jeunet national essaie de relancer la machine, Un Long Dimanche de Fiançailles, son dernier hit, date d’il y a maintenant presque dix ans. Pour sa septième réalisation (en plus de 20 ans !), le papa d’Amélie Poulain n’avait pas envie d’une histoire originale et a préféré se tourner vers une adaptation littéraire, s’emparant ainsi du roman à succès de Reif Larsen L’Extravagant Voyage du Jeune et prodigieux T.S. Spivet (2009). Une belle histoire narrée à hauteur d’enfant, contant l’aventure extraordinaire d’un jeune surdoué d’à peine dix ans, sorte de Mozart croisé avec Leonard de Vinci, se lançant dans une immense traversée des Etats-Unis, de son verdoyant Montana natal vers la grande Washington, où il doit recevoir un prestigieux prix scientifique américain suite à son invention d’une machine à mouvement perpétuel. Le tout sur fond de drame avec une cellule familiale en deuil après le décès accidentel de son frère jumeau.
Peu désireux de se confronter aux contraintes du cinéma américain (il a encore en travers de la gorge sa désastreuse expérience sur Alien 4), Jean-Pierre Jeunet monte une coproduction franco-canadienne afin de faciliter un tournage délocalisé en Amérique du Nord (malgré quelques plans tournés directement à Washington DC) avec devant la caméra un casting international essentiellement anglo-saxon allant de l’anglaise Helena Bonham-Carter au canadien Callum Keith Rennie (le cylon Leoben de la série Battlestar Galactica pour les amateurs de SF) prêtant tous deux leurs traits au couple décalé des Spivet, en passant par l’australienne Judy Davies qui incarne une responsable de musée cynique ou le fidèle Dominique Pinon qui fait un passage obligé (normal, on est chez Jeunet). Mais le vrai défi pour le réalisateur, était de trouver son T.S. Spivet, mignon bout-de-chou sur qui l’entièreté du film allait reposer. Ses recherches le conduiront vers le tout jeune Kyle Catlett, 10 ans, qui trouve là son premier rôle au cinéma après quelques apparitions télévisées. Et jeunet ne pouvait pas rêver de meilleur bambin que celui-ci tant le petit Catlett semble être un véritable génie dans la vie, parlant couramment trois langues (anglais, chinois et russe) en plus d’être triple champion du monde de kung-fu, catégorie moins de 10 ans et champion du monde de tai-chi, catégorie moins de 17. Il a dix ans donc…
Comme à son habitude, Jean-Pierre Jeunet souhaitait avec L’Extravagant Voyage du Jeune et prodigieux T.S. Spivet (quel beau titre à rallonge) nous entraîner dans une aventure exaltante et iconoclaste avec tous les ingrédients typiques de son cinéma entre décalage et amusement rétro teinté de surréalisme ambiant et de douceur de ton mélodramatique, le tout bien entendu avec sa patte singulière traversée de coups stylistiques et d’artifices visuels. L’Extravagant Voyage du Jeune et prodigieux T.S. Spivet pourrait ainsi se définir comme une sorte de croisement quelque part entre les Frères Coen, David Lynch façon Une Histoire Vraie et Spielberg, mais avant tout comme du pur Jean-Pierre Jeunet…
Porté par un délicieux Kyle Catlett, nouvel enfant-star qui en plus des capacités hors normes évoquées, se révèle également très talentueux dans l’art de la comédie, L’Extravagant Voyage du Jeune et prodigieux T.S. Spivet est typiquement le genre de cinéma flattant le spectateur dans le sens du poil en lui offrant tous les ingrédients d’un beau spectacle qui saura le toucher en profondeur en sondant en lui l’écho de ses jolies intentions. Sauf que ce n’est là pas ce qui fait le noble cinéma, loin de là, ni le bon cinéma par ailleurs. Les amateurs du style Jeunet pourront peut-être y trouver leur compte tant le cinéaste semble capitaliser, en le maximisant (à outrance), sur tout ce qui avait fait l’originalité de son Amélie Poulain, il y a douze ans. Voix off déclamant une douce prose poético-descriptive, intentions enjolivantes, artifices visuels en pagaille, plastique ultra-léchée, images colorées à la fois pop et rétro en même temps, tout y passe. En revanche, les habituels réfractaires risqueront fort de voir ce bonbon acidulé se coincer en travers de l’œsophage. Et au-delà de cette dichotomie, il y a tout ceux qui ne supportent pas le mauvais cinéma preneur d’otage et le mauvais cinéma tout court. Jean-Pierre Jeunet se glisse dans un interstice au croisement de Jules Verne et de Baz Luhrmann mais sans le talent ni la fluidité du style singulier d’aucun d’entre eux. La patte singulière de ces deux auteurs, chacun dans leur domaine, devient les éléments de ridicule qui plombe l’exercice d’un Jeunet qui se surpasse dans la médiocrité et le grotesque avec un chamallow cinématographique saturé d’intentions cyniques et doublé d’une prétention mégalomane à faire peur. « Techniquement parfait » disait le cinéaste en parlant de son film, dans une récente interview accordée à L’Express… Certainement pas ! Outre l’éternel adage de la technique qui ne fait pas tout et qui n’a jamais à elle-seule établie la notion de bon film, celle déployée par Jeunet ici tire vers un superflu brûleur d’yeux qui n’a d’égale qu’avec le risible de la façon dont elle employée. Des milliers d’artifices visuels défilent sous nos pupilles, agrémentés au passage par autant d’artifices narratifs, mais à eux tous, ils ne cachent même pas à moitié le vide abyssal d’une entreprise pourrie de l’intérieur par un script d’une indigence révoltante conférant à l’arnaque d’une facilité terrifiante et d’un cynisme épouvantable, comme si 2-3 séquences larmoyantes au possible important un peu d’émotion soutirées par la force allaient sauver une entreprise qui se veut un voyage onirique mais n’ayant rien d’onirique ou une enfantine aventure épique n’ayant rien d’épique, pas plus qu’elle n’a vraiment d’aventureux d’ailleurs. La belle histoire extravagante et exaltée qui nous est vendue est en réalité creuse et n’a rien de telle dès lors que lors que l’on décortique une trame déséquilibrée ne rendant pas justice à l’arc narratif souhaité. Faute d’idées alimentant son escroquerie trompeuse censée offrir du voyage grandeur nature, Jeunet bouche les trous béants de son histoire comme il le peut, s’éternisant pendant des plombes sur un cadre familial sur-décrit à grand renfort de prose poétique bon marché finalement bousculé par un simili-voyage initiatico-rédemptoriste simplet et redondant d’un vide affligeant (donc concrètement, attention « aventure » : il va en chemin acheter un hot dog et semer un policier gras du bide… la folie), ponctué de quelques rencontres histoire qu’il se passe quelque-chose d’un tant soit peu éveillant pour éviter au spectateur de piquer du nez (super, il croise le chemin d’un routier original et… dort dans son camion. Ellipse. Merci au revoir, fin de la rencontre ?!). Tout ça pour atterrir sur un dernier tiers à son tour étiré dans tous les sens pour faire la blague et tenter vainement de nourrir au final une histoire qui avait quelque-chose à raconter mais qui ne savait pas comment le faire.
Sous la houlette de Jeunet, le pavé de 400 pages de Reif Larsen (on se demande bien d’ailleurs comment il peut atteindre un tel volume) devient comme la mise en image d’un livre pour enfant d’à peine quelques dizaines de feuilles, rendu élastique en moulinant dans le néant pour essayer poussivement d’en faire un long-métrage crédible sur la distance. Mais parce qu’il ne pouvait pas tomber dans la tromperie éhontée totale, le metteur en scène va alors tenter le tout pour le tout en inondant son film d’une poudre aux yeux illusionniste qui n’aura que de renforcer le risible de la chose. Surchargé plastiquement car creux en dedans, T.S. Spivet est une vieille bicoque transformée en palace à grands coups de pinceaux tellement grossiers qu’ils rendent le tout presque plus pathétique qu’il ne l’était au départ. Vulgairement clinquant, d’autant plus avec sa 3D certes élégante mais artificielle et inutile dans le fond, les prouesses plastiques errent entre l’ambitieux et le grotesque avec des idées bien exécutées mais malheureusement si mauvaises à la base dans leur imagination. Elles ne font que participer à ce sentiment de virée dans un parc d’attractif clignotant, à la seule nuance que contrairement à ce type de sanctuaire de l’enfance, on s’y ennuie ferme au rythme de la nonchalance du récit étonnamment en carence de péripéties pour l’alimenter. Et quand Jeunet daigne se réveiller, c’est pour mieux parcourir tout le répertoire des facilités d’écriture.
Au final, L’Extravagant Voyage du Jeune et prodigieux T.S. Spivet est une supercherie comico-mélancolique misant sur son seul charme factuel pour essayer d’emporter l’adhésion d’un spectateur potentiellement conquis par des tours de passe-passe à l’artificialité gluante. Ca marchera peut-être (certainement même) mais c’est peu glorieux. La seule bonne nouvelle dans l’histoire, c’est que Jeunet remonte la pente après l’épouvantable Micmacs à tire-larigot, mais la mauvaise, c’est qu’il ne va pas bien loin non plus. On retiendra au moins de cette œuvre complaisante qui a de quoi mettre en rogne devant l’ampleur de son gâchis, quelques petites choses comme des anecdotes descriptives éparses bien senties étoffant l’histoire (le duel parental entre la mère décalé et le père cow-boy en retard sur son temps), l’interprétation générale, de la petite étoile haute comme trois pomme Kyle Catlett à Helena Bonham-Carter et Callum Keith Rennie et quelques éléments techniques soignés comme la photographie.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux