A l’occasion de la sortie de Paddington de Paul King (le 03 décembre au cinéma), film dans lequel l’acteur césarisé Guillaume Gallienne (Les Garçons et Guillaume, à Table) prête sa voix à un ours dont les aventures sont devenues cultes outre-Manche, nous avons eu la chance de rencontrer le comédien sociétaire de la Comédie Française, au détour d’une table ronde pétillante à laquelle a participé pour nous notre amie blogueuse MissBobby (missbobby.net)…
Retrouvez également notre critique du film ici.
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Comment avez-vous abordé votre travail de doublage sur Paddington après vous être déjà prêté à l’expérience sur Mr Peabody & Sherman ? Quel a été le changement d’expérience ?
Guillaume Gallienne : Bon, ce n’est pas le même film. L’un est un cartoon et l’autre non. Je n’ai pas maquillé ma voix, que ça soit dans l’un ou dans l’autre. J’ai déjà fait des choses où je maquillais plus ma voix, comme Sammy ou U. Ce sont des personnages très différents donc ça change le jeu. Peabody est un papa, son souci, ce sont les responsabilités, alors que Paddington est un enfant dont on ne connaît pas trop l’âge. Il pourrait avoir 8, 12 ou 13 ans, on ne sait pas trop. Et puis le moteur de Paddington, c’est vraiment la naïveté, mais la naïveté ni infantilisée, ni… ce n’est pas un crétin. Il est intrépide, insolent… Enfin insolent pas tellement, plutôt intrépide. Mais c’est une vraie naïveté, il est en découverte de tout, même d’émotions graves voire tristes, il les découvre à chaque fois. Ça surprend, souvent avec pudeur, mais toujours avec beaucoup de courage : à chaque fois il rebondit, il y va, il constate les choses, il encaisse, mais il y va. Ce que je trouve très bien fait dans le film, c’est la justesse pour que les enfants s’identifient à lui, car il peut avoir des moments de gravité comme les enfants peuvent en avoir. C’est très bien fait. Et ses moments drôles ne sont pas forcément dans des mises en scène hyper efficaces. Il se trouve que c’est drôle, mais ce n’est pas schématique. Je trouve ça souvent plus poétique, le film est très poétique. L’autre chose, c’est que moi je connaissais les livres enfant, parce que j’avais une nanny anglaise qui me les a fait lire ou qui me les a lus d’ailleurs. Ce que je trouve très bien rendu dans le film, c’est que les deux raisons pour lesquelles Michael Bond a écrit cette histoire début 1956, étaient, d’une part, le fait qu’il a été traumatisé par les enfants orphelins, pendant la guerre et l’après-guerre, qui étaient là avec une étiquette autour du cou, et d’autre part, le fait qu’il a été traumatisé par le racisme qu’il y avait à Londres dans les années 50, où il y avait des noirs qui n’avaient pas le droit de rentrer dans des restaurants ou des choses comme ça. Je trouve que ces deux choses-là sont extrêmement bien rendues dans le film, avec beaucoup de subtilité. C’est aussi un film sur le racisme, l’acceptation de l’étranger malgré ou finalement grâce à ses différences, et on voit qu’il y a quelque chose de l’ordre du « sans famille » de Dickens, comme la première image dans la gare où il est pile à un endroit où il est marqué « Lost and Found« . Il y a quelque chose de touchant, j’ai versé ma petite larme plusieurs fois en le faisant. Donc voilà, c’est vrai que là, ce n’est pas cartoon, que les personnages en face sont Hugh Bonneville, Nicole Kidman, Julie Walters. D’ailleurs, l’acteur anglais qui fait la voix anglaise (Ben Whishaw ndlr), ne maquille pas du tout sa voix non plus.
Comment se sont passés les deux jours de doublage ?
Guillaume Gallienne : Bah je suis arrivé en studio, j’ai rencontré Valérie qui m’a dirigé pendant ces deux jours, ainsi qu’un monsieur de StudioCanal qui supervisait tout ça, le technicien, « bonjour – bonjour ». Ils m’ont dit, les Anglais nous ont dit vraiment qu’il ne fallait jamais perdre la naïveté, j’ai dit : « très bien ». J’avais déjà vu quelques images et puis on a commencé dans l’ordre : « Bon bah ça commence au Pérou. Donc là, c’est son grand oncle et sa grande tante », « très bien, let’s go ! ». Et voilà. On me montrait la scène en anglais, je la faisais toute de suite puis on en parlait, on réécoutait, on disait : « là, peut-être qu’il faudrait plus punchy, là le contraire, là attention par rapport à la scène d’avant est-ce qu’il ne faudrait pas que… On réécoute en anglais, qu’est-ce qu’il fait ? Ouais, mais là en français, c’est plus… Attention à ci ou à ça, vous êtes sûrs de ce mot-là ? Et si je proposais ça ? Vous verrez bien au montage. ». Voilà, on s’est très bien entendu sur les propositions.
Le doublage des acteurs était déjà fait lorsque vous avez doublé ?
Guillaume Gallienne : Non. Je l’ai fait seul, mais ça je n’ai pas besoin, et puis je suis bilingue. Et j’écoutais en anglais, je sentais bien l’énergie ou pas. D’ailleurs, l’énergie que je mets dans le Paddington en français, n’est pas du tout la même que l’acteur anglais. Enfin je trouve. Lui est vachement sur la réserve. Je le trouve assez grave, plus posé, que ce qui m’est venu moi et puis parce qu’il y a une tonicité qui est écrite dans la langue anglaise et qu’il faut décider en langue française. On est la seule langue où l’accent tonique est libre de choix. Ça varie beaucoup, ça change beaucoup, c’est à l’acteur de décider où il va tonifier la phrase, alors qu’en anglais c’est d’office.
S’il devait y avoir une suite, est-ce que vous aimeriez y avoir un rôle physique ? Et si oui, quel type ?
Guillaume Gallienne : Ah bah non, parce que je serai la voix de Paddington, donc je vais continuer de faire la voix de Paddington !
Ah oui, mais vous parlez anglais, vous pouvez…
Guillaume Gallienne : Non… Maintenant, jouer en anglais, volontiers. Je l’ai déjà fait et j’adore le faire. Mais quel est mon personnage préféré dans Paddington, ça je peux vous répondre. Je pense que c’est quand même Mr Brown. D’abord, j’adore cet acteur (Hugh Bonneville ndlr), je n’ai aucune envie de le remplacer, il est génial. J’aime beaucoup ce personnage car il évolue beaucoup. Au départ, il est quand même assez hostile et il arrive à demeurer sympathique alors qu’il tient des propos qui sont carrément limites. Il est dur, il n’est pas du tout généreux au début. Il évolue bien.
Après tous les doublages que vous avez pu faire (Mr Peabody, Paddington, Sammy), est-ce que vous avez acquis une forme d’aisance au doublage – même si c’est plus simple que le jeu d’acteur – est-ce que vous avez pris une certaine méthode ?
Guillaume Gallienne : Ce n’est pas une méthode, mais disons que je n’ai jamais été impressionné par la bande « ryhtmo ». J’ai choppé le truc d’entrée. Mais je fais ça aussi avec le serpent dans la série Le petit Prince et je fais ça aussi toutes les semaines à France Inter où je n’ai pas de bande rythmo. Mais le rapport en tout cas, à dire le texte face à un micro et sans public, je le fais toutes les semaines à France Inter et ça ne peut pas faire de mal, ça fait 5 ans et demi que l’émission existe. J’aime ça, j’aime plonger, sans décider auparavant. D’ailleurs à France Inter, je ne lis jamais les textes avant. C’est souvent des textes que j’ai lu il y a longtemps dont je me souviens, et encore, après 5 ans, je n’ai pas tout lu. Mais je ne lis jamais avant, je ne travaille jamais le texte avant. De même en synchro, j’écoute une fois la scène en anglais, parce qu’elle existe en anglais, mais une fois. Je n’essaie pas d’imiter ce que fait l’acteur anglais, je retiens l’information dramaturgique qui est donnée, après je plonge. Parce que c’est ce qui m’amuse, c’est ce qui rend la chose créative, sinon ça serait ennuyeux. Que ce soit à la radio ou dans le doublage, on n’a pas peur de se planter, parce que si on se plante, c’est pas grave. Mais je ne fais pas tellement de prises, c’est une sorte d’énergie. En plus je retiens très vite le texte, presque malgré moi. Donc je suis plus sur l’image, je suis autant sur l’image que sur la bande rythmo. Mais c’est physique. On est derrière un petit bar, derrière un micro dans une cabine, mais sur place, vous bougez beaucoup. Paddington, il y a beaucoup de moments où il court, il marche, il se casse la gueule, il bouffe. Il fallait que ce soit vécu pour que ça passe, que ça colle à l’image.
Est-ce que les habitudes et les coutumes anglaises sont bien représentées dans Paddington ? Et qu’aimez-vous tout particulièrement chez les Anglais ?
Guillaume Gallienne : Je trouve qu’elles sont très bien représentées, mais justement, je trouve que la qualité du film, c’est qu’il se dégage de cette limitation au « folklore » britannique. Ça y est, mais ce n’est pas un code permanent et obligatoire. Ça y est parfois en référence et de manière assez drôle, mais ce n’est pas aussi présent que dans les livres, je trouve que du film se dégage une poésie un peu plus universelle : que ce soit le décor de cette maison avec cet arbre dans l’escalier ou des images merveilleuses, pas seulement « would you like a nice cup of tea ? » (Voulez-vous une tasse de thé ? ndlr). Et ce que j’aime chez les Anglais ? Je ris tous les jours en Angleterre, ce que les Anglais appellent « sense of humor and wicked » (très bon sens de l’humour ndlr). Il y a un humour anglais qui me fait rire. C’est ce qui me manque le plus quand j’en suis loin. Et puis la langue anglaise, je parle anglais à mon fils vu que je parle anglais quotidiennement, mais d’entendre l’anglais, ça me manque parce que la tonicité de la langue, c’est une langue qui est quand même synthétique, rapide, tonique, et puis c’est une langue où chaque mot peut-être un verbe, donc c’est une langue qui peut être très active, on peut transformer n’importe quel mot en verbe. C’est ce qui me vient à l’idée, après le côté « cosy », « nice cup of tea », le plaid, les scones, tout ça j’adore. Mais voilà, je suis ravi en même temps d’habiter Paris, de ne pas avoir une pression d’eau de douche aussi nulle, de ne pas me brûler les mains dès que je veux avoir un peu d’eau chaude aux robinets, car l’eau froide et l’eau chaude sont forcément séparées en Angleterre. Il y a plein d’autres avantages à être en France et pas en Angleterre. Mais ce n’était pas la question…
Quel regard portez-vous sur le film en tant que réalisateur et comédien ?
Guillaume Gallienne : Je trouve que le film est extrêmement bien réalisé, parce qu’il est très délicat et poétique, jamais schématique comme je le disais tout à l’heure. Même la scène de travestissement avec Hugh Bonneville, c’était étonnant comment c’est traité. Je trouve ça très intelligent. C’est rare le travestissement traité comme ça. Nicole Kidman m’a bluffé, parce que je trouve qu’elle a choppé un truc. Elle est d’une sincérité dans son rôle et en même temps, le décalage par rapport à l’univers, à Paddington, ça s’adresse aussi à des gamins de 5 ans, je trouve qu’elle le tient. Je ne sais pas comment elle fait. Ne pas voir les ficelles et se dire : elle fait comment, car elle est tout le temps sincère, elle est même presque touchante, on sent une femme meurtrie, une petite fille meurtrie qui a été humiliée enfant. Elle ne grossit pas tellement les choses avec le voisin épouvantable. C’est sur un fil et le fait qu’elle ait accepté la façon dont elle termine le film, alors ça, chapeau ! Non, mais la classe ! Elle est étonnante. Et puis j’adore Julie Walters, mais je crois que Julie Walters, elle pourrait lire le bottin que je trouverais ça bien. Je suis fan de cette actrice depuis L’éducation de Rita. Là aussi, c’est génial, la scène de beuverie avec l’agent de sécurité. C’est la puissance de jeu de ces acteurs-là, qui jouent très sérieusement leurs scènes, qui ne perdent jamais la crédibilité, jamais même en poussant le curseur. Mais ça ne se réduit jamais à une grimace. C’est toujours un état. Et toujours avec un brin de fantaisie.
Justement, pour rebondir sur cette question, est-ce que vous pourriez nous donner votre point de vue sur ce qui nous paraît en France disproportionné, à savoir la polémique vis-à-vis de la censure britannique, l’insinuation sexuelle ?
Guillaume Gallienne : Vous voulez vraiment mon avis là-dessus ? Mon avis, c’est que j’aimerai bien que les personnes qui ont pris cette décision consultent. Je crois qu’on pourrait commencer par deux séances par semaine, ça me paraît raisonnable. Après, plus largement, le politiquement correct me gave, mais il est la conséquence de choses qui parfois sont aussi positives. Notre société, évolue et parfois il y a des abus de certaines choses. Après, on doit protéger nos enfants au risque de les bêtifier, je suis toujours très surpris qu’aujourd’hui on continue de considérer quelqu’un de 28 ans comme encore un gamin. Je le vois de plus en plus et d’ailleurs, je vois de plus en plus de jeunes de 28 ans qui se comportent comme des ados. Mais en tout cas, ça fait réfléchir, c’est vrai. La référence sexuelle de la scène de Hugh Bonneville, c’est drôle de différencier le déguisement à partir du moment où il s’agit d’un travestissement. S’il y a bien un âge où on se déguise, c’est bien dans l’enfance, après on le fait moins, à tort, c’est drôle les soirées à thème, même si ça peut mal tourner… (rires) Je ne comprends pas, c’est un excès de zèle qui est vraiment mal tombé. Après, qu’on n’emmène pas un enfant de moins de 5 ans, je comprends. Dans le film, il y a des choses un peu dures. Si j’avais un enfant de moins de 5 ans, je ne l’emmènerais pas, mais à partir de 5 ans, ça va. Le film est classé « parental guidance » (l’œuvre contient des scènes susceptibles de choquer des enfants de moins de huit ans – ndlr), c’est compliqué, mais bon. Il y a tellement d’abus, c’est ça aussi le problème. C’est presque un message politique pour dire « attention »… Mais à ce moment-là, qu’ils disent attention sur certains sites internet, en même temps quand on autorise les kiosques à journaux à afficher en extérieur, à hauteur d’enfant, des couvertures de magazines porno, est-ce qu’on peut juste être un tout petit cohérent ? Je ne sais pas si cette info est juste pour l’Angleterre, il faudrait vérifier. Puritains, je ne suis pas sûr.
Vous avez évoqué votre fils, est-ce qu’il l’a vu ?
Guillaume Gallienne : Non, je l’emmène dimanche. Mais ça y est, on déjà dans les bouquins, il est à fond, il est Paddington, moi je suis Mister Brown. En plus, on vient d’acheter un chien, donc l’idée d’un animal à poil dur, on connaît.
Vous lui avez parlé, que ça sera votre voix dans un corps d’ours ?
Guillaume Gallienne : Ça je lui ai déjà dit, parce qu’en fait il avait vu Peabody et au dernier tiers du film, on pense que Peabody est mort. Et mon fils s’est retenu, retenu, et au moment où la salle s’est rallumée, il a explosé en sanglots pendant 15 minutes. Donc là je l’ai prévenu, je lui ai dit : « attention, à un moment, on a peur… », parce qu’il y a des moments qui sont émouvants.
Je voulais sortir un peu de Paddington. Quels sont vos projets en tant que réalisateur ? Par exemple, un film en anglais ?
Alors on m’en a proposé un, enfin plusieurs. Il y en a un que je vais lire, mais je ne me vois pas accepter un film de commande avant d’avoir réalisé mon second film que j’ai en tête depuis 12 ans, que j’écris en ce moment, mais que je ne tournerai pas avant l’automne 2016, pour plusieurs raisons. La première, c’est que cette année, j’avais des engagements auprès de longue date avec la « Comédie Française », que ce soit Lucrèce ou la reprise d’Oblomov en tournée et au Vieux Colombier en janvier. La reprise de Lucrèce en avril et Un Fil à la Patte en juin. J’ai accepté deux longs-métrages en tant qu’acteur en 2015, février-mars et septembre-octobre, je suis en tournage. Et après, de novembre 2015 jusqu’en juillet 2016, je voulais être disponible pour la première saison programmée par Eric Ruf, qui est notre nouvel administrateur général à la Comédie Française. Je voulais être disponible pour sa première proposition artistique. Donc ça ne sera pas avant 2016 pour le tournage et il ne sortira pas avant 2017. Mais c’est une histoire que je porte en moi depuis 12 ans.
Ça parlera de vous ?
Guillaume Gallienne : Non, pas du tout. En même temps Truffaut disait qu’on fait toujours le même film. C’est tiré d’une histoire vraie qu’une amie m’a racontée il y a 12 ans, sa vie et cette histoire ne m’ont pas quitté depuis. Je les porte en moi, j’ai l’impression de connaître chaque silence, chaque respiration. C’est l’histoire d’une jeune femme qui a grandi dans une famille qui ne parlait pas, des personnes qui vivaient les volets clos, et qui à 20 ans, a pris son baluchon, est montée à Paris pour être comédienne, sauf qu’elle n’avait pas les mots pour se défendre. Et voilà, ça m’a toujours touché les gens qui n’avaient pas les mots pour se défendre, un grand bavard comme moi. C’est une personne modeste, humble. Elle est modeste aussi socialement. Ça demande beaucoup de travail car je ne le suis pas du tout et il faut que je rentre là-dedans, je cherche comment filmer la simplicité, la pauvreté aussi, sans que ce soit glauque. Et pour l’instant l’auteur que je suis est partagé entre l’homme d’images et l’homme de lettres, et donc j’écris des transitions, des liens beaucoup trop littéraires que je raye, parce que ce j’aime au cinéma c’est l’ellipse et donc il faut que je trouve l’ellipse qui n’est pas littéraire, qui n’est pas explicative, mais qui se fait soit à l’image, soit contre l’image, parfois ça peut être un cut. Donc je cherche ça dès l’écriture pour ne pas dépenser de l’argent inutilement. Parce que le sujet est humble et j’aimerai que le budget le soit aussi. Je trouve ça important. En tant que coproducteur, je m’y attèle dès l’écriture, pour ne pas avoir à me dire à moi-même : « bah faut couper mon gars ! ».
Interview coréalisée et retranscrite par Missbobby.
Crédit photo de G. Gallienne : MissBobby
Un grand merci à Guillaume Gallienne, StudioCanal, Waytoblue, Youmaly et bien sûr à MissBobby.