A l’occasion de la sortie du film THE PROGRAM, qui sortira au cinéma le 16 septembre prochain, nous avons eu la chance de rencontrer le cinéaste Stephen Frears (Les Liaisons Dangereuses, The Queen, Philomena) en compagnie de quelques blogueurs. Stephen Frears a répondu à toutes nos questions, concernant son thriller dramatique relatant l’histoire du plus célèbre coureur de tous les temps, Lance Armstrong, de son ascension vers les sommets à son cancer, en passant par ses titres glanés sur le Tour de France et sa chute pour un scandale de dopage géant.
Pourriez-vous nous parler de la genèse du projet, comment vous êtes arrivé dessus ?
Stephen Frears : J’avais lu une critique d’un livre de Tyler Hamilton (The Secret Race – ndlr) sur le sujet. Tyler Hamilton avait couru avec Lance Armstrong, il s’était dopé ensemble. Il avait écrit un livre après l’affaire et que le scandale ait éclaté. Et en lisant cette critique, j’avais trouvé cette histoire très intéressante.
Lance Armstrong est à la fois un héros et un anti-héros et ce qui est intéressant c’est que vous ne le jugez jamais. Est-ce que c’était le cœur de l’histoire que vous vouliez raconter ?
Stephen Frears : Il était les deux choses en même temps. Lance avait vaincu le cancer, s’était investi dans une association en trouvant des centaines de millions de dollars. Comment condamner un homme qui a fait ça ? En même temps, c’était un tricheur. Un tricheur qui a menti et a intimidé trop de personnes. Ce n’est pas la question de la drogue qui me dérange mais ça.
Dans votre film vous explorez très bien l’administration du Tour de France, les comités, le contrôle des drogues et comment Lance Armstrong est passé au travers ?
Stephen Frears : C’est Michele Ferrari (le médecin de Lance Armstrong au centre du système de dopage) qui a fait tout ça en découvrant le point-limite « 49.999 » (à partir de 50, on est considéré comme positif aux substances dopantes – ndlr). C’est ce nombre qui a permis à Lance Armstrong et d’autres, de passer à travers les mailles du filet.
Pensez-vous qu’avec la technologie d’aujourd’hui, des failles sont encore possibles ?
Stephen Frears : Ils ont les » blood passeport » maintenant, donc on me dit que c’est beaucoup plus difficile aujourd’hui.
Comment avez vous trouvé toutes les informations sur le travail de Michele Ferrari sur les drogues et le fameux « programme » ?
Stephen Frears : Je ne sais pas vraiment. Quelqu’un s’est occupé de ces recherches. Je ne crois pas que cette personne ait rencontrée réellement Ferrari. En fait, je crois que l’origine se trouve dans les témoignages de plusieurs milliers de pages contre Lance Armstrong. Mais je ne peux pas en être sûr. Mais c’était Michele Ferrari qui a rendu tout ça possible. Il pouvait à la fois trouver la drogue et la dissimuler. Il savait à quelles heures réaliser les tests pour que la drogue prenne effet seulement dans les courses. En plus, Michel Ferrari connaissait tout le circuit, il travaillait avec tout le monde. Il connaissait très bien les choses, il était en contact avec les laboratoires.
Avez-vous interviewé des personnes impliquées dans cette affaire ?
Stephen Frears : J’ai été très aidé par Michael Miller, un cycliste qui a finit en prison. Ces cyclistes me font rire, ils ont tous pris de la drogue et se sont retrouvés avec des problèmes. Mais Michael m’a dit que c’était une période où tout le mode le faisait, il connaissait Lance. Dans les courses, les cyclistes savaient tous qui prenaient de la drogue. Il suffisait de regarder leurs avant-bras. Il n’y avait aucun mystère. Ils savaient tous.
Avez-vous rencontré David Walsh, l’auteur du livre sur lequel est basé votre film, et si oui, a t-il été impliqué dans la production ?
Stephen Frears : Oui. Adaptant son livre, il était impliqué autant qu’il le pouvait et le voulait. Il connaît tous les protagonistes donc il était présent de temps en temps. Il m’a dit qu’il été très satisfait du film.
Dans le film, il est interprété par Chris O’Dowd et il y a une scène très belle avec lui, sur la place Ducale à Charleville. Pourquoi être allé tourner là-bas ?
Stephen Frears : Vous savez, à la fin, tout est une question d’argent. On pouvait financer les Alpes, et je voulais aller aussi dans le nord du Tour de France. Charleville était la plus grande ville du coin. Une offre a été faite par la ville, donc nous avons dit oui. En plus, nous ne pouvions pas nous permettre de tourner financièrement dans les Pyrénées ou en Belgique. Puis c’est une très belle place. Nous avons aussi tourné une autre scène autour du carrousel.
Il y a beaucoup de lieux, de scènes de courses cycliste, avec beaucoup de figurants en plus, ce fut un tournage éprouvant ?
Stephen Frears : Oui, ça a été un travail assez difficile. Cela dit, pour les lieux, on est allé dans les alpes, dans le nord et le reste, on l’a tourné à Londres. Ah si, on a tourné à Austin aussi. Les scènes de course aussi, ont été assez difficiles à tourner.
Vous avez regardé des Tour de France pour vous inspirer, saisir l’ambiance et donner plus de réalisme ?
Stephen Frears : Oui. C’est très ennuyeux, en fait. Je ne regarderai plus jamais un autre documentaire là-dessus pour le reste de ma vie.
C’est très bien pour la sieste, en général.
Stephen Frears : Ah oui, c’est une bonne idée.
Parlons du casting. Comment avez-vous casté Ben Foster pour le rôle de Lance Armstrong ?
Stephen Frears : Je ne voulais que lui. C’était une liste avec un seul nom, le sien.
Et pourriez-vous nous dire un mot sur le choix de Guillaume Canet. C’est très étrange de le retrouver là et pourtant il est parfait…
Stephen Frears : Je vois bien que les français sont assez étonnés. Je comprends. Tout simplement, je ne pouvais pas trouver de bon acteur italien parlant un anglais correct et quelqu’un m’a suggéré Guillaume. Je l’ai rencontré et j’ai trouvé qu’il serait parfait. Évidemment, Guillaume Canet n’aime pas autant le cyclisme que l’équitation, mais c’est un bon acteur et un homme charmant.
Jesse Plemons (qui incarne Floyd Landis – ndlr) est très bon, lui-aussi…
Stephen Frears : Jesse est génial. Je ne le connaissais pas du tout avant de le rencontrer. Il est venu me voir à Toronto et il avait très envie de tourner avec moi. C’est un gars super.
Ça a été facile de convaincre Dustin Hoffman pour une petite apparition comme ça ?
Stephen Frears : Dustin est quelqu’un de très gentil. On est allé au Texas juste pour filmer sa scène. C’est un homme merveilleux, je l’adore.
Pour revenir à Ben Foster, quelle a été sa préparation pour le rôle ?
Stephen Frears : Il a perdu du poids et il s’est entraîné avec des cyclistes professionnels pour être crédible. Après, je ne sais pas du tout comment ni combien de temps. Une chose est sûre, il est fantastique.
Dans votre filmographie, on remarque que vous vous aimez beaucoup les personnages très forts, qui doivent faire face à leur propre moralité. Est-ce un thème qui vous touche particulièrement ?
Stephen Frears : Pour tout vous dire, je n’y ai jamais pensé. Pour moi, ce sont juste des histoires intéressantes. Mais je vois ce que vous voulez dire. Revenez dans un an, et je pourrai vous répondre après réflexion.
Vous avez réalisé plusieurs biopic ces dernières années comme The Queen, Philomena et maintenant The Program…
Stephen Frears : Je hais ce mot, « biopic », je le trouve un peu honteux. The Queen n’était pas vraiment un biopic, c’était juste une semaine de la vie de la reine d’Angleterre ! (rires)
Pouvez-vous peut-être nous dire, pourquoi vous aimez raconter des histoires sur de vraies personnes ? Pour plus de vérité et d’émotion pour le public ?
Stephen Frears : Dans mon pays, les films sont beaucoup plus basés sur de vrais personnages. J’ai tourné The Queen quand Tony Blair était encore premier ministre. La Reine était la reine… Je ne sais pas. La réalité m’attire plus. Des films comme ceux avec Cary Grant ou Audrey Hepburn auraient beaucoup de mal à marcher de nos jours. Moi j’ai grandi avec ces films. De mon point de vue, les films sont devenus de plus en plus réels. Voilà pourquoi ma logique est de raconter la réalité de vraies personnes.
En réalisant The Program sur Lance Armstrong, vouliez-vous parler de l’homme, du sportif, de la drogue ?
Stephen Frears : Pour tout vous dire, ce que je ne voulais pas, c’était faire un biopic. C’était ce qui m’intéressait le moins. C’est un film sur un crime presque parfait, en fait. C’est aussi très intéressant de voir à quel point le sport est toujours tellement dominé par l’argent.
Quels souvenirs avez-vous de l’affaire à l’époque, ce que vous aviez ressenti à l’époque ?
Stephen Frears : Quand j’ai commencé à travailler sur ce film, je ne savais rien sur cette histoire. J’avais vaguement vu quelques titres de journaux mais j’ai dû tout apprendre.
Sur un plan plus artistique, votre style de mise en scène a changé avec le film. D’ordinaire, votre mise en scène est toujours très élégante, très classieuse et lyrique. Cette fois, vous avez changé votre style pour l’adapter au sujet de votre film. Votre mise en scène est plus « sportive », le montage et la réalisation sont plus rythmés, plus découpés. C’était votre vision esthétique avant même de tourner ou ça s’est imposé pendant le tournage ?
Stephen Frears : Je n’en ai aucune idée, en fait. On voit souvent les choses après et en se disant que c’est intéressant. Mais sur le moment, le film se dicte de lui-même. Vous ne pouvez pas échapper à la logique de ce que votre film raconte. Et c’est ce qui m’inspire, je ne m’impose rien à l’avance. Vous avez sûrement raison mais je ne reconnais pas spécialement dans ce que vous évoquez. Je sais juste que je me rappelle vaguement des images de victoires sur le Tour de France et je ne voulais de ces images d’hélicoptères qui filmaient les fesses des coureurs.
Est-ce que Lance Armstrong a été, d’une manière ou d’une autre, impliqué sur le projet ?
Stephen Frears : Non, pas du tout. Il en a entendu parler mais je ne l’ai jamais rencontré. Il n’a pas cherché à me rencontrer et moi non plus.
Vous ne lui avez pas envoyé le film ?
Stephen Frears : Non. Je ne sais pas s’il l’a vu, aucune idée. Je sais juste qu’il en a entendu parler.
Est-ce qu’il a essayé d’exercer une quelconque pression ou censure, par avocat interposé par exemple ?
Stephen Frears : Pas que je sache. Pas directement en tout cas. Mais il a toujours des avocats pour le protéger.
Pourquoi sa vie privée est absente du film. Par exemple, il n’y a rien sur sa relation avec sa femme, comment elle a affronté tout ça…
Stephen Frears : Parce que je ne sais rien de tout ça. Je n’ai rien trouvé là-dessus. J’aurai été obligé d’inventer. Je ne les ai jamais rencontré, je ne sais rien de sa relation avec Sheryl Crow à cette époque et elle n’a jamais parlé de ça. Dans ce genre de film, vous parlez de ce que vous savez, pas de ce que vous ne savez pas. Puis sa femme n’était pas le sujet de l’histoire.
Vous avez réalisé un téléfilm sur Mohamed Ali pour HBO. Comptez-vous retravailler pour la télévision, dans cette époque où beaucoup de metteurs en scène travaillent sur des mini-séries, des séries etc… ?
Stephen Frears : Oui, pourquoi pas.
Votre film sera en avant-première au Festival de Toronto et sera présenté au Festival de Londres. Comment aimeriez-vous que le public reçoive le film ? Vous attendez-vous à ce qu’il débatte dessus, à ce qu’il provoque des réactions ?
Stephen Frears : J’espère juste qu’ils trouveront cette histoire intéressante. Je n’ambitionne rien de plus.
Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre prochain film, le biopic Florence Foster Junkins ?
Stephen Frears : Oui, j’ai fini de tourner ce film avec Meryl Streep. C’est vraiment est une grande comédienne. Et il y aura Hugh Grant, aussi.
THE PROGRAM – LA BANDE-ANNONCE (sortie le 16 septembre au cinéma)
Remerciements à Stephen Frears, StudioCanal, les agences Moonfleet et Déjà, Marc-Antoine et Lamia.
Propos recueillis et traduits par Emmanuelle Sal & Nicolas Rieux