Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : The Giver
Père : Phillip Noyce
Date de naissance : 2014
Majorité : 29 octobre 2014
Type : Sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 1h37 / Poids : 25 M€
Genre : SF
Livret de famille : Jeff Bridges (le passeur), Meryl Streep (la doyenne), Brenton Thwaites (Jonas), Odeya Rush (Fiona), Alexander Skarsgard (père de Jonas), Katie Holmes (mère de Jonas), Cameron Monaghan (Asher), Taylor Swift (Rosemary)…
Signes particuliers : La nouvelle dystopie du moment, riche d’un univers passionnant mais saboté dans le traitement…
MC (THE) GIVER
LA CRITIQUE
Résumé : Dans un futur lointain, les émotions ont été éradiquées en supprimant toute trace d’histoire. Seul « The Giver » a la lourde tâche de se souvenir du passé, en cas de nécessité. On demande alors au jeune Jonas de devenir le prochain « Giver »… L’INTRO :
Avec les succès des Hunger Games, Divergent et autre Le Labyrinthe, Hollywood s’est lancé dans une quête énamourée pour les sagas dystopiques, registre très à la mode et embrasant le jeune public (et pas que, pour les meilleures d’entres elles) friand de ces univers mythologico-futuristes s’installant sur la durée. Dernière en date à sauter le pas vers le cinéma, la tétralogie de Loïs Lowry The Giver, dont les romans sont parus entre 1993 et 2012 et visaient clairement, à l’époque, le public adolescent et post-adolescent. Pour l’instant timide, le studio s’est contenté d’un one shot, préférant attendre de voir si le succès était au rendez-vous avant de considérer une éventuelle transposition des autres chapitres. Il faut bien avouer que rien ne sert de s’avancer sur une possible saga tant que l’on est pas sûr du potentiel commercial d’un univers. Encore récemment, Les Ames Vagabondes a été l’exemple parfait qu’une saga dystopique mis en échec dès son lancement. Direction donc un nouveau futur anticipatoire construit autour d’une société idyllique en apparence, avec l’éternel principe du héros capable de bouleverser un ordre séculaire enlisé dans un profond désenchantement caché de tous. C’est au faiseur Phillip Noyce (Calme Blanc, Le Saint, Salt) qu’est confiée la tâche ardue de poser les bases d’un espéré carton commercial lançant un juteux marché pour quelques années. Et comme toute saga dystopique qui se respecte, devant la caméra, un mélange de jeunes inconnus (ou méconnus) et de stars de renom. En l’occurrence, les jeunots Brenton Thwaites ou Odeya Rush sont épaulés par la notoriété des Jeff Bridges, Meryl Streep, Katie Holmes ou Alexander Skarsgard. Produit pour seulement 25 M$, The Giver ambitionnait secrètement d’être un nouveau Le Labyrinthe (32 M$). Pas de chance, là où ce dernier culmine déjà à 326 M$ dans le monde, The Giver stagne à 66 millions. Saga compromise ?
L’AVIS :
The Giver reposait sur un univers conceptuel ouvrant des enjeux dramatiques potentiellement passionnants. Et si la mémoire de l’humanité était effacée afin de faire table rase du mauvais pour bâtir une néo-société s’appuyant uniquement sur le Bon ? Plus loin encore, et si cette néo-société se voyait contrainte dans sa démarche d’aller vers l’extrême, d’effacer le beau avec le laid dans la même lancée éradicatrice, afin de pouvoir fonctionner sur son nouveau principe socio-étatique réfléchi en profondeur ? Les concepts presque philosophiques de The Giver étaient adossés à une réflexion nourrissant de réelles interrogations à la fois surprenantes et existentielles encadrant un univers capable de déployer une belle richesse thématique. La neige, par exemple, est quelque-chose de beau dans l’absolu. Mais qui dit « neige », dit « froid », qui dit « froid » dit « difficultés climatiques » et de fait, « difficultés agricoles », possibles famines etc… En y regardant de près, tout ce que l’humanité peut avoir de précieux, de l’art aux différences entre les êtres en passant par les saisons ou la procréation, peut se retourner contre elle, telle les deux faces d’une même pièce de monnaie. C’est de ce principe là adjoint à la thématique de la mémoire universelle, qu’est né la construction de l’univers de The Giver.
Le problème, et il n’est pas nouveau au cinéma, c’est qu’une idée forte et passionnante ne fait pas forcément un bon film. La façon de la traiter, oui. Et c’est là que The Giver se plante dans les grandes largeurs. Intriguant voire alléchant au départ, le film de Phillip Noyce finit par se métamorphoser en une épatante déception par sa capacité à faire inlassablement les mauvais choix. Par sa fainéantise terrible aussi, qui l’englue progressivement vers l’insipide dystopie clichesque incapable de s’élever au-dessus du simple divertissement simpliste et niais là il aurait pu être une audacieuse fable d’anticipation. Et en y regardant de près, l’ampleur du gâchis provient de sa gestion calamiteuse de ses fameux enjeux dramatiques, sabordés en permanence par manque d’ambition, de caractère, de discernement.
The Giver ressemble à une éternelle introduction jouant avec son concept captivant et intelligent mais témoignant d’une terrifiante absence de visée. Clairement, les auteurs ne savent pas quoi en faire, comment les développer, vers quelle direction les porter. Et peu judicieusement, ils finiront par les attirer vers les ornières du prévisible rabougri, déployant une trame calquée sur des recettes archi-éculées, tuant dans l’œuf tout suspens en privilégiant un canevas ultra-classique reprenant tous les poncifs de la dystopie de base au lieu de labourer ce qu’il aurait été intéressant de creuser. Peu palpitant une fois son univers dessiné, The Giver bascule dans le drame d’aventure SF ennuyeux à mourir, à la fois calibré pour satisfaire le public amateur des Hunger Games et autre Divergent mais sans jamais faire preuve d’un soupçon d’efficacité pour au moins maintenir l’embarcation à flot malgré les clichés puisés dans ces sagas pour viser un nouveau divertissement formaté, au message superficiel. Pire, son improbable (mais pourtant bien imaginé à la base) univers dystopique finit par être traîné dans la fange par un lot d’incohérences et de non-sens inhérents à ses facilités scénaristiques cherchant à faire progresser trop vite une histoire qui aurait certainement méritée d’être mieux pensée et soigneusement élaborée.
Au vu de son potentiel qui aurait pu amener à davantage de sérieux, de finesse et d’intelligence, The Giver affiche un bilan étrangement pauvre et désincarné. Les tentatives d’expérimentations artistiques de Noyce (jouant sur le passage du noir et blanc à la couleur) ne sauvent pas la mise de cette fable timorée illustrant de fort belle manière le saut trop fréquemment effectué par certaines productions à cheval entre deux rives, le passage de l’alléchant vers la médiocrité.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux